Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Canadian Human Rights Tribunal Tribunal canadien des droits de la personne

ENTRE :

SABINA CITRON

COMITÉ DU MAIRE DE TORONTO SUR

LES RELATIONS ENTRE RACES ET COMMUNAUTÉS

les plaignants

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

ERNST ZÜNDEL

l'intimé

- et -

LIGUE DES DROITS DE LA PERSONNE DE B'NAI BRITH CANADA

CANADIAN HOLOCAUST REMEMBRANCE ASSOCIATION

SIMON WIESENTHAL CENTRE

CONGRÈS JUIF CANADIEN

CANADIAN ASSOCIATION FOR FREE EXPRESSION INC.

les parties intéressées

MOTIFS DE DÉCISION

D.T. 1/02 2002/01/18

MEMBRES INSTRUCTEURS : Claude Pensa, président

Reva Devins, membre

[TRADUCTION]

TABLE DES MATIÈRES

I. LES PLAINTES

II. LE CONTEXTE PROCÉDURAL

III. LES QUESTIONS À EXAMINER

IV. LA LÉGISLATION

V. L'INTIMÉ, ERNST ZÜNDEL, CONTRÔLAIT-IL LE ZUNDELSITE?

A. Contexte

B. Les documents publiés sur le Zundelsite

C. Preuve d'Irene Zündel

D. Analyse

E. Conclusion

VI. A-T-ON UTILISÉ OU FAIT UTILISER UN TÉLÉPHONE DE FAÇON RÉPÉTÉE EN RECOURANT OU EN FAISANT RECOURIR AUX SERVICES D'UNE ENTREPRISE DE TÉLÉCOMMUNICATION RELEVANT DE LA COMPÉTENCE DU PARLEMENT POUR DIFFUSER LES DOCUMENTS QUE RENFERMAIT LE ZUNDELSITE?

1. A-t-on utilisé un téléphone pour diffuser les documents?

A. Preuve d'expert : Ian Angus et Bernard Klatt

i) Les télécommunications à l'échelle mondiale

ii) Internet

iii) World Wide Web

B. Analyse -- A-t-on utilisé un téléphone pour diffuser les documents par Internet?

i) Interprétation législative : la législation sur les droits de la personne doit être interprétée en fonction de l'objet

ii) Interprétation de l'art. 13 à la lueur du préjudice causé

iii) Internet fait appel au réseau téléphonique

iv) La téléphonie ne se limite pas à la transmission de la voix

v) Preuve d'expert et définitions de dictionnaires

2. Le Zundelsite recourt-il ou fait-il recourir aux services d'une entreprise de télécommunication relevant de la compétence du Parlement?

3. L'intimé a-t-il fait utiliser un téléphone de façon répétée?

4. Conclusion

VII. LES DOCUMENTS QUE RENFERME LE ZNDELSITE SONT-ILS SUSCEPTIBLES D'EXPOSER À LA HAINE OU AU MÉPRIS DES PERSONNES APPARTENANT À UN GROUPE IDENTIFIABLE SUR LA BASE DES CRITÈRES ÉNONCÉS À L'ARTICLE 3?

1. Les documents sont-ils susceptibles d'exposer une ou plusieurs personnes à la haine ou au mépris?

A. Preuve

i) Documents

ii) Experts de la Commission : professeurs Prideaux et Schweitzer

a) L'analyse du discours (professeur Prideaux)

b) Thèmes antisémites historiques (professeur Schweitzer)

B. ANALYSE

i) Critère juridique : par. 13(1)

ii) Définition des mots haine et mépris

iii) Ces documents sont-ils susceptibles de susciter des émotions exceptionnellement fortes et profondes de détestation se traduisant par des calomnies et la malveillance?

2. Le contexte dans lequel les documents du Zundelsite sont diffusés : Le rôle du Zundelsite dans le débat historique permanent

3. Conclusion

VIII. L'ASPECT CONSTITUTIONNEL

A. Charte canadienne des droits et libertés

i) Article 2

ii) Violation des garanties énoncées dans la Charte

iii) Article premier de la Charte -- Fardeau de la preuve

B. Taylor

i) Faits

ii) Critère Oakes

iii) Lien rationnel

iv) Atteinte minimale

v) Conclusion

C. Dagenais

D. Requête -- Article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982

i) Application de l'arrêt Taylor à Internet

a) Position de l'intimé

b) Preuve relative à la requête

c) Plaidoyer de la Commission

d) Analyse et conclusion

ii) Preuve de l'effet paralysant sur l'expression

iii) Modifications apportées à la Loi canadienne sur les droits de la personne depuis 1990

a) Analyse

iv) Liberté de conscience et de religion

a) Analyse

v) Article 7 de la Charte

a) Analyse

vi) Conclusion

IX. REDRESSEMENT

X. ORDONNANCE

ANNEXE A

[1] L'accès à Internet a révolutionné les communications à l'échelle mondiale et profondément marqué la société moderne. La perspective d'un accès facile à l'information et la prolifération des utilisations d'Internet ont suscité de vives préoccupations à l'égard du contenu de nombreux sites. Le rapport d'Internet avec les cadres réglementaires existants (restrictions relatives à la diffusion de matériel pornographique, régime de protection de la vie privée, limites acceptables en matière de commerce, etc.) fait l'objet d'un vaste débat juridique et d'une grande controverse au sein de la population.

[2] Alors que nous commençons à examiner les restrictions juridiques au recours à Internet pour diffuser massivement de l'information, des questions fondamentales se posent sur le plan de la préservation des intérêts légitimes en matière de liberté de parole. Par ailleurs, la prolifération des présumés sites haineux sur le World Wide Web est particulièrement de nature à inquiéter la communauté qui revendique l'égalité. Outre qu'elles mettent en relief encore une fois la tension constante entre des intérêts sociaux contradictoires, les présentes plaintes soulèvent carrément, pour la première fois, la question de l'application de la Loi canadienne sur les droits de la personne au World Wide Web.

[3] Les plaintes dont nous sommes saisis portent sur l'application du par. 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne aux communications par Internet. On y allègue que l'intimé, Ernst Zündel, en affichant des documents sur son site (le Zundelsite) a fait utiliser un téléphone de façon répétée pour aborder des questions susceptibles d'exposer les Juifs à la haine ou au mépris. On nous prie donc de déterminer si l'affichage sur un site Web de documents susceptibles d'exposer une personne à la haine ou au mépris constitue un acte discriminatoire. Quelles restrictions, s'il en est, régissent la communication répétée de messages haineux par Internet? Enfin, ces restrictions qui s'appliqueraient à Internet représentent-t-elles des limites acceptables à la liberté de parole garantie par la Charte canadienne des droits et libertés?

I. LES PLAINTES

[4] Le 18 juillet 1996, le Comité du maire de Toronto sur les relations entre races et communautés (le Comité du maire) a déposé devant la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) une plainte alléguant qu'Ernst Zündel affichait sur le World Wide Web des messages susceptibles d'exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable sur la base des critères énoncés à l'article 3, en contravention du paragraphe 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[5] Il est précisé dans cette plainte qu'à compter du 10 octobre 1995, Ernst Zündel a affiché sur le World Wide Web une page d'accueil diffusant de façon répétée des brochures et d'autres publications susceptibles d'exposer à la haine et au mépris des personnes de croyance et d'origine juives. Des exemples de ces messages, qui sont tirés de diverses publications (Did Six Million Really Die, 66 Questions and Answers on the Holocaust, Jewish Soap), sont cités et annexés au formulaire de plainte (1).

[6] Sabina Citron, qui s'identifie comme une Juive ayant survécu à l'holocauste, a déposé une plainte parallèle le 25 septembre 1996. Dans l'énoncé de sa plainte, Mme Citron allègue qu'elle a lu des documents similaires à ceux dont il est fait mention dans la plainte du Comité du maire et que ces écrits sont à son avis susceptibles de l'exposer ainsi que d'autres personnes à la haine et au mépris. Elle dit également avoir téléchargé les écrits en question le 14 août 1996 à partir d'une page d'accueil appelée Zundelsite qui, selon elle, est affichée sur le World Wide Web par l'intimé, Ernst Zündel.

[7] Les deux plaintes sont fondées sur la thèse principale voulant que l'intimé, Ernst Zündel, ait commis un acte discriminatoire en faisant diffuser de façon répétée, par le biais du World Wide Web et d'Internet, des documents susceptibles d'exposer les Juifs à la haine et au mépris. Les plaignants ont allégué que l'intimé a fait utiliser un téléphone de façon répétée pour diffuser des messages haineux en affichant des documents sur le Zundelsite.

II. LE CONTEXTE PROCÉDURAL (2)

[8] Les annales du Tribunal canadien des droits de la personne révèlent que les plaintes relatives à la diffusion de messages haineux ont immanquablement suscité des débats très animés et émotifs qui ont traîné en longueur. Les présentes plaintes n'ont pas fait exception à la règle. L'instruction de ces plaintes a nécessité 55 jours d'audience et s'est échelonnée sur plusieurs années. La preuve a constamment donné lieu à des objections, et plusieurs requêtes en désistement ont été présentées pour diverses raisons.

[9] Avant d'exposer les motifs de notre décision sur le fond de ces plaintes, il est nécessaire selon nous de passer en revue le déroulement des procédures afin de situer en contexte un certain nombre de nos observations. La nature des requêtes présentées et les émotions soulevées au cours de l'audience ont influé sur les délais et la progression régulière de cette audience.

[10] Nous devons en particulier faire remarquer que l'intimé n'a pas participé à l'étape du plaidoyer final sur le fond des plaintes. Il a toutefois présenté des exposés écrits au sujet de sa requête contestant la validité constitutionnelle du paragraphe 13(1) de la Loi, mais nous n'avons eu d'autre choix que de nous en remettre aux arguments invoqués à d'autres moments pour extrapoler sa défense sur le fond. De toute évidence, notre capacité de prévoir les arguments de l'intimé a été entravée par certaines contraintes; toutefois, nous avons tenté de présenter tous les arguments que l'avocat de M. Zündel avait initialement fait valoir au cours de l'audience, avant son retrait de l'instance, ainsi que les questions que soulève la preuve qui nous a été présentée.

[11] Voici une description chronologique des principaux aspects procéduriers en l'espèce.

  1. Les plaintes ont été déposées en juillet et septembre 1996.
  2. Le 22 novembre 1996, la Commission a renvoyé les plaintes au Tribunal en vue d'une audience sur le fond.
  3. Trois membres du Tribunal ont été nommés pour instruire l'affaire (3). Les trois premiers jours de l'audience, qui a débuté le 26 mai 1997, ont été réservés aux arguments sur la requête préliminaire présentée par l'intimé en vue de l'ajournement de l'instance; cette requête a été rejetée le 27 mai 1997.
  4. La Ligue des droits de la personne de B'Nai Brith Canada, la Canadian Holocaust Remembrance Association et le Simon Wiesenthal Center ont présenté des requêtes visant à obtenir la qualité d'intervenant. Ces requêtes, qui ont été entendues le 27 mai 1997, ont été accueillies le 19 juin 1997. Le Congrès juif canadien et la Canadian Association for Free Expression Inc. ont eux aussi présenté des requêtes visant à obtenir la qualité d'intervenant, qui ont été accueillies le 14 octobre 1997 et le 15 décembre 1997, respectivement. La requête en ce sens de M. Marc Lemire a été rejetée.
  5. La Commission a ouvert sa preuve le 14 octobre 1997, appelant six témoins, dont trois experts, soit un dans chacun des domaines suivants : télécommunications et Internet, analyse du discours et histoire de l'antisémitisme.
  6. L'intimé a ouvert sa preuve le 28 mai 1998, appelant huit témoins, dont deux experts -- un spécialiste des télécommunications et d'Internet et un révisionniste de l'holocauste. Quatre autres témoins qualifiés d'experts par l'intimé n'ont pas été reconnus comme tels dans les domaines pour lesquels ils avaient été proposés (4).
  7. Entre la date du début de l'audience jusqu'aux derniers jours réservés au plaidoyer final, l'intimé a présenté de nombreuses requêtes en ajournement ou sursis :
    1. 27 mai 1997 : requête préliminaire en sursis;
    2. 14 octobre 1997 : requête visant à obtenir des renseignements sur les antécédents d'un membre;
    3. 8 avril 1998 : requête en suspension des procédures (crainte de partialité institutionnelle) fondée sur l'arrêt rendu par la juge McGillis dans l'affaire Bell (no 1);
    4. 10 juin 1998 : requête en suspension des procédures (crainte de partialité -- membre Devins);
    5. 12 novembre 1998 : requête en suspension des procédures (crainte de partialité institutionnelle) fondée sur les modifications apportées à la Loi canadienne sur les droits de la personne;
    6. 7 décembre 1998 : requête relative à la démission du membre Jain;
    7. 9 novembre 2000 : requête visant à ajourner les procédures en attendant le contrôle de la décision de la Cour fédérale;
    8. 26 février 2001 : requête en suspension des procédures fondée sur le motif que l'affaire est sans objet, M. Zündel ayant déménagé aux États-Unis au dire de son avocat.

Le Tribunal a rejeté toutes ces requêtes et procédé dans chaque cas à l'audition de la preuve et des arguments sur le fond des plaintes.

h. Au cours du déroulement de l'audience, un grand nombre de décisions du Tribunal ont fait l'objet d'un contrôle judiciaire de la Cour fédérale du Canada. Le 13 avril 1999, la Section de première instance de la Cour fédérale a accueilli la requête en suspension des procédures présentée par l'intimé en raison de la crainte de partialité concernant le membre Devins. Bien que la Cour d'appel fédérale ait subséquemment renversé cette décision (18 mai 2000), l'audience a été ajournée pendant plus de 18 mois.

i. Le 15 novembre 2000, l'intimé a présenté une requête officielle contestant la validité constitutionnelle du paragraphe 13(1) de la Loi. Le 9 novembre 2000, l'intimé avait demandé que la requête en inconstitutionnalité soit examinée sur la base d'une preuve par affidavits. Après le rejet de cette requête, l'avocat de l'intimé, Me D. Christie, s'est retiré de l'audience. Me B. Kulazska est demeurée saisie de l'affaire et a activement pris part à l'audience au nom de M. Zündel jusqu'à l'étape du plaidoyer final, à laquelle elle n'a toutefois pas participé.

j. La Canadian Association for Free Expression Inc. a cité cinq témoins à propos de la requête en inconstitutionnalité. Me Kulazska était présente au moment de l'interrogatoire de ces témoins.

k. Le 7 décembre 2000, à la clôture de la preuve, le Tribunal a établi un calendrier en vue du plaidoyer final et de la présentation des exposés écrits. L'intimé a soumis un seul exposé écrit, qui portait sur la requête en inconstitutionnalité.

l. La date du début de la plaidoirie a été fixée au 26 février 2001. Au début de la plaidoirie, l'intimé a déposé une dernière requête en suspension des procédures pour le motif que l'affaire était désormais sans objet; cette requête a été rejetée. L'intimé n'a pas participé à la plaidoirie par la suite.

III. LES QUESTIONS À EXAMINER

[12] En dépit de leur caractère nouveau et de leur importance, les questions que soulèvent ces plaintes sont simples :

  1. M. Zündel est-il l'intimé approprié? A-t-il diffusé ou fait diffuser les documents publiés sur le Zundelsite?
  2. A-t-on utilisé un téléphone de façon répétée en recourant aux services d'une entreprise de télécommunication relevant de la compétence du Parlement pour diffuser les documents du Zundelsite?
  3. Les documents que renferme le Zundelsite sont-ils susceptibles d'exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable sur la base des critères énoncés à l'article 3?
  4. Si le paragraphe 13(1) s'applique à Internet, viole-t-il les al. 2 a) et 2 b) ou l'art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés?
  5. Redressement -- Y a-t-il lieu de rendre une ordonnance qui pourrait avoir un effet limité?

IV. LA LÉGISLATION

Loi canadienne sur les droits de la personne

Article 2

La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins, indépendamment des considérations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle, l'état matrimonial, la situation de famille, la déficience ou l'état de personne graciée.

Paragraphe 3(1)

Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.

Paragraphe 13(1)

Messages haineux -- Constitue un acte discriminatoire le fait, pour une personne ou un groupe de personnes agissant d'un commun accord, d'utiliser ou de faire utiliser un téléphone de façon répétée en recourant ou en faisant recourir aux services d'une entreprise de télécommunication relevant de la compétence du Parlement pour aborder ou faire aborder des questions susceptibles d'exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable sur la base des critères énoncés à l'article 3.

V. L'INTIMÉ, ERNST ZÜNDEL, CONTRÔLAIT-IL LE ZUNDELSITE?

A. Contexte

[13] La question à examiner dans ce volet de l'analyse est la suivante : Ernst Zündel est-il l'intimé approprié et, le cas échéant, a-t-il diffusé ou fait diffuser les documents se trouvant sur le Zundelsite? Autrement dit, le Zundelsite a-t-il été sous son contrôle durant toute la période visée par les plaintes?

[14] Au début de l'audience, l'intimé a demandé qu'on suspende les procédures, alléguant que, pour diverses raisons, le Tribunal n'avait pas été à bon droit saisi des plaintes. Il a demandé l'autorisation d'établir le fondement de la requête en appelant Ingrid Rimland, de la Californie, qui, selon lui, était la conceptrice et la contrôleuse du Zundelsite ainsi que la rédactrice, l'éditrice et l'auteure des documents s'y trouvant. La citation de ce témoin visait, a-t-il fait valoir, à étayer la preuve par affidavits présentée à l'appui de la requête fondée sur l'argument selon lequel elle exerçait le plein contrôle sur le Zundelsite.

[15] Dans les faits, l'accueil de la requête aurait constitué un rejet sommaire des procédures. Après avoir entendu le plaidoyer oral, nous n'avons pas jugé opportun d'entendre la preuve d'Ingrid Rimland à ce moment-là. Bien sûr, l'intimé avait la possibilité de citer durant l'audience Ingrid Rimland à témoigner sur la question du contrôle du Zundelsite. En outre, il était loisible à l'intimé d'aborder lui-même cette question. Ni l'un ni l'autre n'ont témoigné à cette audience.

[16] Les affidavits déposés à l'appui de la requête préliminaire ne font pas partie du dossier sur le fond de ces plaintes.

[17] Il nous a donc fallu trancher la question du contrôle en nous fondant sur la preuve présentée par la Commission.

B. Les documents publiés sur le Zundelsite

[18] Les documents constituant le recueil déposé en preuve (pièce HR-2) ont été téléchargés à partir du Zundelsite. Dans ces documents, on fait directement mention plusieurs fois de M. Zündel et de son lien implicite avec le site.

[19] Dans le premier document, intitulé Did Six Million Really Die: Truth at Last - Exposed, on trouve un avant-propos intitulé Zundel's Story qui s'adresse à tous les avocats et représentants des médias canadiens. À la fin du document figurent les mentions suivantes au sujet de l'auteur :

(Signature)

Ernst Zündel, éditeur

SAMISDAT PUBLISHERS LTD. Prière de communiquer vos observations par courriel à ezundel@cts.com.

[20] Les documents renferment de nombreuses autres allusions au rôle personnel de M. Zündel. On invite les lecteurs à communiquer leurs commentaires à ezundel@cts.com et on sollicite l'envoi de dons à la The Zundel-Haus, 206, rue Carlton. Dans certains documents, on exhorte le lecteur à [Traduction] … exercer [ses] droits et devoirs de citoyen libre… et communiquer avec [lui] pour obtenir de plus amples renseignements ou une interview ou pour l'inviter à prononcer une conférence. Le nom, l'adresse et le numéro de téléphone de l'intimé figurent en dessous de cette note. Enfin, dans le coin supérieur gauche des ZGrams, on peut voir un logo consistant en un carré noir au centre duquel se trouve un cercle blanc orné d'un Z stylisé qui représenterait, estime-t-on, une croix gammée. En regard du logo figure un énoncé faisant référence au [Traduction] … gouvernement canadien répressif qui entrave la libre expression…, suivie d'une pharase -- Je dois réclamer une protection..

[21] De plus, divers ZGrams et Power Letters renferment différentes mentions permettant d'établir un lien entre M. Zündel et le site portant son nom. En fait, le texte est sans cesse rédigé à la première personne du singulier, et les Power Letters, au début desquelles il est précisé qu'elles expriment les opinions personnelles de l'auteur, sont signées par Ernst Zündel.

[22] Par exemple, le document déposé à titre de pièce HR-2 (onglet 8) commence comme suit :

[Traduction]

Mon nom est Ernst Zündel. Je suis un révisionniste de l'holocauste. J'ose penser et exprimer des pensées interdites.

[23] De même, dans le document produit à titre de preuve HR-2 (onglet 9), qui renferme de la correspondance échangée avec Jamie McCarthy, du projet Nizkor, et affichée sur le Zundelsite, Ernst Zündel écrit :

[Traduction]

Je suis très intéressé à échanger de façon civilisée, grâce à Internet, des vues sur l'holocauste. J'ai acheté un site Web parce que cet instrument, de par sa nature, permet un tel échange.

[24] La Power Letter de novembre 1995 renferme un autre exemple :

[Traduction]

Mon webmestre a compilé des données statistiques qui, dois-je dire, sont (sic) étonnantes. Depuis l'inauguration à la mi-août de notre Zundelsite accessible à l'échelle mondiale, nous avons enregistré plus de 11 000 visites (5).

[25] Dans la Power Letter de février 1996, on peut lire ce qui suit :

[Traduction]

Le Zundelsite porte le nom de son fondateur, Ernst Zündel (sic), activiste germano-canadien en matière de droits de la personne (6).

[26] Enfin, la Power Letter de septembre 1996 fait référence à un communiqué renfermant l'annonce suivante :

[Traduction]

L'éditeur et producteur torontois Ernst Zündel, considéré mondialement comme le porte-parole le plus en vue dans le domaine de plus en plus vaste du révisionnisme historique, annonce la publication simultanée en russe de son succès de librairie révisionniste Did Six Million Really Die?, à la fois sous forme d'imprimé et en version électronique sur son Zundelsite bafoué mais grandement acclamé (7).

[27] L'avis de rejet de responsabilité qui figure à la fin de la table des matières du Zundelsite contraste avec ces références à M. Zündel.

[Traduction] Le Zundelsite, qui est situé aux États-Unis, est la propriété de Mme A. Rimland, citoyen américain, qui l'exploite. Les droits d'auteur relatifs aux ZGrams appartiennent à Mme Ingrid Rimland.

C. Preuve d'Irene Zündel

[28] Mme Zündel s'est mariée avec Ernst Zündel le 14 mars 1996 et s'est séparée de lui le 11 juillet 1997. Lorsqu'elle habitait avec lui au 206, rue Carlton, à Toronto, elle l'aidait en dactylographiant des lettres, en faisant du traitement de texte et en effectuant des recherches sur divers sujets. En outre, elle apportait des corrections à ses écrits et proposait des améliorations à ses publications. Dans son témoignage, elle a relaté que M. Zündel écrivait chaque mois une Power Letter en anglais et en allemand et qu'elle l'aidait à relire les épreuves. Elle a identifié un certain nombre de Power Letters ainsi que la signature d'Ernst Zündel sur chacune d'elles (8).

[29] M. Zündel écrivait à la main les Power Letters, puis les télécopiait à Ingrid Rimland, à San Diego, qui s'occupait du traitement de texte. Les documents étaient ensuite acheminés par courriel à Marc Lemire, employé qui travaillait à temps partiel rue Carlton à Toronto, afin d'y être reproduits et expédiés.

[30] Chaque matin, M. Zündel vérifiait s'il avait reçu par télécopieur des ZGrams dactylographiés par Ingrid Rimland; le cas échéant, il prenait connaissance des textes, les corrigeait à la main et les réexpédiait à Mme Rimland afin qu'ils soient affichés sur le site Web. M. Zündel désirait exercer un contrôle éditorial sur ce qui était affiché; parfois, il lui arrivait de récrire entièrement un ZGram qui lui avait été soumis.

[31] Chaque mois, M. Zündel faisait parvenir à Mme Rimland un chèque de 3 000 $ qui servait à payer ses honoraires ainsi que les frais relatifs au site Web, le loyer, les frais de services publics et les autres dépenses de bureau. Les employés étaient rémunérés par Samisdat Publishing, la compagnie d'Ernst Zündel. M. Zündel recevait des dons provenant de 42 pays différents.

[32] On a montré à Irene Zündel une lettre en date du 4 août 1997. Cette lettre donnait à croire qu'elle envisageait la création d'un site Web pour le compte de l'intimé. Le couple avait songé à émigrer aux États-Unis, où Zündel ne serait pas persécuté. Le nouveau site serait baptisé Voice of Freedom et le Zundelsite serait éliminé progressivement. Ce plan ne s'est pas concrétisé en raison de la rupture du mariage.

[33] Dans son témoignage, Irene Zündel a évoqué le problème de droits d'auteur que posaient les documents du Zundelsite. Elle s'est opposée à l'obtention des droits d'auteur en février 1997. Elle s'inquiétait des conséquences financières de l'attribution des profits du site au propriétaire. M. Zündel voulait qu'Irene Rimland détienne les droits d'auteur et soit la propriétaire du site; selon lui, il ne pourrait être poursuivi au civil au Canada si Mme Rimland, une citoyenne américaine vivant aux États-Unis, était propriétaire du site.

[34] En contre-interrogatoire, Irene Zündel a reconnu être l'auteure de certains documents transmis à Ingrid Rimland dans lesquels elle avait écrit votre site Web en faisant référence au Zundelsite. Dans l'un de ces documents, on peut lire ce qui suit :

[Traduction]

Vous travaillez pour nous contre rémunération. C'est pour défendre votre site Web, le site Web qui vous emploie, pour défendre votre poste et votre site Web et pour assurer votre avenir financier que nous dépensons tout cet argent en frais juridiques (9).

[35] Il ne fait aucun doute que les relations entre Ingrid Rimland et Irene Zündel au cours de cette période étaient très tendues. Irene Zündel a indiqué dans son témoignage que Mme Rimland agissait comme une amante qui essayait de s'immiscer dans son mariage. Cette animosité l'aurait amené à envoyer une lettre anonyme dans le but de faire déporter Ingrid Rimland. Ces échanges particulièrement vitrioliques démontrent, a-t-on fait valoir, l'état d'esprit d'Irene Zündel et son antipathie à l'égard d'Ingrid Rimland. Mme Zündel a toutefois affirmé qu'elle souhaitait durant cette période travailler au site Web de concert avec Ingrid Rimland.

[36] Durant la période où elle a vécu avec Ernst Zündel, Irene Zündel a certes épousé avec enthousiasme la cause de ce dernier. Elle s'opposait à ce qu'on le traite de semeur de haine et soutenait qu'on devrait plutôt lui accoler l'étiquette que lui-même utilisait, c'est-à-dire celle de révisionniste.

[37] On a fait valoir au témoin que le seul but de son témoignage devant le Tribunal était de se venger d'Ernst Zündel et d'Ingrid Rimland. Elle avait dans le passé exprimé -- par écrit -- son point de vue quant aux motifs impérieux, logiques et rationnels pour lesquels ces mêmes procédures lui répugnaient moralement. Elle a répondu que sa façon de voir Ernst Zündel et ses travaux avait complètement changé parce que Zündel était un homme très différent de ce qu'il prétendait être. Elle voyait maintenant son agenda politique et ses travaux sous un angle différent. Elle avait de plus en plus la conviction que les propos de Zündel dénotaient une idéologie d'extrême droite, extrémiste et terroriste ainsi qu'une attitude violente et belliqueuse. Son opinion à son égard, l'idée qu'elle se faisait de lui et ses sentiments à son endroit avaient changé. Après avoir vécu avec lui pendant un an et appris à le connaître, elle estimait qu'il n'était pas aussi motivé qu'il le prétendait.

D. Analyse

[38] Le paragraphe 13(1) de la Loi exige de démontrer selon la prépondérance de la preuve que l'intimé contrôlait le Zundelsite, c'est-à-dire de prouver que lui ou d'autres agissant de concert avec lui diffusaient ou faisaient diffuser les documents du Zundelsite.

[39] À notre avis, la Loi n'exige pas de prouver qui était légalement propriétaire du site Web et s'il y avait un ou plusieurs propriétaires. Il faut plutôt de se demander si l'intimé, seul ou de concert avec d'autres, a fait diffuser les documents offensants.

[40] Il convient d'amorcer l'analyse de la preuve en examinant les documents affichés sur le Zundelsite. D'après le témoignage d'Irene Zündel, qui n'a pas été contredit sur ce point, les documents faisant partie du recueil que la Commission a déposé en preuve (pièce HR-2) ont été dûment reconnus comme ayant été affichés sur le Zundelsite.

[41] La lecture de ces documents, leur présentation et leur libellé nous amènent immanquablement à conclure que l'intimé exerçait un degré de contrôle considérable sur le site Web. L'appellation Zundelsite, le logo, l'emploi de la première personne du singulier, sa signature, l'adresse qu'il donnait (206, rue Carlton, à Toronto) et le fait qu'il demandait aux lecteurs de faire parvenir leurs commentaires à son adresse électronique sont autant d'éléments étayant la conclusion qu'il s'agit du site Web d'Ernst Zündel. Il s'agit de communications qui revêtent un caractère très personnel entre Ernst Zündel et le public ayant accès au site Web. C'est Ernst Zündel qui, en bout de ligne, est l'auteur des Power Letters, qu'il décrit comme l'expression de ses opinions.

[42] Dans un ZGram en date du 30 août 1996, Ingrid Rimland écrit :

[Traduction]

Ernst a demandé un peu de temps pour s'occuper d'une question familiale; il m'est impossible de le joindre pour obtenir une rétroaction et m'assurer que mes propos impétueux ne le mettront pas dans l'embarras.

… Je suis désolée, chers lecteurs, si cette chronique ressemble à un méli-mélo d'éléments disparates, mais Ernst n'est pas disponible pour vérifier mon travail et confirmer ce qui est bon à dire et ce qui ne l'est pas. Je me sens comme un chat sans moustaches (10).

[43] Cet extrait et d'autres extraits de la correspondance entre M. Zündel et Mme Rimland prouvent que c'est lui qui contrôlait le Zundelsite et démontrent l'autorité qu'il exerçait sur Mme Rimland. M. Zündel avait le dernier mot sur ce qui était produit. En fait, dans une lettre à M. Zündel en date du 26 février 1997, Mme Rimland se plaint de son rôle de subalterne :

[Traduction]

Je ne dis pas que votre travail est sans intérêt. Ce que je dis, c'est que mon travail est sans intérêt parce que vous avez fait de moi une dactylographe… Je sais ce que je pourrais faire si seulement vous m'en donniez la chance (11).

[44] Nous ne sommes pas persuadés que le seul fait d'inclure un avis de rejet de responsabilité au bas de la table des matières suffise à réfuter la preuve accablante démontrant que c'est M. Zündel qui contrôlait le Zundelsite. Nous ferons remarquer, en outre, que la Loi prévoit expressément que des personnes puissent agir de concert avec d'autres pour diffuser des messages allant à l'encontre du par. 13(1). Même si Mme Rimland exerçait un certain contrôle, la preuve étaie la conclusion que, durant la période pertinente, elle a agi de concert avec l'intimé nommé.

[45] Nous avons examiné le témoignage d'Irene Zündel avec circonspection. Si nous devions nous en remettre uniquement à ce témoignage, nous hésiterions à le juger digne de foi. Pendant un certain temps, Mme Zündel a ouvertement appuyé et défendu la conduite et les croyances d'Ernst Zündel. Après une volte-face plutôt dramatique, voilà qu'elle témoigne en faveur des plaignants. En outre, l'évolution radicale de ses sentiments à l'égard d'Ernst Zündel, qui sont passés de l'amour, de l'affection et du soutien au mépris et au rejet, est attribuable, du moins en partie, à la relation d'Ernst Zündel avec Ingrid Rimland.

[46] On pourrait donc juger que sa preuve est entièrement motivée par le mépris et le désir de vengeance et qu'il y a lieu, par conséquent, de la rejeter. Cependant, deux facteurs militent en faveur de l'atténuation de ce jugement et contribuent à la crédibilité d'Irene Zündel. D'abord, son témoignage est conforme à ce que nous avons observé et aux conclusions que nous avons tirées à partir des documents du Zundelsite. Dans ce sens-là, le témoignage d'Irene Zündel est donc corroboré par la teneur des documents.

[47] Ensuite, nonobstant les réserves quant à ses motifs, nous sommes portés à conclure qu'elle a été un témoin digne de foi. Elle est venue témoigner devant le Tribunal de son plein gré, bien que les autorités l'aient encouragée à le faire. Elle a subi un contre-interrogatoire long et détaillé qui, à notre avis, n'a pas miné de façon importante les principaux faits évoqués dans son témoignage. Elle a été en mesure de fournir une preuve directe quant au contrôle que M. Zündel a exercé sur le Zundelsite durant une période importante, soit du 14 mars 1996 au 17 juillet 1997. Elle avait certes des préjugés, mais nous en sommes venus à la conclusion qu'elle a dit la vérité en ce qui touche le degré de contrôle que M. Zündel exerçait sur le site et ce qui s'est passé rue Carlton. Il semble évident d'après son témoignage qu'Ingrid Rimland et Marc Lemire étaient des employés salariés d'une entreprise du nom de Samisdat que contrôlait Ernst Zündel.

E. Conclusion

[48] Compte tenu de l'ensemble de la preuve qui nous a été soumise durant cette audience, des documents et du témoignage d'Irene Zündel, nous sommes d'avis qu'Ernst Zündel contrôlait le Zundelsite et que c'est lui qui a fait diffuser les documents qui s'y trouvaient.

VI. A-T-ON UTILISÉ OU FAIT UTILISER UN TÉLÉPHONE DE FAÇON RÉPÉTÉE EN RECOURANT OU EN FAISANT RECOURIR AUX SERVICES D'UNE ENTREPRISE DE TÉLÉCOMMUNICATION RELEVANT DE LA COMPÉTENCE DU PARLEMENT POUR DIFFUSER LES DOCUMENTS QUE RENFERMAIT LE ZUNDELSITE?

[49] Nous avons conclu que l'intimé contrôlait le Zundelsite; toutefois, il reste à déterminer si le par. 13(1) visait la transmission de données par Internet.

[50] Pour analyser cette question, il convient de poser trois sous-questions :

  1. A-t-on utilisé un téléphone pour diffuser les documents?
  2. A-t-on eu recours aux services d'une entreprise de télécommunication relevant de la compétence du Parlement?
  3. L'intimé a-t-il fait utiliser un téléphone de façon répétée?

[51] Chacune de ces sous-questions représente un élément constitutif au sens de l'art. 13; par conséquent, il faut répondre à toutes ces questions par l'affirmative pour conclure que les plaintes sont fondées.

1. A-t-on utilisé un téléphone pour diffuser les documents?

A. Preuve d'expert : Ian Angus et Bernard Klatt

[52] Le Tribunal a entendu à titre d'experts deux témoins reconnus comme des spécialistes des télécommunications et d'Internet. M. Ian Angus, qui a été appelé par la Commission, justifie de 25 années d'expérience dans le secteur des télécommunications; depuis quelque temps, il agit comme consultant indépendant. L'intimé a appelé M. Bernard Klatt, qui travaille dans le secteur de l'informatique depuis 1973; M. Klatt a possédé et exploité de 1995 à 1998 une entreprise spécialisée dans la fourniture de services Internet (12) .

[53] Le Tribunal a entendu les longs témoignages de ces experts au sujet du fonctionnement d'Internet, du rôle du World Wide Web et du rapport entre le réseau téléphonique ou de télécommunications et la transmission de données par Internet. Ces deux témoins divergeaient d'opinion sur beaucoup de points, mais ils étaient sur la même longueur d'onde en ce qui concerne certaines caractéristiques d'Internet et du World Wide Web.

[54] Les témoignages de M. Angus et de M. Klatt ont beaucoup divergé en ce qui touche le sens de téléphonique et de téléphonie. Alors que M. Angus incluait dans la définition du terme téléphonie la transmission d'un large éventail d'informations (voix, données, signaux vidéo ou graphiques, etc.), M. Klatt restreignant l'emploi de ce terme à la transmission de la voix.

[55] Cependant, il n'y a pas eu de divergences d'opinion sur certaines caractéristiques élémentaires de la technologie des télécommunications actuelle. La preuve exposée ci-après donne un aperçu de certains des éléments essentiels du réseau téléphonique ou de télécommunications (13) ainsi que du fonctionnement d'Internet et du World Wide Web.

i) Les télécommunications à l'échelle mondiale

[56] Au niveau le plus élémentaire, le réseau téléphonique est constitué simplement d'un ensemble de connexions à l'échelle locale, nationale et mondiale qui permet de communiquer à distance. Le réseau mondial de télécommunications est constitué d'un ensemble de réseaux interconnectés qui permettent d'établir les liaisons nécessaires. Il est possible d'établir des liaisons même lorsque les voies de communication sont situées dans des pays différents et exploitées par des compagnies différentes. Les composantes matérielles du réseau sont exploitées par les innombrables compagnies de téléphone qui en sont les propriétaires (14). Bien que l'écoulement libre du trafic soit essentiel au bon fonctionnement de l'ensemble du réseau, la propriété demeure locale.

[57] Les composantes matérielles essentielles du réseau téléphonique sont les circuits, les commutateurs et les terminaux de transmission. Les circuits constituent les voies de communication entre différents points du réseau de télécommunications. Historiquement, le fil de cuivre ne transmettait que du son. Des progrès technologiques récents ont permis la transmission de signaux par fibres optiques ou grâce à des liaisons sans fil, et les circuits ont été adaptés à d'autres utilisations, notamment la transmission de données télécopieur ou Internet (15). Théoriquement, un circuit peut être affecté à demeure à un utilisateur particulier ou être partagé par de multiples utilisateurs (trafic réparti par appel). Que le circuit soit partagé ou affecté à demeure, on a recours aux mêmes lignes ou voies de transmission physiques, et ce peu importe la nature de l'information transmise.

[58] Les commutateurs sont de gros ordinateurs installés aux points de branchement du réseau et qui commandent le raccordement des circuits. Ils établissent, surveillent et libèrent les communications d'arrivée et les raccordent aux circuits sortants appropriés. Les terminaux de transmission sont les composantes qui, en bout de ligne, permettent à un individu d'utiliser le réseau téléphonique. Les combinés téléphoniques sont considérés comme des terminaux de transmission. Parmi les autres types de terminaux de transmission figurent les appareils de télécommunications pour sourds (ATS), les ordinateurs, les télécopieurs, les modems, les boîtes vocales et les systèmes d'alarme. De plus en plus, les terminaux de transmission ne sont plus des dispositifs à usage unique, car ils sont conçus pour exécuter de multiples tâches de communication (p. ex., ordinateur couplé à un télécopieur et à un système de messagerie vocale).

[59] Le téléphone classique convertit le son en impulsions électriques qui peuvent ensuite être transmises sur des voies de télécommunication. Traditionnellement, la conversion du son se faisait en mode analogique, et le combiné téléphonique convertissait les ondes sonores en images électriques du son en créant des ondes électriques analogues aux ondes sonores. La transmission numérique, c'est-à-dire la transmission d'une mesure de l'onde en bits numériques, comporte d'importants avantages pour ce qui est de la qualité de la transmission et du coût et constitue de plus en plus le mode privilégié de transmission. Par conséquent, de nombreux appels téléphoniques seront traités, du moins en partie, en mode numérique.

ii) Internet

[60] Internet est un superréseau mondial de télécommunications qui fait appel à un ensemble universel de protocoles ou de normes de transmission d'information. Deux ensembles connexes d'instructions de communication, soit le protocole de contrôle de transmission (TCP) et le protocole Internet (IP), régissent les échanges à l'échelle du réseau, définissant les adresses et les systèmes d'acheminement ainsi que toutes les règles nécessaires pour permettre aux utilisateurs de communiquer entre eux.

[61] Lorsqu'elle est acheminée par Internet vers sa destination, l'information est toujours comprimée en un certain nombre de petits paquets. Bien qu'ils aient tous la même destination, les paquets peuvent être acheminés séparément et être rassemblés sous leur forme originale une fois que l'ensemble ou la plupart d'entre eux sont parvenus à destination. À chaque point de transmission se prend une décision qui détermine le prochain itinéraire du paquet. Ce mode de transmission a été conçu à l'origine pour assurer l'intégrité des communications militaires advenant la destruction d'une ou plusieurs stations de transmission. Le système ne peut obéir à des instructions préalables pour déterminer un itinéraire précis pour l'ensemble de la transmission par Internet. L'expéditeur et le destinataire peuvent contrôler l'acheminement des paquets sur certains tronçons, mais ils ne peuvent attribuer un itinéraire prédéterminé à l'ensemble de la transmission.

[62] L'itinéraire suivi pour raccorder des utilisateurs qui désirent communiquer entre eux d'une façon ou d'une autre (courriel, groupes de discussion, sites Web) est forcément complexe. Il n'y a pas de liaison directe entre deux points; il y a plutôt une suite de connexions qui s'établissent grâce à un ensemble de composantes distinctes.

[63] Le premier maillon dans cette chaîne consiste à établir une liaison avec Internet. L'internaute typique (16) n'a pas directement accès à Internet; il fait appel à un fournisseur de services Internet (FSI) qui lui fournit une porte d'accès. La liaison avec le FSI implique la conversion par modem (17) de l'information numérique transmise par l'ordinateur de l'internaute en signaux analogiques ou numériques qui peuvent être relayés au FSI. Dans la grande majorité des cas, le modem compose le numéro du FSI, établit une liaison par l'intermédiaire du commutateur téléphonique local et attend que le FSI réponde à l'appel. Si le FSI ne dispose pas d'un nombre suffisant de lignes, l'internaute obtient par le truchement de son modem un signal d'occupation et n'est peut-être pas en mesure d'entrer en communication avec son FSI au moment désiré.

[64] Si tout se passe bien, le FSI a une ligne libre et son modem répond à l'appel, établit une liaison et convertit l'information d'entrée sous une autre forme afin qu'elle puisse être transmise par Internet. Il existe d'autres moyens de se raccorder à un FSI (câbles coaxiaux, communications sans fil ou par satellite), mais ceux-ci n'interviennent que dans un pourcentage infime des raccordements. Au moment de l'audience (18), M. Angus estimait à environ 2 à 5 p. 100 le nombre d'internautes qui comptaient sur un autre mode de raccordement que le réseau téléphonique traditionnel pour communiquer avec leur FSI. Ce pourcentage est conforme à ce qu'a constaté M. Klatt alors qu'il exploitait son entreprise. Il était le seul FSI en Colombie-Britannique à offrir une connexion par câble à des clients résidentiels, et au plus 10 p. 100 de ses clients, un sous-ensemble de l'ensemble du marché des FSI en Colombie-Britannique, se sont prévalus de ce service.

[65] Une fois que l'ordinateur de l'internaute est entré en communication avec le FSI, ce dernier établit une liaison avec le réseau Internet proprement dit. Au sein du réseau Internet, l'information doit emprunter divers trajets pour arriver à destination. Ces liaisons sont établies grâce à une série de connexions à haute vitesse sur une voie d'accès qualifiée de dorsale Internet -- c.-à-d., le réseau informatique mondial qui aiguille le trafic Internet. À cause de ces multiples étapes et du recours à divers ordinateurs et dispositifs de commutation, l'expéditeur ou le destinataire ne peuvent arrêter au préalable l'itinéraire que suivront les données sur Internet. À chaque point de liaison, le fournisseur de dorsale Internet achemine les paquets d'information numériques à un autre point.

[66] Au Canada, les points d'accès au réseau et Internet font appel aux mêmes circuits ou lignes que ceux qui servent à l'activité téléphonique. La réalité commerciale est la même que dans le cas des internautes désireux d'entrer en communication avec leur FSI : une proportion massive des liaisons entre le FSI et le fournisseur de dorsale Internet ou des transmissions entre fournisseurs de dorsale Internet font appel à des circuits qui font, et faisaient, partie intégrante du réseau téléphonique mondial.

iii) World Wide Web

[67] Le World Wide Web (ou, si l'on préfère, le Web) représente une application particulière qui fait appel à Internet pour transmettre et afficher des données, notamment des textes, des graphiques, des signaux audio et vidéo. Il y a deux composantes actives sur le Web : d'une part, un serveur qui emmagasine et transmet l'information et, d'autre part, un client ou fureteur qui demande, reçoit et affiche l'information obtenue du serveur. Un site Web est un ensemble de fichiers informatiques codés d'une façon particulière (19) afin de permettre de transmettre de l'information sur demande à un fureteur. Les fichiers sont ensuite affichés conformément aux instructions fournies par le créateur du site Web. Chaque site Web a une adresse URL unique, qui ressemble à son adresse Internet. Une fois que la communication avec Internet a été établie, il faut connaître l'adresse URL (20) du site Web qu'on veut consulter pour avoir accès à celui-ci (21).

[68] Une des caractéristiques singulières du World Wide Web est sa capacité d'établir une liaison entre un site (ou un renvoi) et un autre. Un mot, une phrase ou une image graphique peut servir de point d'activation d'informations supplémentaires. Les options d'accès HTTP ou HTML ne sont pas limitées aux documents ou fichiers que renferme le site Web hôte, étant donné qu'une liaison peut être établie avec d'autres sites conçus et contrôlés par d'autres. Cela permet à l'utilisateur d'un site Web de choisir parmi les options de menu offertes sur la page affichée, et de demander d'autres textes, graphiques ou autres éléments d'information qui se trouvent dans le site, ou d'accéder à un autre site Web qui présente de l'intérêt.

[69] Le Tribunal a également entendu une preuve relative à la capacité d'un FSI d'enregistrer ou de conserver en mémoire cache un site couramment consulté afin de pouvoir le mettre sans tarder à la disposition du client qui demande d'y accéder. Ce procédé d'antémémorisation offre un avantage important au FSI qui n'a pas à activer de façon répétée un site hôte populaire. Grâce à ce procédé, le FSI peut réaliser d'énormes gains d'efficacité. De façon générale, le FSI surveillera le site initial afin d'être en mesure de fournir la version la plus récente lorsque des modifications seront apportées.

[70] Il est possible, par ailleurs, de produire des sites miroirs, c'est-à-dire des sites qui sont des répliques exactes d'un site particulier et auxquels des personnes absolument étrangères peuvent accéder. Ces sites doivent eux aussi être constamment tenus à jour. Lorsque le Zundelsite a été l'objet de procédures judiciaires en Allemagne, plusieurs sites miroirs ont vu le jour.

B. Analyse -- A-t-on utilisé un téléphone pour diffuser les documents par Internet?

[71] De l'avis de la Commission, les mots utiliser un téléphone, tels qu'ils figurent au par. 13(1) de la LCDP, signifient communiquer au moyen du réseau téléphonique. Selon cette définition, ce sont les services auxquels on a recourt qui sont déterminants, et non le dispositif qui en bout de ligne raccorde l'individu au réseau.

[72] On a indiqué que cette définition découlait d'une interprétation large de la Loi en fonction de l'objet. En outre, on a soutenu qu'une définition plus restrictive ne permettrait pas d'adapter la Loi à l'évolution de la technologie.

[73] Au cours de l'audience, l'intimé a soutenu que le téléphone ne servait qu'à transmettre la voix ou du son. À l'appui de cette interprétation, il a cité des définitions de dictionnaires, l'opinion de M. Klatt et des précédents connexes.

i) Interprétation législative : la législation sur les droits de la personne doit être interprétée en fonction de l'objet

[74] Le point de départ de tout exercice d'interprétation législative consiste à prendre note des principales règles qui régissent l'interprétation de la législation sur les droits de la personne (22). Les tribunaux ont constamment soutenu que la Loi doit être interprétée en fonction de l'objet et d'une façon compatible avec [ses] objectifs prédominants (23). Il faut donc donner à la Loi une interprétation large et libérale : les droits protégés doivent être interprétés de façon générale, tandis que les moyens de défense et les exceptions doivent l'être de manière étroite.

[75] Dans l'affaire Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor (24), la Cour suprême du Canada a examiné l'objet général de la Loi et plus particulièrement le préjudice dont il est fait mention au par. 13(1). Le juge en chef Dickson, s'exprimant au nom de la majorité, a d'abord rappelé l'objet général de la Loi, tel qu'énoncé à l'article 2, puis a brièvement résumé l'intention du législateur, c'est-à-dire promouvoir l'égalité des chances indépendamment de considérations fondées notamment sur la race et la religion (25). Il a conclu ensuite qu'en adoptant l'art. 13, le Parlement a exprimé l'opinion que la communication téléphonique répétée de messages haineux est contraire à la promotion de l'égalité (26).

[76] L'examen du rapport du Comité spécial de la propagande haineuse au Canada -- le comité Cohen -- a amené le juge en chef Dickson à faire l'observation suivante :

Le comité Cohen a fait remarquer que les individus soumis à la haine raciale ou religieuse risquent d'en subir une profonde détresse psychologique, les conséquences préjudiciables pouvant comprendre la perte de l'estime de soi, des sentiments de colère et d'indignation et une forte incitation à renoncer aux caractéristiques culturelles qui les distinguent des autres. Cette réaction extrêmement douloureuse nuit assurément à la capacité d'une personne de réaliser son propre épanouissement, pour reprendre le terme employé à l'art. 2 de la Loi. Le comité indique en outre que la propagande haineuse peut parvenir à convaincre les auditeurs, fût-ce subtilement, de l'infériorité de certains groupes raciaux ou religieux. Cela peut entraîner un accroissement des actes de discrimination… et même […] le recours à la violence (27).

[77] Le juge en chef Dickson a poursuivi en faisant remarquer que depuis la parution du rapport Cohen, plusieurs groupes d'étude avaient repris la même conclusion, à savoir que la propagande haineuse représente une menace grave pour la société (28). Il a conclu que :

… les messages constituant de la propagande haineuse portent atteinte à la dignité et à l'estime de soi des membres du groupe cible et, d'une façon plus générale, contribuent à semer la discorde entre divers groupes raciaux, culturels et religieux, minant ainsi la tolérance et l'ouverture d'esprit qui doivent fleurir dans une société multiculturelle vouée à la réalisation de l'égalité (29).

[78] Par conséquent, nous devons, lorsqu'on interprète le par. 13(1) de la Loi, garder à l'esprit qu'en promulguant la Loi canadienne sur les droits de la personne, le Parlement a reconnu l'importance de promouvoir l'objectif d'égalité et adopté certaines dispositions législatives visant à assurer le respect de la dignité et de l'autonomie individuelles. On considère notamment comme un acte discriminatoire le fait de communiquer par téléphone de façon répétée des messages haineux (30). Fomenter la haine ou risquer d'exposer des personnes à la haine ou au mépris fondés sur la race, la religion, l'orientation sexuelle ou l'un des autres motifs énumérés sont des gestes qui doivent être perçus comme allant à l'encontre des objectifs généraux de la Loi.

[79] Comme l'a indiqué le juge en chef Dickson dans l'arrêt Taylor, le par. 13(1) vise à pallier un double préjudice. D'abord, il vise à parer aux effets éventuels des messages haineux sur ceux qui les écoutent. Par conséquent, la Loi censure l'incitation à la haine et les actes qu'on pourrait être enclin de poser lorsqu'on est en proie à des émotions intenses comportant une malice extrême envers d'autres personnes du genre de celle dont il est fait mention au par. 13(1) (31).

[80] De toute évidence, les messages qui suscitent des émotions exceptionnellement fortes et profondes de détestation se traduisant par des calomnies et la diffamation (32) minent inévitablement les efforts visant à promouvoir l'égalité. Certains individus qui écoutent des messages haineux sont susceptibles de se livrer à d'autres actes discriminatoires dans divers contextes (emploi, logement, prestation d'autres services normalement offerts au public). Quant aux individus qui demeurent passifs, ils sont susceptibles de percevoir avec haine ou mépris l'objet du message. Ces réactions négatives représentent en soi un pas en arrière sur la route menant à l'égalité. Par conséquent, même si les personnes qui les écoutent n'agiront pas nécessairement sous le coup des émotions qu'ils suscitent, les messages haineux créent une barrière à la promotion de l'harmonie sociale et de la tolérance.

[81] L'utilisation d'un téléphone de façon répétée pour diffuser des messages haineux comporte également des conséquences d'un autre ordre. Ces messages causent une autre forme de préjudice aux personnes qui en sont l'objet. Ils peuvent faire craindre que les personnes qui les écoutent se livrent à des actes de violence ou discriminatoires. Autre élément important, les personnes soumises à la haine éprouvent une réaction extrêmement douloureuse (33). Le simple fait d'être visé et étiqueté publiquement peut miner la dignité individuelle et l'estime de soi. Cela ne se compare pas au fait d'être la tête de Turc du petit dur de l'école. Même si ce dernier et ses amis ne font pas un mauvais parti à la victime par suite des insinuations, les insultes ont pour effet de l'humilier publiquement et de susciter chez elle un sentiment de honte et de crainte.

ii) Interprétation de l'art. 13 à la lueur du préjudice causé

[82] S'il faut prôner une interprétation large, en fonction de l'objet, nous devons interpréter le par. 13(1) de manière à promouvoir le plus possible les objectifs fondamentaux de la Loi. Nous devons être conscients des principes dominants consacrés par la Loi et interpréter le mot téléphone de façon à promouvoir, et non à miner, ces objectifs.

[83] En dernière analyse, le par. 13(1) vise surtout à pallier le préjudice causé par la diffusion de messages susceptibles d'exposer d'autres personnes à la haine ou au mépris. Comme la Loi a été adoptée en vertu de la compétence législative du Parlement, les messages interdits sont forcément limités aux communications téléphoniques, qui relèvent de la sphère de compétence législative du gouvernement fédéral.

[84] En ce qui concerne l'interprétation du par. 13(1) de la Loi, nous sommes d'avis que les mots utiliser un téléphone ont rapport au moyen de communication utilisé par l'intimé, et non pas simplement à l'appareil utilisé par le destinataire du message. C'est le recours au réseau téléphonique en tant que moyen de communiquer des messages haineux qui fait foi d'abord et avant tout; la façon précise dont le destinataire reçoit le message est accessoire par rapport à l'objectif de la Loi. En conséquence, nous interprétons les mots utiliser un téléphone en fonction du mode ou système de transmission sous-jacent.

[85] Nous ne sommes pas persuadés qu'il faille restreindre l'interprétation du mot téléphone à la forme sensorielle dans laquelle le message est exprimé, ni la définir uniquement en fonction de l'appareil utilisé. Le fait que le message soit communiqué oralement (voix) ou visuellement (texte) ne modifie en rien son pouvoir d'influencer le destinataire ou d'humilier le sujet. En outre, l'appareil utilisé pour communiquer n'influe pas sur le caractère préjudiciable du message transmis. Le combiné téléphonique n'est pas le seul moyen efficace de transmettre des messages haineux.

[86] De plus, nous sommes d'avis que l'interprétation que nous avons adoptée est la seule forme d'analyse qui puisse tenir compte facilement des progrès de la technologie et de son rythme d'évolution. Une interprétation statique du par. 13(1), qui restreindrait la définition de la téléphonie à la transmission de la voix au moyen d'un appareil téléphonique classique, réduirait considérablement l'efficacité de la Loi comme moyen de promouvoir l'égalité.

[87] Enfin, une interprétation du mot téléphone fondée sur le mode de transmission sous-jacent est également conforme à la compétence constitutionnelle du Parlement fédéral et définit ce mot par rapport aux limites de sa compétence constitutionnelle. Le fait qu'on fasse expressément mention au par. 13(1) du recours aux services d'une entreprise de télécommunication relevant de la compétence du Parlement renforce notre opinion quant à l'opportunité de donner au mot téléphone une interprétation tenant compte des limites imposées par le gouvernement fédéral en vertu de la répartition constitutionnelle des pouvoirs, qui veut que la Loi ne puisse s'appliquer qu'aux questions relevant de la compétence législative du gouvernement fédéral. À notre avis, l'interprétation que nous avons adoptée est tout à fait conforme à la méthode d'interprétation axée sur le but visé et à la nécessité de restreindre l'application de la Loi aux questions relevant de la compétence législative du Parlement fédéral.

[88] Au regard de la preuve et des arguments qui nous ont été présentés, nous sommes persuadés que les transmissions Internet sont des communications par téléphone au sens du par. 13(1) de la Loi, et que, par conséquent, une interprétation axée sur l'objectif visé englobe la communication répétée de messages haineux par Internet.

iii) Internet fait appel au réseau téléphonique

[89] La preuve qui nous a été présentée nous mène inexorablement à la conclusion que la transmission de données ou les communications par Internet font appel au réseau téléphonique. Ce sont les réseaux téléphoniques qui possèdent et exploitent les composantes structurelles nécessaires aux transmissions. Ces systèmes ont été conçus à l'origine pour transmettre la voix ou le son, mais ils en sont venus au fil du temps à transmettre tout un éventail de signaux différents, notamment des données, des textes ou des graphiques. La réalité commerciale au Canada à l'heure actuelle est la suivante : la plupart des liaisons entre les internautes et leur FSI, ou entre les FSI et la dorsale Internet, ainsi que les transmissions entre fournisseurs de dorsale Internet, font appel au réseau téléphonique.

[90] Internet est une méthode structurée de transmission de fichiers et d'information qui fait appel à un mécanisme complexe de communication entre les ordinateurs et autres types d'appareil. Théoriquement, il s'agit d'une réalité virtuelle et non matérielle. Cependant, afin d'appliquer les règles et d'assurer les liaisons voulues, les données Internet sont transmises au moyen des réseaux existants. On utilise principalement les composantes matérielles du réseau téléphonique traditionnel pour assurer la connectivité entre différents points du réseau Internet (34). Les circuits et les commutateurs utilisés pour les transmissions Internet sont identiques à ceux qui constituent le réseau téléphonique initial. Il se peut que certains éléments de la transmission puissent dans certains cas contourner le réseau téléphonique mais, à toutes fins pratiques, c'est le réseau téléphonique qui achemine les communications Internet.

[91] La capacité du réseau téléphonique de transmettre autre chose que du son ne modifie pas à notre avis la structure sous-jacente servant à effectuer la communication. En fait, les étapes nécessaires pour effectuer une communication Internet ou Web ressemblent énormément à celles qu'implique une communication téléphonique traditionnelle. À l'aide d'un modem, l'utilisateur compose le numéro de son FSI, un modem du FSI répond à l'appel et l'information que demande l'utilisateur est transmise par la dorsale Internet à partir et à destination du site Web demandé. Conformément à la conclusion que nous avons déjà énoncée, les circuits, commutateurs et composantes matérielles qui servent aux communications Internet sont les mêmes que ceux qu'on utilise pour l'activité téléphonique classique.

[92] Bien que certaines liaisons puissent être établies grâce à d'autres modes de transmission (câble coaxial, communications par satellite ou sans fil, etc.), nous ne croyons pas que cela ait une incidence sur ce qu'on devrait considérer comme relevant de la téléphonie. Les protocoles et normes qui définissent Internet rendent impossible le choix d'un itinéraire permettant de contourner entièrement le réseau téléphonique. Une caractéristique essentielle du mode de fonctionnement d'Internet est l'acheminement de paquets individuels à travers une série de connexions; à chaque étape, une nouvelle décision est prise quant au prochain trajet à suivre. Comme nous avons conclu que les transmissions par le biais de la dorsale Internet font invariablement appel au réseau téléphonique, l'acheminement de l'information sur la dorsale Internet, que l'on ne peut contrôler, impliquera donc toujours une communication par téléphone.

iv) La téléphonie ne se limite pas à la transmission de la voix

[93] L'intimé ne nous a pas non plus persuadés que la définition de téléphone se limite à la transmission de la voix. À notre avis, il s'agit là d'une interprétation trop restrictive qui n'est pas conforme à la méthode d'interprétation des lois axée sur l'objectif visé, qui n'est pas adaptée à l'évolution de la technologie et qui ne tient pas suffisamment compte de la prépondérance de la preuve en l'espèce.

[94] L'évolution de la technologie a repoussé les limites de la téléphonie telle qu'on la connaissait initialement et rendu les lignes de démarcation tellement floues qu'il n'est plus exact ni toujours possible de restreindre les applications de la téléphonie à la transmission du son entre deux appareils téléphoniques classiques. Même si l'on opte pour l'interprétation la plus étroite possible, la réalité moderne dans le monde de la téléphonie est telle qu'il existe des applications pour lesquelles on n'a pas du tout recours au téléphone. C'est le cas notamment de la transmission de messages audio électroniques entre un terminal d'ordinateur et un système de messagerie vocale commandé par un autre ordinateur. Par ailleurs, le téléphone ne transmet pas toujours du son; par exemple, les malentendants se servent du téléphone (appareil de télécommunications pour sourds) pour afficher des textes. Nous ne sommes pas du tout disposés à accepter l'argument voulant qu'il faille faire abstraction de ces réalités d'aujourd'hui dans l'interprétation du par. 13(1).

[95] Nous sommes d'autant préoccupés par une interprétation trop étroite du mot téléphone que nous sommes à une époque où l'on assiste à de profondes transformations au niveau des différents modes de communication. Vu l'omniprésence d'Internet, nous sommes persuadés que cette méthode de diffusion des messages haineux est extrêmement pernicieuse. Tous les motifs invoqués dans Taylor en ce qui concerne l'efficacité du téléphone comme moyen de susciter la haine s'appliquent tout autant à Internet: on utilise un moyen public de communication, mais le destinataire du message bénéficie d'un contact direct, en apparence personnel, dans un cadre relativement privé (35).

[96] Même si, à l'instar du Zundelsite, un site Web peut comporter des hyperliens menant à d'autres sites où sont exprimés des opinions et des arguments contraires, on ne nous a pas présenté de preuve quant à la probabilité que les hyperliens soient activés. En outre, les hyperliens n'ont pas à être maintenus et exigeraient que l'auditeur prenne une mesure active afin qu'on lui présente une autre opinion. Quoi qu'il en soit, toute information ou argument présentés sur un site lié seront assurément teintés par l'information lue sur le premier site. Pour toutes ces raisons, l'existence d'un hyperlien ne constitue pas à notre avis une raison suffisante pour distinguer les messages traditionnels laissés sur un répondeur de ceux qu'on laisse sur un site Web.

[97] Si Internet est susceptible de poser une plus grande menace par rapport aux objectifs de la Loi, c'est en raison de la quantité d'information qu'on peut communiquer et de la facilité avec laquelle on peut le faire. Grâce aux moteurs de recherche, on peut faire des recherches par mot clé ou sujet, et quiconque est intéressé peut accéder au site à volonté. Une fois qu'un site Web a été établi, il est très facile de transmettre ou de recevoir des messages. L'utilisation du site ne dépend pas non plus de la publication d'un numéro ou d'une adresse URL. Une fois dans le site, on peut obtenir une quantité d'information beaucoup plus grande que celle que renferme un message téléphonique préenregistré.

[98] Nous sommes conscients que la Cour suprême du Canada, dans l'affaire Taylor, a concentré son analyse sur l'utilisation d'un répondeur téléphonique pour transmettre des messages préenregistrés. Toutefois, rien dans cette décision ne restreint à notre avis l'application du par. 13(1) à ce type d'appareil. Comme nous l'avons déjà indiqué, les principes directeurs énoncés par la majorité dans Taylor étayent la conclusion que nous avons tirée en ce qui touche les aspects de la plainte liés à l'interprétation de la Loi. Il nous reste à examiner cette conclusion dans le contexte de la requête en inconstitutionnalité présentée par l'intimé.

[99] Me Christie, en présentant sa requête préliminaire visant à rejeter les plaintes, a également fait valoir des arguments fondés sur un certain nombre de précédents dans lesquels on fait une distinction entre les mots téléphonique et électronique (36). Nous n'avons pas examiné ces arguments à l'étape de la requête préliminaire, car nous jugions que c'était prématuré; il convient de le faire maintenant. Dans les précédents en matière fiscale qu'on a cités, la loi pertinente établissait une distinction entre les processeurs électroniques et les appareils téléphoniques électriques. Il n'est pas étonnant que la Cour ait statué, dans l'un et l'autre cas, que les systèmes informatisés de communications d'affaires, les modems et autres périphériques ont été considérés à juste titre comme du matériel électronique et non comme des téléphones.

[100] Ces précédents ne nous sont guère utiles aux fins d'une analyse fondée sur l'objet. La Cour devait déterminer le niveau d'imposition approprié pour chaque type d'appareil, en fonction d'un tarif qui a pour objet de faire la distinction entre des centaines d'articles techniques (37). On a établi différentes catégories en fonction expressément du genre d'appareil ou d'équipement. Compte tenu de l'objet de la loi pertinente, il fallait que la définition porte sur le genre d'appareil dont il s'agissait, et non sur le mode de transmission. L'examen des précédents cités ne modifie pas notre opinion voulant qu'aux fins de l'interprétation du par. 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, l'élément pertinent soit la communication de messages haineux; par conséquent, c'est le mode de transmission qui fait foi, et non le type d'appareil à proprement parler.

v) Preuve d'expert et définitions de dictionnaires

[101] À l'appui de sa position, Me Christie a également cité des définitions de dictionnaires et la preuve d'expert présentée par M. Klatt. Nous avons déjà traité de la preuve et des opinions d'expert présentées par MM. Klatt et Angus. Ces témoins experts ne s'entendaient pas sur la définition du mot téléphone. Le principal point de désaccord avait trait à la question à savoir si une communication par téléphone implique la transmission non seulement de sons, mais aussi de données. L'un et l'autre ont convenu qu'il existe une application particulière qu'on désigne sous le nom de téléphonie sur Internet, qui permet aux utilisateurs de tirer avantage d'Internet pour les communications sonores en temps réel. Les participants recourent à Internet pour faire des appels téléphoniques et éviter ainsi d'avoir à payer les frais habituels. Cependant, aucun des deux témoins n'a présenté une définition commune du mot téléphone.

[102] Selon M. Angus, la téléphonie consiste à transmettre à distance un vaste éventail de signaux (voix, données, signaux vidéo ou graphiques, etc.). Pour sa part, M. Klatt n'a pas démordu, insistant sur le fait que la définition reconnue de téléphonie et de téléphonique ne s'appliquait qu'à la transmission de la voix ou d'autres sons.

[103] Dans les cas où le Tribunal doit choisir entre des preuves contradictoires présentées par ces deux témoins, nous n'avons aucune hésitation à conclure que le témoignage d'expert fourni par M. Angus était plus instructif et digne de foi. La preuve présentée par M. Bernard Klatt ne nous a guère été utile. M. Klatt a démontré au cours de son témoignage une connaissance très élémentaire de son domaine de spécialisation. Confronté à diverses définitions de dictionnaires, il a admis dans la plupart des cas qu'il n'en avait pas pris connaissance avant de se préparer à cette audience. Du point de vue du Tribunal, il a semblé incapable de fournir beaucoup d'informations si l'on fait exception des documents écrits que lui a soumis Me Christie.

[104] Au cours du contre-interrogatoire, M. Klatt s'est fréquemment montré argumenteur, évasif et incapable de répondre à des questions élémentaires dans son domaine. Le Tribunal a trouvé particulièrement inquiétant le fait que ce témoin répondait comme s'il était un défenseur de l'intimé plutôt qu'un témoin objectif et indépendant. Dans ses réponses, la formule nous soutenons revenait sans cesse; de plus, M. Klatt faisait très souvent allusion à la cause commune qu'il défendait avec l'intimé.

[105] Contrairement à celui de M. Klatt, le témoignage de M. Angus a été direct, étoffé et bien réfléchi. Eu égard aux réserves exprimées en ce qui touche le témoignage de M. Klatt, le Tribunal préfère celui de M. Angus pour ce qui est des points où les deux experts divergent d'opinion.

[106] Nonobstant notre conclusion quant à l'utilité relative des témoignages d'expert, le sens que la Loi donne au mot téléphone est une question que ce Tribunal doit trancher en fonction de la preuve, des arguments des parties et de l'application régulière des principes juridiques pertinents. Les avis des experts en télécommunications ou les définitions de dictionnaires que ces experts ont présentées peuvent tout au plus fournir une définition technique. Compte tenu du rythme auquel la technologie évolue, les définitions de dictionnaires fournies par les parties ont au mieux permis de jeter par le rétroviseur un regard furtif sur l'état de la technologie des télécommunications. Étant donné que notre tâche consistait à interpréter le mot téléphone dans le contexte particulier du par. 13(1) de la Loi, nous n'avons guère trouvé utiles les définitions de dictionnaires citées à l'audience. Elles ont présenté un certain intérêt, mais elles sont loin d'avoir été déterminantes.

[107] La méthode que nous avons adoptée, qui met l'accent sur une interprétation du par. 13(1) axée sur l'objet, est conforme aux observations formulées par le juge Evans, de la Section de première instance de la Cour fédérale, dans l'affaire Zündel c. Canada (Procureur général). Même s'il ne cherchait qu'à déterminer s'il existait un motif rationnel pour conclure qu'une communication Internet pouvait être considérée comme une communication téléphonique, le juge Evans a émis des commentaires au sujet de la valeur des définitions de dictionnaires comme celles qui lui avaient été soumises -- et qui nous ont été présentées en l'espèce :

Bien sûr, les dictionnaires ont encore un rôle à jouer dans l'interprétation du texte des dispositions législatives, plus particulièrement pour ce qui est de déterminer quels sens un mot peut avoir dans la langue courante. Ce rôle perd toutefois de l'importance, car les cours tentent de plus en plus de déterminer le sens d'un texte législatif en accordant un poids accru au contexte de la loi dans laquelle figurent les mots en cause et à l'objet du régime législatif sous-jacent (38)

2. Le Zundelsite recourt-il ou fait-il recourir aux services d'une entreprise de télécommunication relevant de la compétence du Parlement?

[108] Nous avons déjà conclu que la preuve établit qu'Internet fait appel au réseau téléphonique pour transmettre des données. Au regard de la preuve qui nous a été présentée, nous sommes persuadés également que lorsqu'on utilise le réseau téléphonique pour communiquer par Internet, on recourt ou on fait recourir aux services d'une entreprise de télécommunication relevant de la compétence du Parlement.

[109] En parvenant à cette conclusion, nous avons également tenu compte de la possibilité que d'autres genres de connexions Internet puissent être établies (p. ex., communications par câble, par satellite ou sans fil). Il est permis de croire que, dans certaines régions géographiques, les connexions initiales puissent être établies sans faire appel aux composantes matérielles du réseau téléphonique, et que le raccordement à la dorsale Internet puisse se faire en dehors du Canada. Du point de vue purement théorique, on peut imaginer qu'un utilisateur qui se trouve au Canada puisse avoir accès au Zundelsite sans recourir ou faire recourir aux services d'une entreprise de télécommunication relevant de la compétence du Parlement.

[110] L'expert de l'intimé a reconnu que c'était possible en théorie, mais il n'a pas été en mesure d'entrer dans les questions de fond. Nonobstant ce scénario hypothétique, on ne nous a présenté aucun élément de preuve démontrant que ce scénario s'était réalisé; au regard des éléments de preuve qui nous ont été soumis, nous estimons qu'un tel scénario est très peu plausible. La grande majorité des internautes au Canada accèdent à Internet par une liaison téléphonique classique : ils entrent en communication par téléphone avec leur fournisseur de services Internet, qui utilise ensuite des lignes téléphoniques pour les raccorder à la dorsale Internet. Presque toutes ces liaisons se font à l'intérieur du Canada. Bien que le raccordement des internautes canadiens puisse faire appel jusqu'à un certain point à des services extra-territoriaux, nous ferons remarquer que le libellé anglais du par. 13(1) précise que la communication doit être acheminée in whole or in part (en totalité ou en partie) par une entreprise de télécommunication sous réglementation fédérale (39).

3. L'intimé a-t-il fait utiliser un téléphone de façon répétée?

[111] Nous ferons remarquer qu'on n'a pas soulevé durant l'audience la question à savoir si en affichant des documents sur le Zundelsite, on utilisait un téléphone de façon répétée. On s'est beaucoup attardé à la question de l'utilisation d'un téléphone à proprement parler, mais il ne semble pas y avoir eu vraiment de désaccord au sujet du caractère répétitif de cette utilisation.

[112] L'utilisation d'un téléphone de façon répétée constitue l'une des exigences énoncées au par. 13(1); nous concluons qu'on a bel et bien utilisé un téléphone de façon répétée pour diffuser les documents du Zundelsite. Nous avons entendu un certain nombre de témoins, dont le maire Barbara Hall, Ian Angus et Carl Hamilton, qui ont affirmé avoir eu accès à différentes occasions aux documents litigieux qui se trouvaient sur le Zundelsite.

[113] En outre, nous ferons observer qu'Internet, de par sa nature même, implique inévitablement et délibérément la notion de répétition. La preuve relative au World Wide Web établit qu'il existe une application qui permet expressément de transmettre et d'afficher des textes, des graphiques et des fichiers audio ou vidéo sur Internet. Cette technologie vise à faciliter l'exploration de l'information affichée sur un site donné ainsi que la transmission de cette information de façon répétée. L'un des avantages clés d'Internet est qu'il constitue un moyen peu coûteux de diffuser de l'information à grande échelle. Nous sommes donc convaincus qu'on a utilisé un téléphone de façon répétée pour diffuser les documents du Zundelsite.

[114] Au cours de l'interrogatoire principal de l'expert de l'intimé, M. Bernard Klatt, on a laissé entendre qu'un site Web est passif et que c'est l'internaute qui fait utiliser un téléphone. Autrement dit, même si l'on affiche sur un site de l'information susceptible d'être transmise, c'est le fureteur qui demande l'information et qui, par conséquent, fait utiliser un téléphone.

[115] Nous ne voyons pas de différence entre cette description de l'utilisation qui est faite d'un téléphone et ce qui se produit lorsque quelqu'un compose un numéro de téléphone et écoute un message préenregistré. Dans les deux cas, le message demeure à l'état latent jusqu'à ce qu'il soit activé par la connexion téléphonique; toutefois, on étirerait le sens que la Loi donne aux mots le fait d'utiliser ou de faire utiliser un téléphone si on mettait l'accent sur le destinataire plutôt que sur l'expéditeur des messages interdits. Comme nous l'avons déjà affirmé plus haut, le par. 13(1) de la Loi a pour objet d'empêcher la diffusion de messages haineux. L'interprétation soumise par l'intimé ne permettrait pas d'atteindre cet objectif.

[116] En l'espèce, la création d'un site Web et le codage de l'information conformément aux protocoles courants ont pour seul objectif d'en permettre la transmission et l'affichage par un internaute qui demande d'y avoir accès. À notre avis, cela ne signifie pas que c'est l'internaute qui a fait utiliser un téléphone. Les personnes qui conçoivent et contrôlent le site Web sont en fin de compte ceux qui diffusent à d'autres les documents destinés à leur être communiqués.

4. Conclusion

[117] Ayant examiné l'ensemble de la preuve et les divers arguments des parties, nous concluons que, pour transmettre par Internet les documents du Zundelsite, l'on a utilisé un téléphone de façon répétée en recourant aux services d'une entreprise de télécommunication relevant de la compétence du Parlement.

VII. LES DOCUMENTS QUE RENFERME LE ZNDELSITE SONT-ILS SUSCEPTIBLES D'EXPOSER À LA HAINE OU AU MÉPRIS DES PERSONNES APPARTENANT À UN GROUPE IDENTIFIABLE SUR LA BASE DES CRITÈRES ÉNONCÉS À L'ARTICLE 3?

1. Les documents sont-ils susceptibles d'exposer une ou plusieurs personnes à la haine ou au mépris?

A. Preuve

i) Documents

[118] La Commission a présenté un recueil contenant des copies des documents téléchargés à partir du Zundelsite (40). Il s'agissait de documents qui ne pouvaient être cités intégralement ou mis en annexe parce qu'ils étaient trop volumineux. Cependant, ces documents, qui ont été versés au dossier, peuvent être facilement résumés. Essentiellement, on distingue deux catégories de documents : les articles quasi scientifiques contestant l'exactitude des faits entourant l'holocauste (41) et les messages directs dans lesquels M. Zündel ou ses partisans expriment des opinions personnelles et décrivent leurs expériences courantes à titre de révisionnistes de l'holocauste (42).

[119] Certains thèmes sont communs à tous les documents. Les événements de la Seconde Guerre mondiale et la remise en question de l'exactitude de l'opinion dominante quant au traitement des Juifs par les Allemands constituent les principaux thèmes. Cette remise en question s'appuie sur l'affirmation que les Juifs, individuellement et collectivement, ont délibérément promu une fausse version de l'histoire afin d'en retirer un avantage personnel sous forme de réparations.

[120] Beaucoup de documents du site, particulièrement les Power Letters et les ZGrams, renferment certains commentaires relativement inoffensifs sur une foule d'aspects de la vie quotidienne de M. Zündel. On y retrouve immanquablement les thèmes mentionnés ci-dessus. Les exemples suivants de commentaires communiqués par le Zundelsite sont tirés d'un certain nombre de messages dont M. Zündel est l'auteur :

[Traduction]

a) La thèse que défend sans cesse le lobby décriant l'holocauste voulant que le seul but des Allemands au cours de la Seconde Guerre mondiale était d'exterminer les Juifs comme groupe est une supercherie au plan financier, politique, affectif et spirituel. L'holocauste, qu'on a d'abord qualifié de tragédie dans la propagande, est devenu au fil du temps une manœuvre voilée par les principes d'une nouvelle religion temporelle -- … (43)

b) L'État allemand est comme une grande compagnie d'assurance qui, sans avoir mené de véritable enquête légale, a réglé de façon négligente et imprudente une demande d'indemnisation relative aux causes de l'holocauste sur la foi uniquement de faux témoignages de présumés témoins oculaires, et qui a admis leurs arguments factices, leurs factures forgées et leurs pseudo-preuves de pertes. …

En deux mots, le problème est que la survie de l'oligarchie allemande et des escrocs juifs/sionistes/marxistes qui ont berné les Allemands, les Américains et en fait le monde entier avec leur plan d'extorsion axé sur l'holocauste est subordonnée au non-dévoilement de cette manœuvre frauduleuse et parasitaire (44).

c) Les ennemis de la liberté, de la civilisation, de la culture et de notre race que le gouvernement allemand a clairement et courageusement dénoncés de 1933 à 1945 sont encore en guerre contre nous -- tous ceux d'entre nous, qu'ils soient allemands, canadiens, américains, russes, britanniques, français, italiens, etc., qui défendent et désirent protéger la civilisation occidentale contre la judaïsation et la circoncision mentale et spirituelle de tout ce qui nous est cher. Nos ennemis poursuivent inlassablement leur offensive destructive. Ils savent ce qui est en jeu (45)!

d) En fait, le lobby juif -- ou le lobby israélien, comme certains se plaisent à l'appeler -- a depuis longtemps coutume de mentir aux Américains qui ne sont pas d'origine juive. Ils nous ont menti au sujet d'Hitler et de l'Allemagne socialiste nationale parce qu'ils voulaient que l'Amérique parte en guerre contre Hitler pour éliminer cette menace qui planait sur leurs stratagèmes. Ils nous ont menti au sujet du rôle qu'ils ont joué dans la conspiration communiste qui, à partir de Londres et New York, s'est propagée à la Russie et, de là, à d'autres pays jusqu'à ce qu'elle engloutisse la moitié du globe et fasse perdre des dizaines de millions de vies humaines. Ils nous ont menti au sujet de beaucoup d'autres choses, notamment en racontant le mensonge le plus infâme et le plus lucratif : le soi-disant holocauste (46).

e) Il y a toujours cette dernière paille qui brise le dos du chameau!

On a observé la même tendance dans la République de Weimar, où les éléments juifs jouissaient d'un immense pouvoir, dans divers pays bolcheviques où ils ont perdu leur pouvoir quasi absolu en raison de leurs propres excès, au cabinet Clinton, où les Juifs -- qui ne représentent que 5 p. 100 de la population américaine, si vous ajoutez foi à ces pseudo-statistiques qui ne tiennent pas compte de tous les survivants de l'holocauste -- occupent maintenant, à la faveur de nominations grotesques, 50 p. 100 des postes, sans parler des autres nominations ailleurs. On ne peut qu'en déduire que les citoyens américains qui ne font pas partie de ce petit groupe tribal sont considérés comme incompétents ou stupides et indignes d'occuper un poste au cabinet!

Aiment-ils cela? Bien sûr que non! Mes amis américains me disent que l'Amérique est profondément indignée! Au Canada, le pouvoir de cette tribu est plus occulte et n'est pas aussi impudent. Toutefois, rares sont ceux qui pensent encore s'être fait bernés.

Je prédis que la victoire quasi totale de la tribu se traduira une fois de plus par un désastre quasi mondial. Dans l'humanité, et dans la nature, IL N 'Y A RIEN D'ÉTERNEL (47).

Et, enfin :

f) Jusqu'à maintenant, l'histoire de l'holocauste et la mainmise des Juifs sur les médias dans beaucoup de régions du monde a empêché qu'ils soient démasqués -- mais voilà que maintenant leurs défenses tombent, car on découvre chaque jour d'autres méfaits, d'autres escroqueries, d'autres manœuvres frauduleuses, d'autres mensonges, d'autres supercheries -- et d'autres crimes commis contre les Allemands, les Palestiniens, les Libanais, les Irakiens et les infortunés Russes durant leur règne de terreur et de destruction dans les pays bolcheviques.

Le jour du Jugement global est en train de naître. Le siècle juif tire à sa fin. L'ère de vérité approche! Nous serons les annonciateurs de cette ère nouvelle.

Merci.

Ernst Zündel (48)

ii) Experts de la Commission : professeurs Prideaux et Schweitzer

[121] La Commission a appelé deux témoins experts (49), soit les professeurs Prideaux et Schweitzer, pour appuyer son argument voulant que les documents en question soient susceptibles d'exposer les Juifs à la haine et au mépris. Les deux témoins ont examiné les documents du Zundelsite et les ont analysés en fonction de leur domaine de spécialisation. Les passages représentatifs cités dans la section précédente mettent en lumière un grand nombre de stéréotypes et de procédés de langage dont les témoins experts de la Commission ont traité.

a) L'analyse du discours (professeur Prideaux)

[122] Le professeur Gary Prideaux a témoigné à titre d'expert en analyse du discours, une discipline qui relève de la linguistique et qui consiste à examiner des exposés écrits ou oraux afin de déterminer les méthodes utilisées par leurs auteurs et leurs destinataires pour exprimer et comprendre le message. Il s'agit de choisir un texte et d'en analyser le sens en fonction des principes linguistiques d'application générale et des figures de rhétorique employées pour nuancer le sens d'affirmations neutres par ailleurs. La compréhension de ces principes généraux et figures de rhétorique permet d'interpréter le texte et de déterminer l'effet probable du message.

[123] M. Prideaux a décrit un certain nombre de techniques employées pour mettre en relief le sens d'un message oral ou écrit et faire en sorte que le destinataire puisse bien le saisir et l'interpréter.

  1. Certaines techniques (généralisation, emploi des guillemets, etc.) peuvent rendre un message plus percutant et susciter un sentiment de crainte.
  2. Le choix du vocabulaire peut refléter l'opinion de l'auteur au sujet d'un groupe ou d'un événement particuliers.
  3. L'emploi répété de certains mots ou idées aide à donner une plus grande crédibilité à l'auteur et à convaincre le lecteur de la véracité d'un fait ou d'une affirmation.
  4. Une autre technique consiste à cibler un groupe particulier.
  5. Le codification et l'emploi de la métaphore permettent de faire des associations d'idées négatives et d'opérer des transferts de sens par substitution analogique.
  6. L'inversion, qui consiste à inverser une idée assez répandue, afin que la victime traditionnelle, par exemple, devienne l'agresseur et l'agresseur, la victime.
  7. La métonymie ou la généralisation à outrance permettent de donner des connotations péjoratives à divers types de comportement ou de projeter une image négative d'un groupe de personnes à partir d'un acte ou d'un exemple particuliers.

[124] M. Prideaux a analysé la structure, la teneur et l'effet probable des documents du Zundelsite au regard de ces principes et d'autres principes d'analyse du discours. Il a conclu que ces documents étaient susceptibles d'exposer les Juifs à la haine et au mépris. Leur analyse a révélé une tendance à cibler les Juifs et à les dépeindre sous un très mauvais jour en tant que groupe et individus. Le témoin a fourni de nombreux exemples où l'auteur a utilisé différentes figures de rhétorique pour parler des Juifs sur un ton vraiment méprisant.

[125] Cet expert a reconnu un procédé de langage courant dans la formulation des questions relatives à l'existence ou à l'ampleur de l'holocauste. Trois articles quasi scientifiques (Jewish Soap, 66 Questions and Answers, Did Six Million Die) ont été qualifiés par M. Prideaux de documents cadres servant à définir le contexte de nombreux autres documents publiés dans le site. Dans ces textes, les auteurs amènent le lecteur à s'interroger sur les divers aspects de l'holocauste en semant le doute sur certains d'entre eux. Le message subtil est que l'holocauste proprement dit est douteux; de l'avis du professeur Prideaux, le fait de soulever ces doutes a au moins pour effet de réduire considérablement le sentiment d'horreur qu'inspirent les événements survenus.

[126] M. Prideaux a qualifié ces textes de foncièrement polémiques, précisant que leurs auteurs emploient des termes saisissants et incendiaires que l'on ne trouve pas habituellement dans des ouvrages didactiques. Les faits ou références historiques ne sont pas étayés par des citations ou des renvois à des ouvrages de référence, et les déclarations vont au-delà de l'interprétation logique qu'on pourrait donner à la matière traitée. Néanmoins, le ton doctrinaire utilisé dans ces documents donne à ceux-ci un air de légitimité et établit le contexte dans lequel les messages subséquents seront transmis.

[127] Dans son témoignage, M. Prideaux a également fourni d'autres exemples (50) de procédés utilisés dans les textes du Zundelsite susceptibles d'exposer les Juifs à la haine ou au mépris :

  1. l'emploi de certaines épithètes (juif, holocauste, lobby sioniste ou marxiste);
  2. l'emploi fréquent des guillemets pour susciter un sentiment de crainte et exprimer des doutes au sujet de l'holocauste ou de ses survivants;
  3. les assertions non motivées à propos du contrôle et de l'influence des Juifs;
  4. le recours à l'inversion pour faire de ceux qui sont généralement considérés comme les victimes de l'Allemagne nazie les agresseurs et faire des agresseurs les victimes;
  5. l'attribution, de façon implicite ou explicite, de défauts à l'ensemble des Juifs en faisant référence à une personne qui présente ces lacunes.

[128] Enfin, M. Prideaux a exprimé l'opinion que la lecture d'un seul des documents que renferme le Zundelsite ou l'effet cumulatif de la lecture d'un grand nombre ou de l'ensemble de ces documents ont une incidence néfaste considérable.

b) Thèmes antisémites historiques (professeur Schweitzer)

[129] Le professeur Frederick Schweitzer, historien au collège Manhattan à New York, a été cité comme expert dans le domaine de l'antisémitisme et des relations judéo-chrétiennes. Il a fourni un aperçu historique des thèmes propres à l'antisémitisme classique et décrit les antécédents de violence à l'endroit des Juifs à travers l'histoire ainsi que le rapport entre ces épisodes de violence et certaines périodes de l'histoire de l'antisémitisme.

[130] M. Schweitzer a retracé l'historique d'un bon nombre de thèmes -- ou de variantes de thèmes -- antisémites qui ont marqué tant l'histoire médiévale que l'histoire moderne. Certains thèmes centraux correspondant à des stéréotypes très précis sont apparus puis sont réapparus sous des formes plus contemporaines :

  1. le Juif déicide (meurtrier du Christ);
  2. le Juif talmudique (qui est contraint par sa religion à faire du mal, à tricher, à mentir et à escroquer les non-Juifs);
  3. le Juif criminel;
  4. le Juif dominateur du monde;
  5. le Juif de l'holocauste.

[131] Après avoir examiné les documents du Zundelsite, M. Schweitzer a conclu qu'ils étaient farouchement antisémites, car ils reflétaient un grand nombre des thèmes antisémites classiques qui ont marqué l'histoire. Plus précisément, il a cité au Tribunal les exemples suivants :

  1. les Juifs sont qualifiés de criminels, de voyous, de gangsters et d'escrocs;
  2. les Juifs sont constamment décrits comme des menteurs qui ont fabriqué le plus gros des mensonges, l'holocauste, afin de soutirer de l'argent sous forme de réparations et de promouvoir leurs intérêts personnels;
  3. les Juifs ont, et cherchent à obtenir, une influence et un degré de contrôle disproportionnés au sein des médias et du gouvernement;
  4. les Juifs sont responsables de l'humiliation des Allemands;
  5. les Juifs sont des parasites qui représentent une menace pour le monde civilisé.

B. ANALYSE

i) Critère juridique : par. 13(1)

[132] Constitue un acte discriminatoire en vertu de la Loi le fait de communiquer des messages haineux ou, pour reprendre les termes de la Loi, d'utiliser ou de faire utiliser un téléphone de façon répétée pour aborder ou faire aborder des questions susceptibles d'exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable sur la base des critères énoncés à l'article 3.

[133] Nous avons déjà conclu qu'on a utilisé un téléphone de façon répétée. Il s'agit maintenant de se demander si les documents diffusés sont susceptibles d'exposer une personne ou un groupe de personnes à la haine ou au mépris. Il ressort clairement des précédents mettant en cause cet article et du langage clair utilisé au par. 13(1) qu'il n'est pas nécessaire de prouver que les documents diffusés ont suscité ou susciteront de la haine ou du mépris. Il suffit d'établir, selon la prépondérance des probabilités, qu'une personne ou un groupe de personnes sont susceptibles d'être exposés à ces sentiments extrêmes d'hostilité.

[134] Pour notre propos, il suffit que la diffusion des documents dont il s'agit crée un climat propice à la fomentation de la haine et rende ainsi le groupe identifiable susceptible d'être soumis à une malice et une hostilité extrêmes. Nous devons déterminer si les membres d'un groupe risquent d'être haïs et méprisés en raison des messages transmis par l'intimé (51).

ii) Définition des mots haine et mépris

[135] Dans Taylor, la Cour suprême du Canada a cité à juste titre les définitions de haine et de mépris que le Tribunal a données dans l'affaire Nealy c. Johnson (52).

Le terme hatred connote un ensemble d'émotions et de sentiments comportant une malice extrême envers une autre personne ou un autre groupe de personnes. Quand on dit qu'on hait quelqu'un, c'est que l'on ne trouve aucune qualité qui rachète ses défauts. Toutefois, il s'agit d'un terme qui ne fait pas appel nécessairement au processus mental de regarder quelqu'un de haut. Il est fort possible de haïr quelqu'un que l'on estime supérieur à soi en intelligence, en richesse ou en pouvoir. Aucun des synonymes utilisés dans le dictionnaire pour le terme hatred ne donne d'indice sur les motifs de la malice. Par contraste, contempt est un terme qui suggère le processus mental consistant à regarder quelqu'un de haut ou à le traiter comme inférieur.

[136] Après avoir fait référence à l'interprétation du par. 13(1) de la Loi par le Tribunal, le juge en chef Dickson a résumé le mode d'application de ce paragraphe aux messages susceptibles de susciter des émotions exceptionnellement fortes et profondes de détestation se traduisant par des calomnies et la diffamation (53). Compte tenu de cette définition, nous devons examiner les documents du Zundelsite pour déterminer s'ils sont susceptibles d'exposer un groupe identifiable à la haine, c'est-à-dire à une malice extrême, à la détestation, à l'inimitié ou à la malveillance, ou si le groupe en question risque d'être perçu de façon méprisante, regardé de haut ou traité comme inférieur.

iii) Ces documents sont-ils susceptibles de susciter des émotions exceptionnellement fortes et profondes de détestation se traduisant par des calomnies et la malveillance?

[137] Notre analyse a commencé par un examen des documents du Zundelsite et des thèmes interreliés des messages qu'ils contenaient. Le thème prédominant est l'éternelle remise en question de la vérité quant au degré de persécution des Juifs dans l'Allemagne nazie durant la Seconde Guerre mondiale. Presque tous les aspects de l'holocauste sont remis en question : le nombre de victimes, la façon dont elles sont décédées, les causes de leur décès et la fiabilité des récits des témoins, des survivants, des confesseurs et des disparus. On remet en question la légitimité de l'analyse juridique et historique d'après-guerre, ainsi que sur la véracité d'une foule de détails concernant ce que les Juifs ont vécu.

[138] Le thème secondaire, qui est étroitement lié au premier, est l'affirmation que la vérité doit être révélée mais que ceux qui tirent profit de l'opinion généralement répandue au sujet de l'holocauste ont contré les efforts en ce sens. On fait sans cesse état des avantages personnels et collectifs que les Juifs et Israël ont retirés en continuant de promouvoir leur version de l'holocauste.

[139] Les Juifs sont traités de menteurs, d'escrocs et d'extorqueurs. Ils sont accusés de détenir une influence et une emprise extraordinaires qu'ils utilisent uniquement à leur avantage et au grand détriment des autres. Les Juifs sont décrits comme des criminels et des parasites qui s'emploient à l'échelle du globe à accroître leur influence et leur richesse. Le peuple juif est l'objet dans le Zundelsite d'attaques vicieuses en raison de ses liens religieux et culturels.

[140] Les messages transmis dans ces documents comportent des affirmations très précises -- toutes aussi malveillantes les unes que les autres -- au sujet des Juifs et de leur comportement. Les Juifs sont vilipendés avec une hargne et une malice extrêmes qui n'admettent chez eux aucune qualité qui rachète leurs défauts. Ayant lu les documents du Zundelsite, nous sommes persuadés que le critère énoncé dans Nealy, et sanctionné dans Taylor, est satisfait. À notre avis, ces messages créent un climat susceptible d'exposer les Juifs à des émotions extrêmement fortes de détestation se traduisant par la diffamation. Compte tenu de notre opinion selon laquelle les documents du Zundelsite décrivent les Juifs comme des menteurs, des tricheurs, des criminels et des escrocs qui se livrent délibérément à une fraude monumentale dans le but d'extorquer des fonds, il est fort probable à notre avis que les lecteurs auront très peu d'estime pour les Juifs et éprouveront à leur endroit du mépris, du dédain, de la haine, du dégoût et de la répugnance.

[141] Les témoignages rendus par les professeurs Prideaux et Schweitzer à titre d'experts nous confortent dans notre opinion que les documents du Zundelsite sont susceptibles d'exposer les Juifs à la haine ou au mépris. Le témoignage du professeur Prideaux et l'emploi de figures de rhétorique pour cibler et déprécier les Juifs appuient notre propre interprétation des documents du Zundelsite. Le professeur Prideaux a fourni un certain nombre d'exemples détaillés à l'appui de son opinion d'expert voulant que les documents du Zundelsite soient susceptibles d'exposer les Juifs à la haine et au mépris. En outre, nous constatons d'étonnantes similitudes entre les propos qu'on trouve dans les documents du Zundelsite et les thèmes antisémites classiques décrits par le professeur Schweitzer. Les témoignages des experts ont à notre avis été utiles mais, en fin de compte, c'est le langage utilisé dans les documents proprement dits qui nous a persuadé que ceux-ci portent atteinte au par. 13(1) de la Loi. Ces messages, à cause du ton utilisé et de leur teneur, dénotent une telle malveillance dans la façon dont les Juifs sont dépeints que nous les considérons comme des messages haineux au sens de la Loi.

[142] Avant de parvenir à notre conclusion, nous avons examiné tous les documents que renferme le recueil déposé en preuve (pièce HR-2). Certes, les documents du Zundelsite renferment de longs passages qui, en l'absence d'autres références, ne seraient pas considérés comme l'expression d'une malice extrême conformément à l'esprit de l'art. 13. Cependant, lorsque nous les lisons en bloc, comme nous devons le faire à notre avis, il ne fait aucun doute que les messages communiqués par le Zundelsite sont susceptibles d'exposer les Juifs à la haine et au mépris. Presque tous les documents qui nous ont été présentés sont imprégnés de la haine dont le site est empreint.

[143] À un moment donné au cours des procédures, l'avocat de l'intimé a donné à entendre que si les documents du Zundelsite sont susceptibles d'exposer une personne ou un groupe de personnes à la haine ou au mépris, ce n'est pas parce qu'elles sont identifiables sur la base des critères énoncés à l'article 3, mais plutôt en raison des conséquences directes de leur propre comportement. Autrement dit, le Zundelsite ne fait que décrire le mauvais comportement des Juifs, et toute malice qu'il suscite est strictement le résultat de ce que le peuple juif a fait, et non de la communication de ces faits.

[144] Le Tribunal a rejeté cette idée dans une décision antérieure. À notre avis, cet argument ne mérite pas vraiment qu'on s'y arrête. Une fois qu'une personne ou un groupe de personnes ont été identifiés sur la base des critères énoncés à l'article 3, il est pour ainsi dire fallacieux et contraire aux objectifs de la Loi de dire qu'ils sont exposés à la haine ou au mépris en raison de leur comportement plutôt que de leur appartenance à un groupe.

[145] Quoi qu'il en soit, la seule preuve qui nous a été présentée est le témoignage de M. Prideaux, qui a affirmé que ce sont les messages ainsi que l'interprétation qu'on en fait qui sont susceptibles d'exposer les Juifs à la haine et au mépris. On n'a présenté sur ce point aucune preuve contradictoire et on n'a cité aucun précédent ou principe d'interprétation à l'appui de l'argument invoqué. À notre avis, les messages en question sont susceptibles d'exposer une personne ou un groupe de personnes à la haine ou au mépris pour le seul motif qu'ils sont identifiés par leur appartenance religieuse et leur origine.

2. Le contexte dans lequel les documents du Zundelsite sont diffusés : Le rôle du Zundelsite dans le débat historique permanent

[146] Tout au cours l'audience, Me Christie a produit des éléments de preuve et fait valoir des arguments pour établir que les documents du Zundelsite représentaient la saine expression d'un point de vue dans un débat historique permanent. On nous a exhortés à prendre conscience de ce débat et à prendre notre décision à la lueur des valeurs consacrées par la Charte, qui témoignent de la grande importance qu'on accorde à la promotion et à la protection de la liberté de parole. Dans une section subséquente de cette décision, nous traiterons de la requête en inconstitutionnalité présentée par l'intimé; cependant, on nous a également invités à appliquer, à la lueur de cet argument, le par. 13(1) aux faits entourant cette affaire.

[147] À l'appui de son argument (54), l'intimé a appelé plusieurs témoins des faits (55) et un témoin expert qualifié pour témoigner au sujet de la communauté révisionniste. Frank Schmidt, Christian Klein, Wolfgang Mueller et Karl Rupert sont tous nés en Allemagne et ont tous émigré au Canada à divers moments avant ou après la Seconde Guerre mondiale (M. Schmidt en 1933, M. Klein en 1955, M. Mueller en 1956 et M. Rupert en 1956). Tous ces témoins ont déclaré qu'ils militaient activement au sein de divers organismes ethno-culturels germano-canadiens. M. Rupert a également relaté son expérience en tant que prisonnier de guerre russe de 1945 à 1949.

[148] Les témoignages de ces témoins des faits, considérés dans leurs grandes lignes, ont été similaires. Ils ont tous décrit à leur façon la persécution des Allemands et les stéréotypes négatifs dont les Allemands ont souffert depuis la Seconde Guerre mondiale. Les membres de la communauté allemande et du mouvement révisionniste sont réduits au silence et n'osent pas mettre en doute la version classique des événements. Plus particulièrement, ces témoins se sont sentis humiliés et ostracisés en raison des croyances généralement répandues au sujet de la façon dont l'Allemagne a traité les Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale.

[149] Le témoignage présenté par Mark Weber à titre d'expert a été pratiquement identique à ceux des témoins des faits. Bien qu'il ait été présenté comme un expert, M. Weber a sans cesse déclaré qu'il ne pouvait parler au nom de la communauté et qu'il exprimait son point de vue personnel. Quoi qu'il en soit, son témoignage visait à démontrer dans quel contexte la communauté révisionniste exerce son action.

[150] Les révisionnistes se définissent, et définissent le révisionnisme de l'holocauste, en fonction de leur critique de l'histoire conventionnelle ou officielle. De l'avis de M. Weber, les révisionnistes jouent un rôle important dans le discours historique. Leurs écrits et leurs recherches, qui devraient être perçus comme s'inscrivant dans un vaste débat, visent à créer un courant historique. À son avis, le révisionnisme est comparable à un échange d'idées et se situe à l'une des extrémités de l'éventail des perspectives historiques.

[151] En outre, M. Weber a affirmé que beaucoup de révisionnistes sont confrontés à des rejets, à des manifestations de violence et à la désapprobation sociale parce qu'ils expriment leurs vues. Pour sa part, il ne nierait jamais que les Juifs ont souffert pendant la Seconde Guerre mondiale, mais il a des doutes sur certains aspects de ce qu'il considère être la version officielle ou traditionnelle de l'holocauste. Il ne décrirait pas M. Zündel comme un historien, mais plutôt comme l'animateur d'un débat.

[152] Après avoir examiné cette preuve et les arguments que les avocats ont fait valoir au cours de l'audience, nous ne pouvons accepter l'idée que les documents du Zundelsite s'inscrivent simplement dans un débat légitime et échappent, par conséquent, à l'application et à l'interprétation normales du par. 13(1) de la Loi. En fait, la question se résume à notre avis à se demander simplement si cette expression s'insère dans un vaste débat légitime. Dans le contexte du par. 13(1) de la Loi, le législateur a défini la légitimité comme étant ce qui n'était pas susceptible d'exposer des personnes à la haine ou au mépris.

[153] Quoi qu'il en soit, même si nous admettons que cette question puisse donner lieu à un débat légitime, nous nous sommes arrêtés à la façon dont l'intimé a exprimé ses vues, et non au simple fait qu'il a décidé de participer à ce débat. Notre conclusion est fondée sur la façon dont ces doutes sont exprimés, plutôt que sur le fait qu'il y ait des remises en question de l'exactitude historique de ces événements. Bien qu'il soit peut-être toujours difficile de soulever ces questions, nous reconnaissons que la norme pour déterminer si on a fomenté la haine ou le mépris doit être appliquée avec circonspection afin de ne pas perdre de vue le droit à la liberté de parole.

[154] Si nous nous trouvions en l'occurrence devant un débat théorique où l'on s'exprime de façon neutre, notre analyse pourrait être fort différente. Toutefois, ces documents se distinguent, en raison du ton utilisé et de l'extrême dénigration des Juifs, de ce qui pourrait être permissible. À notre avis, c'est le lien entre la façon dont l'auteur perçoit les événements et l'extrême diffamation des Juifs qui en découle -- leur dénonciation en tant que menteurs, escrocs, extorqueurs et fraudeurs -- qui est susceptible de les exposer à la haine et au mépris.

3. Conclusion

[155] Compte tenu de l'examen que nous avons fait des documents téléchargés à partir du Zundelsite ainsi que des témoignages présentés à titre d'experts par les professeurs Prideaux et Schweitzer, nous en venons à la conclusion que les documents produits en preuve (pièce HR-2) sont susceptibles d'exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable sur la base des critères énoncés à l'article 3.

VIII. L'ASPECT CONSTITUTIONNEL

[156] On a soulevé à nouveau la question de la validité constitutionnelle du par. 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne dans le contexte des faits de l'espèce. L'intimé a délibérément abordé cette question dans une requête présentée en vertu de l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, dans laquelle il a demandé au Tribunal de rendre une ordonnance déclarant le par. 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne inconstitutionnel aux termes du par. 2b) de la Charte. L'intimé a également demandé au Tribunal de rendre une ordonnance déclaratoire voulant que le par. 13(1) porte atteinte à l'al. 2a) et à l'art. 7 de la Charte.

[157] La protection constitutionnelle de la liberté d'expression est un élément fondamental d'une société démocratique. Dans une démocratie, on ne peut restreindre le discours politique que dans le cas où on irait à l'encontre des valeurs démocratiques fondamentales en ne le faisant pas. Voici ce que le professeur Hogg a écrit à ce sujet.

[Traduction] La justification sans doute la plus probante de la protection constitutionnelle de la liberté d'expression est son rôle en tant qu'instrument d'un gouvernement démocratique. Ce raisonnement est clairement exprimé dans l'arrêt Switzman c. Elbling, [1957] où le juge Rand affirme que le gouvernement parlementaire est [Traduction] au bout du compte un gouvernement fondé sur la liberté d'opinion d'une société ouverte et qu'il faut comme préalable un accès presque complet à la diffusion des idées (56).

A. Charte canadienne des droits et libertés

[158] La Charte canadienne des droits et libertés protège et garantit la liberté fondamentale d'expression.

i) Article 2

[159] Chacun a les libertés fondamentales suivantes :

b) liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication [...]

[160] La Cour suprême du Canada a réaffirmé ces dernières années que le droit à la liberté d'expression dont jouissent tous les Canadiens constitue une caractéristique importante et essentielle d'une société libre et démocratique. Dans Dagenais c. Société Radio-Canada (57), le juge en chef Lamer a cité le passage suivant du jugement rendu par le juge Cory dans l'affaire Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), [1989] 2 R.C.S. 1326, pp. 1336 et 1337 :

Il est difficile d'imaginer une liberté garantie qui soit plus importante que la liberté d'expression dans une société démocratique. En effet, il ne peut y avoir de démocratie sans la liberté d'exprimer de nouvelles idées et des opinions sur le fonctionnement des institutions publiques. La notion d'expression libre et sans entraves est omniprésente dans les sociétés et les institutions vraiment démocratiques. On ne peut trop insister sur l'importance primordiale de cette notion. … Le principe de liberté de parole et d'expression a été accepté sans réserve comme une caractéristique nécessaire de la démocratie moderne (58).

ii) Violation des garanties énoncées dans la Charte

[161] On n'a peu débattu l'affirmation voulant que les activités visées par le par. 13(1) de la Loi constituent une expression au sens de l'al. 2b).

[162] Dans Taylor, la majorité a traité très brièvement de la question, affirmant qu'il y a violation des garanties énoncées à l'al. 2b) si l'on peut démontrer que la réglementation gouvernementale attaquée a pour objet de restreindre l'activité expressive ou que tel est son effet.

[163] Quant à la question de la violation de l'al. 2b), le juge en chef Dickson a déclaré :

Appliquant aux faits du présent pourvoi l'analyse suivie dans l'arrêt Irwin Toy, je n'ai aucun doute que l'activité visée au par. 13(1) bénéficie de la protection de l'al. 2b) de la Charte. En fait, la Commission intimée concède ce point. En premier lieu, il va de soi qu'il s'agit là d'une activité qui transmet ou qui tente de transmettre une signification, car le moyen de communication en question ne se prête à mon avis à aucune autre utilisation. Il me semble en fait impossible de concevoir une situation où l'utilisation d'un téléphone pour aborder des questions (pour paraphraser les termes du par. 13(1)) ne comporterait pas la transmission d'une signification. Force est donc de conclure que l'activité visée au par. 13(1) constitue de l'expression au sens où l'entend l'al. 2b) (59).

[164] Par conséquent, voici la question qu'il faut se poser : étant donné qu'il porte atteinte à la Charte canadienne des droits et libertés, le par. 13(1) est-il sauvegardé par l'article premier de la Charte?

iii) Article premier de la Charte -- Fardeau de la preuve

[165] Comme nous l'avons vu, la Charte garantit certains droits civils qui sont tellement fondamentaux et importants qu'ils doivent être protégés contre l'ingérence du gouvernement. En fait, l'article premier lui-même réitère que les droits et libertés énoncés dans la Charte sont garantis.

La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. (article premier).

[166] L'application de l'art. premier de la Charte implique une analyse en deux étapes. La première étape a été franchie. Nous avons conclu que la loi contestée porte atteinte à un droit garanti (c'est-à-dire celui énoncé au par. 2b) de la Charte).

[167] La deuxième étape consiste à déterminer s'il s'agit d'une limite raisonnable dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. À cet égard, nous sommes guidés par l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire R. c. Oakes (60) (Oakes), qui constitue la norme pour déterminer si l'on est en présence d'une limite dont la justification puisse se démontrer dans une société libre et démocratique. La charge de prouver qu'une restriction à un droit garanti par la Charte est tolérable incombe à la partie qui demande le maintien de cette restriction. La partie qui invoque l'article premier doit satisfaire aux critères exceptionnels énoncés dans Oakes. La norme de preuve est la preuve selon la prépondérance des probabilités.

Compte tenu du fait que l'article premier est invoqué afin de justifier une violation des droits et libertés constitutionnels que la Charte vise à protéger, un degré très élevé de probabilité sera, pour reprendre l'expression de lord Denning, proportionné aux circonstances. Lorsqu'une preuve est nécessaire pour établir les éléments constitutifs d'une analyse en vertu de l'article premier, ce qui est généralement le cas, elle doit être forte et persuasive et faire ressortir nettement à la cour les conséquences d'une décision d'imposer ou de ne pas imposer la restriction (61).

[168] Pour ce qui est des critères, l'objectif que doit servir la restriction à un droit garanti par la Charte doit être suffisamment important pour justifier la suppression d'un droit ou d'une liberté garantis par la Constitution. Il faut que l'objectif se rapporte à des préoccupations sociales, urgentes et réelles dans une société libre et démocratique, pour qu'on puisse le qualifier de suffisamment important. Il doit exister un lien rationnel entre le par. 13(1) et son objet déclaré. Les mesures doivent être équitables et non arbitraires; le moyen choisi devrait porter le moins possible atteinte au droit en question; il doit y avoir une proportionnalité entre les effets de la mesure restrictive et l'objectif poursuivi. Enfin, l'objectif doit être mesuré en fonction de la gravité des effets préjudiciables de la mesure.

[169] C'est en fonction de l'application de ces principes que doit se faire l'analyse fondée sur le par. 13(1). Cela nous ramène à l'art. 2 et aux par. 3(1) et 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Ces dispositions reconnaissent le rôle du gouvernement en ce qui concerne la protection des droits individuels par l'adoption de la législation sur les droits de la personne et énoncent l'engagement de la société à l'égard de la dignité humaine et de la garantie d'égalité.

B. Taylor

[170] Revenons à Taylor, qui est le point de départ logique d'un débat sur la validité constitutionnelle du par. 13(1). Dans Taylor, la Cour suprême du Canada s'est demandée si le par. 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne était compatible avec la liberté d'expression garantie par l'al. 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés et si, dans la négative, ce paragraphe constituait une limite raisonnable à cette liberté au sens de l'article premier de la Charte. Elle a examiné, en outre, si les ordonnances du Tribunal étaient compatibles avec l'al. 2b) et si, dans la négative, elles constituaient une limite raisonnable à la liberté d'expression au sens où l'entend l'article premier de la Charte.

i) Faits

[171] La question principale, selon le juge en chef Dickson, était de savoir si le par. 13(1), dans la mesure où il limite la communication de certains messages par téléphone, porte atteinte à la liberté d'expression garantie par l'al. 2b) de la Charte. Les plaintes avaient été portées contre John Ross Taylor. On y alléguait que le par. 13(1) avait été violé en communiquant par téléphone des messages susceptibles d'exposer à la haine ou au mépris des personnes identifiables sur la base de leur race ou de leur religion.

[172] Les communications téléphoniques litigieuses avaient trait à un service qui permettait à n'importe quel citoyen de composer un numéro de téléphone et d'écouter un message enregistré. Treize différents messages ont ainsi été diffusés. Ayant jugé que ces messages étaient susceptibles d'exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable sur la base de leur race ou de leur religion, le Tribunal a rendu une ordonnance d'interdit. Il s'en est suivi de longues procédures qui ont finalement entraîné l'imposition d'une amende de 5 000 $ au Western Guard Party et d'une peine d'emprisonnement d'un an à M. Taylor pour outrage au tribunal.

[173] L'adoption entre-temps de la Charte a donné lieu à un avis de requête alléguant l'invalidité du par. 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, en raison de la violation de la liberté d'expression.

ii) Critère Oakes

[174] Dans le cadre de son analyse de la Charte aux termes de l'article premier, la Cour, ayant conclu que la restriction à un droit ou liberté de la Charte était prescrite par une règle de droit, a procédé à l'application des critères énoncés dans l'arrêt Oakes. Premièrement, elle s'est demandée si l'objectif de la mesure contestée était suffisamment important pour justifier de restreindre un droit ou une liberté garantis par la Charte. Deuxièmement, elle a abordé la question de la proportionnalité, se demandant si la mesure contestée était bien adaptée à l'objectif poursuivi et si l'effet sur un droit ou une liberté enchâssés était trop sévère (62).

[175] Pour analyser le rôle de la Charte par rapport à la Loi canadienne sur les droits de la personne en tant que loi réparatrice, il faut mettre en équilibre les intérêts de la société et ses valeurs. Dans l'affaire Taylor, on a reconnu que la Charte a un rôle à jouer dans les cas où les libertés individuelles sont menacées. La Cour a examiné l'objectif législatif général du par. 13(1) par rapport à l'art. 2 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et conclu que l'objet de cette loi est de favoriser l'égalité des chances :

… indépendamment de considérations fondées notamment sur la race ou la religion. En qualifiant d'acte discriminatoire l'activité décrite au par. 13(1), le législateur fédéral a indiqué qu'il tient pour contraires à la promotion de l'égalité les communications téléphoniques répétées susceptibles d'exposer des particuliers ou des groupes à la haine ou au mépris du fait qu'ils sont identifiables sur la base de certaines caractéristiques (63).

[176] Comme nous l'avons déjà indiqué dans nos commentaires ci-dessus portant sur l'interprétation de la Loi, la Cour s'est fondée sur le rapport du comité Cohen sur la propagande haineuse pour conclure que les personnes soumises à la haine raciale ou religieuse risquent d'en subir une détresse psychologique et, partant, de perdre leur estime de soi et d'éprouver des sentiments de colère et d'indignation (64). Finalement, la Cour a conclu que les messages haineux portent atteinte à la dignité et à l'estime de soi des membres du groupe cible et, d'une façon plus générale, contribuent à semer la discorde… minant ainsi la tolérance et l'ouverture d'esprit qui doivent fleurir dans une société multiculturelle vouée à la réalisation de l'égalité (65).

[177] La Cour s'est également intéressée à l'engagement de la communauté internationale envers l'élimination de la discrimination, se demandant si cet engagement va jusqu'à la diffusion d'idées fondées sur la notion de supériorité raciale ou religieuse. Cette position, a t-elle fait remarquer, est pertinente aux fins de l'examen d'un texte législatif en vertu de l'article premier de la Charte. (66) Elle a conclu que l'objectif visé par la mesure contestée revêtait une importance suffisante pour justifier la restriction d'un droit ou d'une liberté garantis par la Charte.

[178] La Cour s'est ensuite penchée sur la question de la proportionnalité et de la preuve par l'État que le par. 13(1) de la Loi était proportionné à un objectif légitime. Pour satisfaire au fardeau de la preuve, il faut démontrer qu'il existe un lien entre la mesure et les objectifs et que l'on ne peut conclure que la mesure est arbitraire, inéquitable ou irrationnelle; que la mesure ne restreint pas plus que nécessaire le droit ou la liberté garantis par la Charte; et que les effets de la mesure ne sont pas graves au point de constituer une atteinte inacceptable au droit ou à la liberté en question.

[179] Ces principes doivent être appliqués à l'analyse en vertu de l'article premier de la Charte.

Il ne suffit pas simplement de concilier les intérêts servis par un objectif gouvernemental avec des panégyriques abstraits de la libre expression. L'analyse contextuelle aux fins de l'article premier exige plutôt qu'on évalue, compte tenu des faits de l'espèce, dans quelle mesure une restriction à l'activité visée affaiblit ou compromet les principes sous-jacents à la large garantie de la liberté d'expression (67).

[180] Le juge en chef Dickson a également cité et repris la conclusion qu'il avait énoncée dans l'affaire Keegstra, à savoir que la propagande haineuse apporte peu aux aspirations des Canadiens et que les restrictions imposées à la propagande haineuse visent une catégorie particulière d'expression qui … se situe assez loin de l'esprit même de l'al. 2b) (68).

iii) Lien rationnel

[181] La Cour s'est ensuite penchée sur le critère de la proportionnalité énoncé dans Oakes par rapport à la question du lien rationnel et a formulé la conclusion suivante :

À mon avis, dès lors qu'on accepte que la propagande haineuse produit des effets qui portent atteinte aux principes directeurs de l'art. 2 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, il n'y a plus à douter que le par. 13(1) a un lien rationnel avec l'objectif de limiter les activités qui s'opposent à la promotion de l'égalité et de la tolérance dans notre société… En résumé, quand on y joint les dispositions réparatrices de la Loi canadienne sur les droits de la personne, le par. 13(1) joue de manière à supprimer la propagande haineuse et à écarter ses conséquences préjudiciables et il y a donc un lien rationnel avec la réalisation de l'objet visé par le législateur fédéral (69).

[182] Le juge en chef Dickson a invoqué l'argument formulé dans Keegstra, à savoir que la disposition pertinente du Code criminel était inefficace pour diminuer la propagande haineuse au Canada et que, par conséquent, elle n'avait aucun lien rationnel avec l'objectif du Parlement. Dans le contexte de la législation sur les droits de la personne, il a conclu que le dépôt d'une plainte fondée aux termes du par. 13(1) donne lieu à une ordonnance d'interdit.

… rappelle aux Canadiens notre engagement fondamental envers l'égalité des chances et l'élimination de l'intolérance raciale et religieuse (70).

iv) Atteinte minimale

[183] Abordant le deuxième volet du critère de la proportionnalité -- l'atteinte minimale, le juge en chef Dickson a d'abord rappelé la déclaration du juge Lamer dans l'arrêt Insurance Corp. of British Columbia c. Heerspink, [1982] 2 R.C.S. 145, à la p. 158 :

… un code des droits de la personne ne doit pas être considéré comme n'importe quelle loi d'application générale, il faut le reconnaître pour ce qu'il est, c'est-à-dire une loi fondamentale.

À mon avis, il n'y a aucune incompatibilité entre le fait de donner au par. 13(1) une interprétation qui le rend efficace et la protection de la liberté d'expression garantie par l'al. 2b), pourvu que l'interprétation des mots haine et mépris repose sur la pleine conscience que l'objectif du Parlement est de protéger l'égalité et la dignité de tous les individus par la réduction des manifestations de l'expression préjudiciable. Telle est la perspective adoptée par le Tribunal des droits de la personne dans Nealy c. Johnson (1989) 10 C.H.R.R. D/6450 (71).

[184] La Cour a ensuite fait sien le point de vue adopté dans Nealy, qui donne son plein effet à l'objet de la Loi canadienne sur les droits de la personne et à l'objectif du législateur par rapport à la haine. Par haine, on entend une malice extrême et une émotion qui n'admettent chez la personne visée aucune qualité qui rachète ses défauts.

Suivant l'interprétation du Tribunal, le par. 13(1) vise donc des émotions exceptionnellement fortes et profondes de détestation se traduisant par des calomnies et la diffamation, et je ne crois pas que ce soit là une interprétation particulièrement large (72).

[185] Nous avons déjà conclu que prouver que les déclarations offensantes sont fondées n'est pas un moyen de défense en cas de violation du par. 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le juge en chef Dickson a abordé cette question dans Keegstra, qui portait sur l'infraction criminelle de la fomentation volontaire de la haine contre un groupe identifiable (par. 319(2) du Code criminel). Dans Keegstra, il a affirmé qu'il avait quelques doutes sur la question à savoir si la Charte

… exige que des déclarations véridiques communiquées avec l'intention de fomenter la haine échappent à la condamnation criminelle (73).

[186] Le juge en chef Dickson, se fondant sur le raisonnement qu'il avait suivi dans Keegstra, a déclaré :

… Je suis d'avis que la Charte n'exige pas une exception pour les déclarations vraies dans le contexte du par. 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (74).

[187] De même, il semble établi en droit qu'il n'est pas nécessaire de prouver l'intention et qu'il faut surtout s'intéresser aux effets dans les enquêtes sur les droits de la personne (75). Le juge en chef Dickson a exprimé l'avis que le fait de ne pas tenir compte de l'intention ne va pas à l'encontre du critère de la proportionnalité énoncé dans Oakes.

Manifestement, le par. 13(1) n'exige pas l'intention d'exposer d'autres personnes à la haine ou au mépris en fonction de la race ou de la religion. Comme je viens tout juste de l'expliquer, le par. 13(1) s'applique dans le contexte d'une loi relative aux droits de la personne. Par conséquent, l'importance d'isoler des effets (et donc de ne pas tenir compte de l'intention) justifie l'absence de l'exigence de mens rea. Je rappelle que l'effet de cette disposition est moins conflictuel que s'il s'agissait d'une interdiction pénale, car le cadre législatif favorise un règlement par conciliation et n'autorise l'imposition d'une amende ou de l'emprisonnement que si la personne accomplit intentionnellement les actes prohibés par une ordonnance inscrite en Cour fédérale (76).

[188] Tout en reconnaissant que l'absence d'intention peut faire en sorte que la portée du par. 13(1) soit plus vaste que celle de la disposition criminelle mentionnée dans Keegstra, on a jugé que la distinction était nécessaire au regard de l'important objectif de l'élimination de la discrimination systémique.

De plus, l'intention n'est certainement pas dénuée de pertinence quand on impose des peines d'emprisonnement à une personne par le biais d'une ordonnance pour outrage au tribunal, car la conscience de l'effet probable des messages est une condition à la délivrance d'une ordonnance par la Cour fédérale. S'il est vrai que l'absence de l'exigence d'intention en vertu du par. 13(1) peut lui donner une portée plus grande que la disposition du droit pénal dont la validité est confirmée dans l'arrêt Keegstra, cette distinction est rendue nécessaire par l'important objectif de la Loi canadienne sur les droits de la personne d'éliminer la discrimination systémique. (77)

[189] La Cour s'est également penchée sur la question de l'intention dans le contexte d'une ordonnance pour outrage au tribunal imposée à la suite de la violation d'une ordonnance du Tribunal. La Loi autorise le Tribunal à rendre une ordonnance d'interdit à la suite d'une conclusion de discrimination. Le juge en chef Dickson a donc réfuté un argument fondé sur les conséquences de la peine d'emprisonnement imposée par la Cour fédérale à M. Taylor pour outrage au tribunal :

En bref, l'emprisonnement ne peut être prononcé que lorsque l'intimé a intentionnellement transmis des messages tout en sachant qu'ils sont jugés susceptibles de causer le mal décrit au par. 13(1), et je ne peux donc être d'accord pour dire que la possibilité qu'une ordonnance pour outrage au tribunal soit prononcée contre un individu paralyse indûment la liberté d'expression (78).

v) Conclusion

[190] Le juge en chef Dickson n'était pas d'avis que les effets du par. 13(1) sur la liberté d'expression étaient préjudiciables au point d'en rendre l'existence intolérable dans une société libre et démocratique.

De plus, puisqu'il s'applique dans le contexte des procédures et des dispositions réparatrices de la Loi canadienne sur les droits de la personne, le par. 13(1) a peu d'effet sur l'imposition de sanctions morales, financières ou d'incarcération, son but premier étant de profiter directement à ceux qui sont susceptibles d'être exposés aux maux de la propagande haineuse. Je suis donc d'avis que le par. 13(1) n'impose pas un degré de restriction trop sévère à la liberté d'expression et que la troisième condition du critère de proportionnalité de l'arrêt Oakes est respectée (79).

[191] Le juge en chef Dickson a donc conclu que le gouvernement avait démontré la proportionnalité de la disposition et que, par conséquent, le par. 13(1) était sauvegardé en vertu de l'article premier de la Charte comme limite raisonnable dans une société démocratique.

[192] Il existe en fait des restrictions à la liberté d'expression. L'arrêt Taylor reconnaît que la propagande haineuse représente une menace grave pour la société.

C. Dagenais

[193] Depuis l'arrêt Taylor, la Cour suprême du Canada s'est penchée à nouveau sur la question de la liberté d'expression -- dans un contexte différent, toutefois. L'affaire Dagenais impliquait d'établir un équilibre entre la liberté d'expression garantie par la Charte et le droit à un procès équitable. La partie qui demande d'imposer une interdiction de publication en vertu d'une règle de common law pour écarter le risque réel et grave pour l'équité du procès doit prouver que l'interdiction proposée est nécessaire et qu'elle vise un objectif important qui ne peut être atteint par d'autres mesures raisonnables et efficaces. Il faut également démontrer que l'interdiction proposée est aussi limitée que possible et qu'il y a proportionnalité entre ses effets bénéfiques et ses effets préjudiciables. Les deux valeurs consacrées par la Charte doivent être mises en équilibre; toutefois, aucune des deux n'a préséance. De plus, il faut tenir compte de l'efficacité de l'ordonnance de non-publication lorsqu'on s'interroge sur la nécessité d'une telle mesure.

[194] Avant de rendre sa décision, la Cour n'a pas fait référence à l'arrêt Taylor, mais a plutôt traité des aspects de la Charte qui influent sur la question dont nous sommes saisis.

[195] Le juge en chef Lamer, s'exprimant au nom de la majorité, a cité les motifs invoqués par la Cour d'appel de l'Ontario.

Le juge en chef Dubin, au nom de la Cour, a signalé que ce sont les tribunaux de common law qui ont les premiers reconnu l'importance de la liberté d'expression et le rôle crucial de la presse pour informer le public dans une société libre et démocratique (80).

[196] Une fois de plus, l'accent est mis sur les libertés garanties par l'al. 2b).

Cet alinéa garantit à tous les Canadiens la liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication.

Notre Cour a, à maintes reprises, reconnu l'importance des libertés garanties par l'al. 2b) (81).

[197] Le juge Lamer a cité l'arrêt Canadian Newspapers Co. c. Canada (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 122, à la p. 129.

Certes, la liberté de la presse représente un attribut important et essentiel d'une société libre et démocratique et il est évident que des mesures interdisant aux médias de publier des renseignements estimés d'intérêt public limitent cette liberté (82).

[198] Le juge en chef Lamer a également cité l'arrêt rendu par la juge McLachlin dans l'affaire R. c. Zündel [1992] 2 R.C.S. 731, à la p. 752, où elle a analysé la doctrine et la jurisprudence sur la liberté d'expression puis conclu que les droits que protège l'al. 2b) sont la vérité, la participation politique ou sociale et l'accomplissement de soi (83).

[199] Dans Dagenais, le juge en chef Lamer a rejeté la règle de common law régissant l'ordonnance de non-publication qui accordait une plus grande importance au droit à un procès équitable qu'à la liberté d'expression de ceux qui étaient touchés par l'interdiction, affirmant que l'équilibre que cette loi fixe est incompatible avec les principes de la Charte, en particulier avec l'égalité de rang qu'accorde la Charte aux alinéas 2b) et 11d).

[200] Le juge en chef Lamer, au sujet de l'efficacité d'une ordonnance de non-publication, a déclaré :

Il y a également lieu de signaler que les récents progrès technologiques ont entraîné dans leur sillage des difficultés considérables pour ceux qui cherchent à faire valoir des interdictions. Leur efficacité a été réduite d'autant que s'est accru le nombre d'émissions télévisées et radiophoniques accessibles au niveau interprovincial et international par câblodiffusion, antenne parabolique orientable et radio à ondes courtes. Elles ont également souffert de l'avènement des échanges d'informations rendus possibles par les réseaux informatiques. En cette ère d'électronique globale, restreindre de façon significative la circulation de l'information devient de plus en plus difficile. Par conséquent, l'effet réel des interdictions sur l'impartialité du jury diminue considérablement (84).

[201] Cette déclaration s'inscrivait dans le contexte de l'efficacité d'une ordonnance de non-publication et de la question à savoir si d'autres mesures pourraient écarter le risque que le procès soit inéquitable. Essentiellement, il s'agissait en l'occurrence de déterminer si les effets bénéfiques de l'interdiction l'emportaient sur ses effets préjudiciables sur la liberté d'expression. La Cour a ensuite passé à l'analyse décrite dans Oakes; le juge en chef Lamer a alors proposé que cette analyse soit modifiée ou reformulée (85).

D. Requête -- Article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982

[202] En ce qui concerne l'aspect constitutionnel, il nous incombe donc d'appliquer aux faits de l'espèce les principes énoncés dans Taylor tout en reconnaissant qu'on soutient dans cet arrêt que le par. 13(1) de la Loi est une restriction raisonnable et justifiable à la liberté d'expression. L'arrêt Taylor doit assurément éclairer notre conclusion en ce qui concerne la validité constitutionnelle du par. 13(1); de plus, il faut faire preuve, face à la décision de la Cour, de beaucoup de retenue par rapport à la méthode d'analyse générale impliquant l'application des principes aux faits de l'espèce. Il ne nous appartient pas de réexaminer les points sur lesquels la Cour suprême du Canada a déjà statué et qui servent à nous orienter.

[203] Nous avons déjà affirmé dans les présents motifs qu'en matière d'interprétation législative, le par. 13(1), qui traite des communications téléphoniques, doit être interprété de façon à reconnaître que la technologie n'est pas statique et à tenir compte des progrès technologiques dans le domaine de l'électronique qui ont permis de mettre au point ce qu'on appelle Internet.

[204] Passons à l'analyse des points contestés par l'intimé. Ce dernier demande au Tribunal de rendre une ordonnance déclarant le par. 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne inopérant pour le motif qu'il viole les alinéas 2b) et 2a) et l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, violation qui ne peut être justifiée en vertu de l'article premier. Essentiellement, l'intimé demande que nous nous écartions de l'arrêt Taylor pour plusieurs motifs.

i. L'arrêt Taylor visait particulièrement la transmission de messages téléphoniques enregistrés et, par conséquent, ne s'applique pas aux communications par Internet.

ii. Aucun élément de preuve n'a été présenté à la Cour au sujet de l'effet du par. 13(1) de la Loi ou de l'allégation de haine sur la liberté de parole au Canada.

iii. Le par. 13(1) ne peut plus résister à un examen à la lumière de la Charte en raison des modifications apportées à la Loi canadienne sur les droits de la personne depuis 1990.

iv. L'arrêt Taylor n'avait pas trait à l'al. 2a) de la Charte, qui n'a pas été cité devant la Cour; par conséquent, la présente instance soulève pour la première fois la question à savoir si le par. 13(1) constitue une violation inconstitutionnelle de la liberté de conscience et de religion.

i) Application de l'arrêt Taylor à Internet

[205] Il semble évident que, dans Taylor, la Cour estimait que le par. 13(1) visait la communication par téléphone de messages haineux enregistrés. La Cour a examiné le libellé du par. 13(1) dans le contexte factuel de la communication de messages téléphoniques enregistrés. Dans les paragraphes liminaires de l'exposé de ses motifs, le juge en chef Dickson a indiqué que la question principale soulevée par le pourvoi était de savoir si le par. 13(1), dans la mesure où il limitait la communication de certains messages par téléphone, portait atteinte à la liberté d'expression (86). Il a ensuite cité d'autres pourvois qui portaient tous sur des communications ou messages téléphoniques (87).

[206] Par conséquent, la validité constitutionnelle du par. 13(1) a été examinée par rapport à un ensemble particulier de faits entourant la communication de messages haineux enregistrés au moyen d'un répondeur téléphonique.

a) Position de l'intimé

[207] La meilleure façon d'exprimer et de comprendre la position présentée par l'intimé est de la situer dans le contexte des principes de la Charte. L'intimé nous exhorte à conclure, sur la foi de l'application de ces principes aux faits de l'espèce, que la Commission ne s'est pas acquittée de sa charge de prouver que la restriction imposée par le par. 13(1) est une restriction raisonnable dont on peut démontrer la justification dans une société libre et démocratique. On donne au par. 13(1) de la Loi une interprétation trop large et générale en l'appliquant à Internet. Essentiellement, l'intimé appuie la conclusion énoncée par la juge McLachlin (ce qu'elle était à l'époque) dans le jugement dissident qu'elle a rendu dans Taylor.

Je conclus que les avantages pouvant découler du par. 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne ne l'emportent pas sur la gravité de l'atteinte à la liberté d'expression (88).

[208] Le par. 13(1) ne résiste pas à un examen à la lumière de la Constitution, allègue-t-on, étant donné que l'atteinte à la liberté d'expression garantie par l'art. 13 l'emporte sur les avantages qui peuvent en découler. Les motifs invoqués par la majorité dans Taylor à l'appui de la thèse de la constitutionnalité fondée sur l'article premier étaient liés dans une large mesure au contexte factuel étroit du recours à un répondeur téléphonique. Lorsque l'arrêt Taylor a été rendu, le cybermonde n'était pas une réalité; on soutient donc qu'Internet, un réseau international d'ordinateurs interconnectés, est extrêmement différent de l'appareil de réponse téléphonique sur lequel s'est penchée la Cour suprême du Canada. Grâce à Internet, n'importe qui au monde peut recourir à une foule de méthodes de communication et de recherche d'informations (courriel, groupes de nouvelles, forums de discussion, World Wide Web, etc.).

[209] Nous avons déjà analysé dans les présents motifs la preuve de MM. Angus et Klatt au sujet de la portée et du rôle d'Internet. Dans Reno v. American Civil Liberties Union (89) (arrêt de la Cour suprême des États-Unis), on trouve des renseignements utiles au sujet de la nature et des dimensions d'Internet et des diverses méthodes de diffusion qu'offre ce moyen de communication nouveau et révolutionnaire. C'est le juge Stevens qui a exprimé l'opinion de la Cour. Il a décrit Internet comme un réseau international d'ordinateurs interconnectés né d'un programme appelé ARPANET conçu en 1969 pour permettre aux militaires de communiquer entre eux même dans le cas où certaines parties du réseau seraient endommagées par la guerre. Internet est

… un moyen unique et entièrement nouveau de communication à l'échelle mondiale (90).

Le Web est donc comparable, du point de vue du lecteur, à la fois à une vaste bibliothèque renfermant des millions de publications répertoriées facilement accessibles et à un mail étendu offrant des biens et des services (91).

[210] Dans Taylor, on a soutenu qu'en vertu de l'exigence de proportionnalité, il doit y avoir atteinte minimale à la liberté d'expression et que les effets du par. 13(1) sur la liberté d'expression ne doivent pas être dommageables au point de rendre son existence intolérable dans une société libre et démocratique. Ces critères, a-t-on fait valoir, ne sont plus satisfaits, compte tenu de l'effet démontré du par. 13(1) sur l'expression sur Internet. Le fondement du raisonnement du juge en chef Dickson dans Taylor était que la paralysie de la libre expression dans le contexte d'une loi sur les droits de la personne est moins grave que s'il s'agissait d'une loi pénale. Toute déclaration de culpabilité s'accompagne de stigmates et de peines importantes, alors que dans le cas d'une loi sur les droits de la personne, les mesures réparatrices visent plutôt la compensation et la protection de la victime.

[211] L'intimé affirme que le fait qu'il n'existe aucun moyen de défense contre une accusation portée en vertu du par. 13(1) fait ressortir le caractère réparateur de la Loi. Vu la décision de ce Tribunal que la vérité n'est pas un moyen de défense, la preuve relative à la véracité des déclarations contestées n'est pas admissible. L'intimé prête l'oreille au témoignage du professeur Schweitzer selon lequel les documents du Zundelsite étaient terriblement antisémites et reprenaient les thèmes de l'histoire de l'antisémitisme depuis plus de mille ans. Selon le professeur Schweitzer, le raisonnement derrière l'antisémitisme était tout à fait faux et les déclarations vraies ne sauraient être antisémites. L'intimé a donc fait valoir qu'il est illogique de rejeter la preuve concernant la véracité des déclarations attaquées. Il a également cité l'opinion exprimée par le professeur Schweitzer à savoir que pour bien évaluer une déclaration sur l'histoire et distinguer la propagande haineuse de la critique sociale ou historique légitime, les historiens doivent se préoccuper d'enquêter sur les faits.

[212] Dans son plaidoyer écrit, l'intimé indique que toutes les communications écrites, tant publiques que privées, sur le réseau informatique d'une entreprise ou organisation, ou sur un vaste réseau public ou privé de nouvelles ou d'information, ou les courriels que s'échangent les particuliers, qu'il s'agisse de messages vidéo ou audio, de textes, de graphiques, d'images animées ou de communications sonores, relèveraient toutes désormais de la compétence de la Commission des droits de la personne. Il n'y aurait pas de restrictions quant aux types de communications visés par le par. 13(1), dans la mesure où on aurait recours à une entreprise canadienne de télécommunications, et, de l'avis de l'intimé, les mots téléphone et telephonically [mot qu'on trouve dans la version anglaise du par. 13(1)] ne figureraient plus dans la Loi.

[213] L'intimé termine en faisant valoir que l'application de l'arrêt Taylor et des principes qui y sont énoncés aux faits de l'espèce amènerait à conclure que le par. 13(1) ne résiste pas à un examen à la lumière de la Charte. Le vaste univers Internet remet à nouveau en question l'application des critères énoncés dans Oakes. Conclure que le par. 13(1) s'applique aux communications informatiques comporte des conséquences graves et peut-être imprévues.

b) Preuve relative à la requête

[214] L'intimé se fonde sur la preuve présentée à l'égard de la requête par l'intervenante Canadian Association for Free Expression. Par ailleurs, il a fait remarquer que la Commission n'a produit aucune preuve malgré le fardeau qui lui incombait en vertu de l'article premier de la Charte (92). Dans les circonstances, étant donné que la Commission a décidé de ne pas présenter de preuve, notre démarche consistera à évaluer la preuve que l'intervenante a présentée à l'égard de la requête et sur laquelle l'intimé s'est fondé.

M. Grace

[215] Kevin Michael Grace, journaliste professionnel et rédacteur en chef du Report News Magazine de Vancouver, en Colombie-Britannique, a été reconnu comme expert dans le domaine des médias imprimés. Ce témoin a clairement indiqué qu'il ne voyait guère d'utilité à la législation sur les droits de la personne ou aux tribunaux des droits de la personne. Son témoignage a surtout porté sur l'effet paralysant que l'application du par. 13(1) de la Loi à Internet aurait sur la libre expression dans les médias imprimés.

[216] Ce témoin a décrit des cas où la libre expression est paralysée. Il a parlé des articles traitant de l'homosexualité ou de l'égalité des sexes ainsi que des reportages sur l'immigration ou la criminalité (où des considérations raciales peuvent intervenir). Alors qu'il était rédacteur en chef, la publication d'un article sur les pensionnats a donné lieu au dépôt d'une plainte devant la Human Rights Commission de l'Alberta en vertu d'une disposition antiraciste. Le passage contesté de l'article mentionnait que pour certains Indiens, les pensionnats n'avaient pas été aussi mauvais qu'on ne l'avait généralement laissé croire.

[217] Il a également affirmé que les journalistes ont peur de perdre leur gagne-pain et que les rédacteurs en chef sont craintifs à l'idée qu'ils pourraient être accusés d'antisémitisme. À son avis, il serait souhaitable de supprimer le site Web de la revue plutôt que de s'exposer à des plaintes en vertu du par. 13(1) si celui-ci devait s'appliquer à Internet. Selon lui, cela paralyserait sa revue car de plus en plus de gens utilisent Internet pour prendre connaissance des nouvelles et des opinions. Presque tous les journaux au Canada sont accessibles par Internet. Du point de vue de la libre circulation de l'information, l'application du par. 13(1) à Internet isolerait le Canada du reste du monde.

M. Klatt

[218] À titre de témoin des faits, M. Bernard Klatt a relaté son expérience en tant que fournisseur de services Internet à Oliver, en Colombie-Britannique. Il a parlé de l'accusation voulant qu'il ait été semeur de haine du fait qu'il avait hébergé certains sites Web au nom de ses clients. Klatt était également copropriétaire avec sa femme du Fairview Technology Centre, une entreprise offrant un service de raccordement à Internet. Les médias ont régulièrement décrit l'entreprise de Klatt comme le plus important site au Canada en ce qui concerne la suprématie blanche et la dénégation de l'holocauste. Le 25 juillet 1996, le directeur du Conseil national de recherches du Canada a prié M. Klatt d'éliminer de la page d'accueil de son site Web le lien menant au site de l'Observatoire fédéral de radioastrophysique. Klatt avait inclus dans la page d'accueil de Fairview, à titre de service public à ses abonnés, un lien donnant accès au site de l'Observatoire. Fairview a été associée à l'intolérance dans d'autres cas. Klatt a dit avoir eu l'impression qu'on avait lancé une chasse aux sorcières. La GRC a également indiqué que les incidents risquaient de dégénérer en violence, compte tenu de l'attention dont ils avaient fait l'objet à l'échelle nationale et locale. M. Klatt a finalement été contraint de cesser d'exploiter son entreprise au début de 1998.

M. Gostic

[219] Ron Gostic a témoigné comme témoin des faits au sujet des allégations de racisme dont il a fait l'objet qui, a-t-il dit, ont nui à sa maison d'édition, le Canadian Intelligence Service. En juin 1983, David Peterson, qui était à l'époque chef du Parti libéral de l'Ontario, l'a dénoncé à titre de producteur de littérature haineuse vicieuse. M. Gostic a également fait l'objet d'une enquête policière relativement à un numéro de sa revue commentant l'affaire Keegstra. Dans son témoignage, il a expliqué comment il avait été traité par les principaux médias et la Human Rights Commission de la Saskatchewan qui avaient qualifié d'antisémite son article sur l'affaire Keegstra. Ces faits ont eu de graves répercussions sur son activité d'édition et sa famille. Il lui était difficile de prendre la parole devant des associations de bienfaisance et de louer des salles, et les conférences qu'il donnait attiraient des foules hostiles.

M. Leitch

[220] Ron Leitch, avocat à la retraite admis au Barreau de l'Ontario en 1953, est devenu président national de l'Alliance for the Preservation of English in Canada (APEC), poste qu'il a occupé jusqu'en 1986. Au dire de l'APEC, les anglophones étaient victimes de discrimination par suite de l'adoption de la Loi sur les langues officielles en 1968. M. Leitch a expliqué que les opinions qu'il a exprimées au nom de son organisation ont fait l'objet d'articles de journaux dans lesquels on l'accusait de diffuser de la littérature haineuse. L'escouade de la littérature haineuse du service de police de Toronto et la Police provinciale de l'Ontario ont mené à son sujet une enquête qui n'a toutefois pas eu de suite. Selon M. Leitch, il est triste que l'on ne puisse s'exprimer publiquement à propos d'une politique gouvernementale.

M. Droege

[221] Wolfgang Droege a déposé à titre de témoin ayant fait l'objet de plaintes en vertu du par. 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il ne s'est aucunement excusé de ses vues sur la suprématie blanche dont il a fait activement la promotion à l'échelle internationale. Il a été associé à des groupes politiques en Allemagne, à la Western Guard au Canada et au Ku-Klux Klan. M. Droege a été condamné à une peine de trois ans d'emprisonnement pour violation de la American Neutrality Act à la suite de sa participation à un coup d'État visant à renverser le gouvernement de la Dominique. En 1989, il a fondé le Heritage Front, organisme de défense des droits des Blancs qui faisait la promotion de ses idées dans des écrits et des réunions et grâce à une ligne rouge téléphonique. À la suite de la plainte portée contre lui aux termes du par. 13(1), on l'a étiqueté semeur de haine et on l'a empêché de faire des affaires et de gagner sa vie. De plus, il a fait l'objet de menaces à la sécurité de sa personne.

[222] L'intimé se fonde sur le témoignage de ces experts pour renforcer la position que l'application du par. 13(1) de la Loi aux réseaux informatiques, y compris Internet, constituerait une entrave déraisonnable à la liberté de parole et de conscience garantie par les alinéas 2a) et 2b) et de l'article premier de la Charte.

[223] Cette preuve, allègue-t-on, tend à démontrer que les allégations de fomentation de haine, d'antisémitisme et de racisme ont un effet dévastateur sur la situation d'une personne au sein de la société canadienne ainsi que pour la recherche de la vérité. Le témoignage de M. Grace, a-t-on soutenu, est un exemple évident de l'effet extrêmement paralysant que les lois contre la propagande haineuse ont sur la liberté d'expression. M. Grace a qualifié ce qui lui était arrivé au plan professionnel de condamnation à mort tout en émettant l'opinion que les journalistes sont terrifiés à l'idée de rédiger des articles sur une question qui a trait à un groupe identifiable, sachant qu'ils sont susceptibles d'être étiquetés racistes ou antisémites si leur article est défavorable. Le témoignage de M. Klatt, a-t-on fait remarquer, est un cas classique illustrant comment l'accusation de fomentation de haine sert à détruire la réputation et le gagne-pain d'individus qui défendent le principe de la libre expression. L'intimé a soutenu que la preuve de M. Klatt démontre que les Canadiens ordinaires n'apprécient pas la liberté de parole et que l'affaire Klatt révèle que la société canadienne n'a pas de défenseurs du droit à la liberté de parole et de son importance pour la démocratie. La seule organisation qui a tenté d'aider Klatt est l'intervenante Canadian Association for Free Expression Inc.; pour l'avoir fait, elle a été éclaboussée dans les médias, qui l'ont accusé de faire partie du mouvement extrémiste en quête de pouvoir.

c) Plaidoyer de la Commission

[224] La Commission a fait valoir que, dans Taylor, la majorité a statué que le par. 13(1) de la Loi est une restriction raisonnable et justifiable à la liberté d'expression et qu'il n'appartient pas à ce Tribunal de réexaminer cette question. Le contexte différent que constitue Internet, du point de vue technologique, ne modifie pas l'analyse justifiant le par. 13(1) en vertu de l'article premier de la Charte. La Commission a plutôt émis l'opinion que cette justification est encore plus forte du fait qu'on a recours à Internet pour diffuser de la propagande haineuse. L'arrêt Taylor a reconnu que la propagande haineuse va à l'encontre de l'objectif général de la Loi, et que la restriction énoncée au par. 13(1) vise une catégorie particulière d'expression qui se situe assez loin de l'esprit même de l'al. 2b) de la Charte. On a jugé dans Taylor que cet objectif était urgent et réellement important.

[225] Selon la Commission, le critère de la proportionnalité énoncé dans Taylor demeure valable dans le contexte d'Internet. Il existe un lien rationnel entre le par. 13(1) et son objet légitime. Le paragraphe en question restreint le moins possible la liberté d'expression de l'intimé. La décision de la majorité, à savoir que les effets du par. 13(1) sur la liberté d'expression n'étaient pas préjudiciables au point de les rendre intolérables, demeure valable dans le contexte technologique d'aujourd'hui. La Commission soutient que le mal de la propagande haineuse que le par. 13(1) vise à éliminer demeure une préoccupation urgente, que les messages soient communiqués par téléphone, répondeur ou Internet. Dans le contexte des nouveaux modes de communication et de la réalité moderne d'Internet, dont l'influence est omniprésente et qui est extrêmement accessible, il est d'autant plus crucial de ne pas réexaminer ni remettre en question la validité constitutionnelle du par. 13(1) de la Loi. La nature même du Zundelsite, qui est un site Web interactif ou un site d'édition, ne modifie pas l'analyse du par. 13(1) décrite dans Taylor.

d) Analyse et conclusion

[226] La liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression est enchâssée dans notre Constitution. La liberté de la presse et des autres moyens de communication est incluse dans cette garantie. Comme nous l'avons vu, notre jurisprudence a constamment reconnu la valeur intrinsèque de la liberté d'expression comme élément essentiel d'une société démocratique. Dans sa preuve, la Commission admet que les documents du Zundelsite sont de l'expression et que, partant, le par. 13(1) restreint la liberté d'expression et ne peut être sauvegardé que si l'on peut démontrer que cette restriction est raisonnable et justifiable dans une société libre et démocratique. La Commission a le fardeau de satisfaire aux critères exceptionnels qui justifient la restriction aux termes de l'article premier de la Charte.

[227] Le moment est venu de marquer une pause afin de revenir à l'arrêt Oakes et à ce que disait le juge en chef Dickson au sujet de la norme de preuve en vertu de l'article premier, à savoir que le critère de la prépondérance des probabilités doit être appliqué rigoureusement. La question que nous devons nous poser est la suivante : compte tenu des faits de l'espèce, quel degré de probabilité est proportionné aux circonstances? La preuve établissant les éléments constitutifs d'une analyse en vertu de l'article premier est-elle forte et persuasive?

[228] Nous reconnaissons qu'il n'appartient pas à ce Tribunal de réexaminer une question qui a déjà été tranchée par le plus haut tribunal du pays, et que les principes à appliquer pour déterminer la validité constitutionnelle du par. 13(1) ont été clairement définis. Toutefois, dans Taylor, ces principes ont été appliqués dans le contexte d'un ensemble particulier de faits qui, selon la Cour, définissait le cadre de sa conclusion que le par. 13(1) de la Loi est une restriction raisonnable et justifiable à la liberté d'expression.

[229] À notre avis, il existe des différences réelles entre les faits entourant l'affaire Taylor et les faits de l'espèce. En outre, il se peut qu'il existe en l'espèce des différences importantes relativement à l'effet sur la liberté d'expression qui exigent une nouvelle analyse et application des principes énoncés dans Taylor. La Cour suprême du Canada a eu à se pencher sur le téléphone en tant que moyen de communication; en l'espèce, nous avons affaire à un moyen de communication relativement nouveau qui est omniprésent et en plein essor : Internet. Il faut que les avantages pouvant découler du par. 13(1) continuent de l'emporter sur la gravité de la restriction qu'il impose à la liberté d'expression lorsqu'on l'applique aux faits de l'espèce.

[230] Internet crée un contexte différent de celui dans lequel le téléphone a traditionnellement été utilisé. Bien que nous ayons conclu que, du point de vue de l'interprétation législative, le par. 13(1) englobe le concept d'Internet, une telle interprétation peut-elle résister à un examen à la lumière de la Charte? On a conclu dans Taylor à la validité constitutionnelle du par. 13(1) dans le contexte de la diffusion de propagande haineuse au moyen de messages enregistrés sur des répondeurs téléphoniques; toutefois, en l'espèce, l'intimé demande si on peut justifier de la même façon de restreindre la diffusion de propagande haineuse par Internet? La technologie dont il est question dans Taylor a évolué, pris de l'essor et donné naissance à un phénomène de communication tout à fait nouveau dans la société.

[231] Il est important d'amorcer cette analyse en se fondant sur la prémisse que le par. 13(1) vise les messages qui sont susceptibles d'exposer des personnes à la haine et au mépris et qui relèvent du champ de compétence de Parlement, c'est-à-dire ceux pour lesquels on a recours aux services d'une entreprise de télécommunications. La Loi canadienne sur les droits de la personne repose sur un certain nombre de principes fondamentaux : l'égalité des individus, l'égalité des groupes et le principe que la simple appartenance à un groupe religieux, ethnique ou racial ne comporte pas de caractéristiques positives ou négatives et ne devrait pas être un motif de haine ou de mépris généralisé reposant sur des préjugés. Comme nous l'avons vu, on définit dans l'arrêt Taylor les mots haine et mépris en se référant à l'arrêt Nealey, qui parle d'émotions extrêmement fortes de détestation et d'une malice extrême qui n'admet chez la personne visée aucune qualité qui rachète ses défauts.

[232] L'objet du par. 13(1) demeure le même. L'intention du législateur fédéral, telle qu'exprimée au par. 13(1), est de reconnaître que la propagande haineuse va à l'encontre de l'objectif supérieur énoncé à l'art. 2 de la Loi. Dans l'arrêt Taylor, on a jugé que cet objectif revêtait un caractère urgent et était réellement important.

[233] À notre avis, les transformations technologiques qui modifient la nature et la portée de la téléphonie en tant que moyen de communication ne peuvent diminuer l'importance de l'objet énoncé au par. 13(1), c'est-à-dire interdire les messages de haine et de mépris à l'endroit de groupes identifiables qui portent atteinte à la dignité et à l'estime de soi des personnes qui en font partie. La technologie Internet permet de transmettre des messages haineux de la nature de ceux qui étaient interdits dans Taylor en vertu du par. 13(1).

[234] Par conséquent, nous concluons que, même si Internet crée un contexte qui est différent du contexte traditionnel de la téléphonie, la première condition du critère Oakes est satisfaite. L'intention du législateur d'empêcher que la propagande haineuse puisse causer un grave préjudice demeure un objectif urgent et réellement important, que les messages soient diffusés par le moyen décrit dans Taylor ou par Internet. Au regard de l'évolution de ce nouveau phénomène qu'est Internet, lequel, pour paraphraser un auteur, en est à ses premiers balbutiements et est partout et nulle part à la fois, libre comme un nuage qui flotte dans l'air, il est devenu évident qu'il est lui aussi soumis à la primauté du droit de diverses façons.

[235] À notre avis, l'arrêt Taylor ne visait pas à restreindre la question de l'importance urgente et réelle aux faits présentés en preuve dans cette affaire. Nous ne voyons aucune raison d'interpréter aussi étroitement ce précédent, compte tenu de ce que la Cour a affirmé au sujet de l'objectif supérieur de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[236] La deuxième condition du critère Oakes exige que le moyen choisi par le Parlement soit proportionné à son objectif. Il doit y avoir un lien rationnel entre le par. 13(1) et son objectif déclaré. Il doit restreindre de façon minimale les droits et libertés de l'intimé -- en l'occurrence la liberté d'expression. Enfin, les effets bénéfiques du par. 13(1) doivent être proportionnés à ses effets préjudiciables sur la liberté d'expression de l'intimé.

[237] En ce qui concerne cette condition du critère Oakes, le juge en chef Dickson, dans Taylor, a décrit le contexte dans lequel l'analyse de la proportionnalité doit être réalisée. Il faut reconnaître que la suppression de la propagande haineuse n'impose pas d'importantes restrictions aux valeurs sous-jacentes à la liberté d'expression. Le par. 13(1) contribue à empêcher qu'une propagande haineuse cause un préjudice du fait qu'il interdit l'utilisation d'un téléphone de façon répétée pour diffuser des messages susceptibles d'exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable sur la base des critères énoncés à l'article 3.

[238] À notre avis, le lien rationnel qui existait dans Taylor entre le par. 13(1) et son objet légitime subsiste. Les faits particuliers de l'espèce ne modifient pas cette conclusion. La désapprobation des messages haineux par notre société n'est pas strictement subordonnée à leur diffusion au moyen d'un répondeur téléphonique. Le Parlement a parlé. Si le téléphone constitue un moyen idéal pour propager efficacement des croyances préjudiciables dans le cadre d'une campagne visant à influencer les croyances et attitudes du public, que dire de l'efficacité d'Internet pour transmettre efficacement de telles croyances? Nous ne voyons aucune raison d'établir une distinction fondée sur les faits de l'espèce qui nous permettrait, dans une société libre et démocratique, de retirer notre engagement à protéger les groupes minoritaires contre l'intolérance et la souffrance psychologique causée par l'expression de la propagande haineuse.

[239] Compte tenu de l'objectif précis du par. 13(1) en tant qu'instrument de la politique nationale, et dans l'optique des engagements internationaux, il n'est pas à propos selon nous d'affirmer que la propagande haineuse est licite parce qu'elle a trouvé un autre moyen d'expression, Internet. Une fois qu'on a reconnu que la propagande haineuse va à l'encontre des valeurs consacrées par la Charte, le mode d'expression n'est pas, à notre avis, un facteur déterminant, dans la mesure où il relève de la compétence constitutionnelle du Parlement.

[240] En outre, le par. 13(1) continue de porter atteinte le moins possible à la liberté d'expression. Les définitions de haine, de mépris et de susceptible d'exposer demeurent les mêmes et n'ont pas été jugées trop larges. Comme il met l'accent sur l'utilisation d'un téléphone de façon répétée pour transmettre des messages susceptibles d'exposer des personnes à la haine ou au mépris, le par. 13(1) cible les vastes stratagèmes visant à diffuser publiquement de la propagande haineuse. De par sa structure, Internet est un moyen de communication sensible à cette analyse. Il nous est difficile de concevoir pourquoi on devrait pouvoir utiliser Internet, compte tenu de son omniprésence et de sa très grande accessibilité, pour propager des messages susceptibles d'exposer des personnes à la haine ou au mépris. On peut imaginer que ce nouveau moyen qu'est Internet est beaucoup plus efficace et mieux adapté à la diffusion de propagande haineuse.

[241] Nous concluons donc que le par. 13(1), considéré dans le contexte des faits de l'espèce, demeure rationnellement lié à l'objet de la Loi et porte atteinte de façon minimale à la liberté de l'intimé de communiquer une catégorie d'expression qui se situe assez loin de l'esprit même de l'al. 2b), et que les avantages qui en découlent continuent de l'emporter sur les effets préjudiciables sur la liberté d'expression de l'intimé.

[242] À notre avis, l'application du par. 13(1) de la Loi aux messages téléphoniques haineux communiqués par Internet demeure une restriction à la liberté de parole de l'intimé qui est raisonnable et justifiée dans une société libre et démocratique.

ii) Preuve de l'effet paralysant sur l'expression

[243] En ce qui concerne la preuve présentée par la Canadian Association for Free Expression, sur laquelle s'est fondé l'intimé, ce dernier insiste sur le fait que cette preuve n'a pas été soumise à la Cour suprême dans Taylor et devrait mener à une conclusion différente.

[244] Ce Tribunal ne peut mettre en doute le caractère suffisant de la preuve présentée à la Cour dans Taylor. Comme le juge LaForest l'a déclaré :

L'avertissement, dans l'arrêt Oakes et dans d'autres arrêts, de produire des éléments de preuve dans les affaires qui relèvent de la Charte, n'enlève pas aux tribunaux le pouvoir qu'ils ont, lorsqu'ils le jugent opportun, de prendre connaissance d'office de certains faits socio-économiques généraux et de prendre les mesures nécessaires pour s'informer à leur sujet.

… c'est une constitution que nous interprétons. Il n'est pas souhaitable qu'une loi soit jugée constitutionnelle aujourd'hui et inconstitutionnelle demain simplement à partir des éléments de preuve particuliers qui se trouvent à avoir été soumis par les avocats relativement à des faits socio-économiques généraux (93).

[245] La preuve sur laquelle l'intimé s'est fondé ne modifie pas non plus notre conclusion que le fardeau imposé par l'article premier a été satisfait. Certains témoins ont tenté de démontrer l'effet paralysant du par. 13(1) sur la liberté d'expression. Ils ont prétendu avoir souffert du mépris public de la population du fait qu'ils ont été étiquetés semeurs de haine. Un seul d'entre eux, M. Droege, a fait l'objet de plaintes en vertu de la législation sur les droits de la personne. L'effet paralysant décrit par ces témoins était imputable en grande partie à la réprobation de leurs opinions par la population, et non à la crainte de faire l'objet de plaintes en vertu de la législation sur les droits de la personne. Ces témoins, qui avaient tous leurs propres opinions, demeuraient libres d'exprimer ces opinions, ce qu'ils ont d'ailleurs fait. Les citoyens qui critiquent les opinions de chacun de ces témoins exercent eux aussi leur droit à la liberté d'expression aux termes de la Charte. Incidemment, nous avons remarqué qu'aucun de ces témoins n'a exprimé de préoccupations à l'égard du genre de propagande haineuse qu'on trouve dans les documents Zündel. Il convient de répéter que l'expression dans ces documents ne contribue en rien à promouvoir les valeurs sous-jacentes à la liberté d'expression.

[246] La preuve présentée par la Canadian Association for Free Expression, sur laquelle l'intimé s'est fondé, ne nous a pas persuadés que nous devrions en arriver à une conclusion différente en ce qui concerne la validité constitutionnelle du par. 13(1).

iii) Modifications apportées à la Loi canadienne sur les droits de la personne depuis 1990

[247] Passons à l'argument de l'intimé voulant que le par. 13(1) ne puisse plus résister à un examen à la lumière de la Charte par suite des modifications apportées à la Loi canadienne sur les droits de la personne après 1990. L'intimé invoque les modifications apportées à la Loi en 1996 et 1998 comme motif pour établir une distinction avec l'arrêt Taylor.

[248] Nous nous pencherons d'abord sur la modification portant sur les sanctions.

[249] En 1998 (L.C., 1998, ch. 9, art. 28), le par. 54(1) de la LCDP, qui traite des sanctions en cas de violation du par. 13(1), a été abrogé pour faire place à la disposition suivante :

Cas de propagande haineuse

54(1) Le membre instructeur qui juge fondée une plainte tombant sous le coup de l'article 13 peut rendre :

  1. l'ordonnance prévue à l'alinéa 53(2)a);
  2. l'ordonnance prévue au paragraphe 53(3) -- avec ou sans intérêts -- pour indemniser la victime identifiée dans la communication constituant l'acte discriminatoire;
  3. une ordonnance imposant une sanction pécuniaire d'au plus 10 000 $.

Facteurs

(1.1) Il tient compte, avant d'imposer la sanction pécuniaire visée à l'alinéa (1)c) :

b) de la nature et de la gravité de l'acte discriminatoire ainsi que des circonstances l'entourant;

c) de la nature délibérée de l'acte, des antécédents discriminatoires de son auteur et de sa capacité de payer.

[250] À l'époque où l'arrêt Taylor a été rendu, le par. 54.(1) se lisait comme suit :

Restriction

54(1) Le tribunal qui juge fondée une plainte tombant sous le coup de l'article 13 ne peut rendre que l'ordonnance prévue à l'alinéa 53(2)a).

[251] À l'époque, l'al. 53(2)a) se lisait comme suit :

53(2) À l'issue de son enquête, le Tribunal qui juge la plainte fondée peut, sous réserve du paragraphe (4) et de l'article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d'un acte discriminatoire :

a) de mettre fin à l'acte et de prendre, en consultation avec la Commission relativement à leurs objectifs généraux, des mesures destinées à prévenir des actes semblables, notamment :

  1. d'adopter un programme, plan ou arrangement visé au paragraphe 16(1),
  2. de présenter une demande d'approbation et de mettre en œuvre un programme prévus à l'article 17,

[252] À l'heure actuelle, le par. 53(3) permet au Tribunal d'accorder une indemnité maximale de 20 000 $ s'il en vient à la conclusion que l'acte discriminatoire commis par l'intimé a été délibéré ou inconsidéré. L'intimé soutient que ces dispositions élargies en matière de réparation impliquent des conséquences pénales et modifient l'approche vis-à-vis de la question constitutionnelle. Dans l'exposé de ses motifs dans l'arrêt Taylor, le juge en chef Dickson a précisément fait état de l'absence de conséquences pénales en cas de perpétration d'un acte discriminatoire à l'appui de sa conclusion relative à la validité constitutionnelle du par. 13(1). À l'époque, la Loi permettait uniquement de rendre une ordonnance d'interdit; à l'heure actuelle, le Tribunal peut également ordonner à l'intimé de verser une indemnité maximale de 30 000 $ en vertu des par. 53(2) et 54(1), tel que modifié. En outre, l'intimé se fonde sur une modification apportée en 1996 (L.C. 1996, ch. 14, art. 1) qui accroît le nombre de catégories d'actes discriminatoires afin d'inclure l'orientation sexuelle parmi les motifs de distinction illicite, et sur une modification apportée en 1998 (L.C. 1998, ch. 9, art. 27) qui exige que les membres nommés au Tribunal canadien des droits de la personne aient une expérience dans le domaine des droits de la personne et y soient sensibilisés.

a) Analyse

[253] Il est difficile de voir comment ces modifications peuvent modifier notre conclusion sur la question de la validité constitutionnelle. À notre avis, elles ne justifient pas d'établir une distinction avec l'arrêt Taylor, d'une part parce qu'elles ne peuvent être interprétées comme ayant un effet rétroactif et, d'autre part, parce que, même si cette conclusion n'est pas fondée, les modifications en question n'influent pas sur l'intégrité du résultat constitutionnel dans Taylor.

[254] Pour ce qui est du premier point, l'art. 43 de la Loi d'interprétation nous éclaire.

L'abrogation, en tout ou en partie, n'a pas pour conséquence :

…

b) de porter atteinte à l'application antérieure du texte abrogé ou aux mesures régulièrement prises sous son régime;

c) de porter atteinte au droit ou avantage acquis, aux obligations contractées ou aux responsabilités encourues sous le régime du texte abrogé;

d) d'empêcher la poursuite des infractions au texte abrogé ou l'application des sanctions -- peines, pénalités ou confiscations -- encourues aux termes de celui-ci;

e) d'influer sur les enquêtes, procédures judiciaires ou recours relatifs aux droits, obligations, avantages, responsabilités ou sanctions mentionnés aux alinéas c) et d).

les enquêtes, procédures ou recours visés à l'alinéa e) peuvent être engagés et se poursuivre, et les sanctions infligées, comme si le texte n'avait pas été abrogé. [Nous soulignons.] (94)

[255] La Loi d'interprétation s'applique à toutes les lois du Parlement, sauf indication contraire (par. 2(2) et 3(1)). Cette affaire a été renvoyée au Tribunal le 22 novembre 1996; l'audience a débuté le 26 mai 1997. Les plaintes ont été déposées en juillet et septembre 1996. De même, l'intimé a manifesté le comportement reproché avant que les modifications ne soient apportées. Nous concluons donc que les modifications (y compris celles portant sur les sanctions) ne s'appliquent pas à cette instance.

[256] Si cette conclusion est erronée, nous persistons à croire que les modifications en question ne peuvent influer sur le caractère légal de l'arrêt Taylor du point de vue de son application en l'espèce. La Cour a établi une nette distinction entre une plainte déposée en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne et une infraction au Code criminel.

Il est essentiel toutefois de reconnaître qu'en tant qu'outil expressément conçu pour empêcher la propagation des préjugés et pour favoriser la tolérance et l'égalité au sein de la collectivité, la Loi canadienne sur les droits de la personne diffère nettement du Code criminel. La législation sur les droits de la personne, et en particulier le par. 13(1), n'a pas pour objet de faire exercer contre une personne fautive le plein pouvoir de l'État dans le but de lui infliger un châtiment. Au contraire, les dispositions des lois sur les droits de la personne tendent plutôt, en règle générale, à éviter ce genre d'affrontement en permettant autant que possible un règlement par voie de conciliation et, lorsqu'il y a discrimination, en prévoyant des redressements destinés davantage à indemniser la victime (95).

[257] À notre avis, ces modifications ne modifient pas la nature et l'objet essentiel du par. 13(1) de la Loi. La Loi vise encore à corriger et non à punir. L'arrêt Taylor représentait un juste milieu entre l'objectif d'éliminer la discrimination fondée sur la haine et le besoin de protéger la liberté d'expression. Eu égard à l'importance accordée dans l'arrêt Taylor à la reconnaissance de l'intention du législateur d'éliminer la discrimination, nous sommes convaincus que les modifications citées par l'intimé ne devraient pas mener à une conclusion différente au sujet de la validité constitutionnelle du par. 13(1).

iv) Liberté de conscience et de religion

[258] L'intimé soutient, en outre, que le par. 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne viole la liberté fondamentale de conscience et de religion garantie par l'al. 2a) de la Charte et que cette violation n'est pas justifiée par l'article premier de la Charte.

a) Analyse

[259] L'article 2 de la Charte se lit comme suit :

Article 2 Chacun a les libertés fondamentales suivantes :

a) liberté de conscience et de religion;

[260] Ce droit, à l'instar des autres droits consacrés par la Charte, est soumis à la disposition restrictive énoncée à l'article premier qui veut qu'il ne puisse être restreint par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

[261] On a statué que la conscience en vertu de l'al. 2a) protège les croyances non théocentriques. Dans R. c. Morgentaler (96), la Cour a invalidé les articles du Code criminel relatifs à l'avortement. Le juge Wilson a souscrit au résultat, mais a exprimé une opinion au sujet de la signification du mot conscience.

Il me semble donc que, dans une société libre et démocratique, la liberté de conscience et de religion devrait être interprétée largement et s'étendre aux croyances dictées par la conscience, qu'elles soient fondées sur la religion ou sur une morale laïque (97).

[262] Dans l'arrêt de principe R. c. Big M Drug Mart Limited (98), le juge Dickson (tel était alors son titre) a déclaré ce qui suit au sujet de la définition de la liberté de conscience et de religion :

Le concept de la liberté de religion se définit essentiellement comme le droit de croire ce que l'on veut en matière religieuse, le droit de professer ouvertement des croyances religieuses sans crainte d'empêchement ou de représailles et le droit de manifester ses croyances religieuses par leur mise en pratique et par le culte ou par leur enseignement ou leur propagation (99).

[263] Bien qu'elle soit fondée sur la dignité inhérente à la personne humaine, la liberté est soumise à des restrictions

qui sont nécessaires pour préserver la sécurité, l'ordre, la santé ou les mœurs publics ou les libertés et droits fondamentaux d'autrui… (100)

[264] Dans Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau-Brunswick (101), la Cour s'est penchée sur les conclusions d'une commission d'enquête sur les droits de la personne qui avait ordonné à un conseil scolaire de relever un professeur de sa charge d'enseignement et de mettre fin à son emploi en raison de ses déclarations racistes et discriminatoires contre les Juifs en dehors de ses heures de travail. Cet enseignant avait exprimé ses opinions antisémites dans des écrits et déclarations, notamment dans quatre livres ou brochures, dans des lettres à des journaux locaux et dans une interview à la télévision locale. La commission d'enquête a jugé que les remarques que l'enseignant avait faites en dehors de ses heures de travail avaient dénigré la foi et les croyances des Juifs et que le conseil scolaire avait contrevenu au par. 5(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, concluant qu'il avait fait preuve de discrimination en ne prenant pas de mesures disciplinaires sérieuses. On a soutenu en appel que certaines dispositions de l'ordonnance de la commission d'enquête portaient atteinte aux libertés d'expression et de religion de l'enseignant et ne pouvaient être justifiées au sens de l'article premier.

[265] La Cour suprême du Canada a rétabli l'ordonnance de la commission d'enquête, soutenant que cette dernière avait conclu à juste titre que le maintien en poste de l'enseignant constituait un acte discriminatoire au sens du par. 5(1) de la Loi, relativement aux services éducatifs offerts au public. En ce qui concerne les al. 2a) et 2b) de la Charte, les écrits et déclarations de l'enseignant étaient clairement protégés par l'al. 2b) de la Charte, et l'ordonnance de la commission d'enquête portait atteinte à la liberté d'expression de l'enseignant. De plus, l'ordonnance portait atteinte à la liberté de religion de l'enseignant, liberté qui garantit que chacun est libre d'embrasser et de professer, sans ingérence de l'État, les croyances et opinions que lui dicte sa conscience. En supposant que ces croyances et opinions soient sincères, il n'est pas loisible aux cours de justice de mettre en doute leur validité.

[266] En ce qui concerne la liberté de religion, le juge LaForest, s'exprimant au nom de la Cour, a déclaré :

En l'espèce, l'expression de l'intimé est de nature religieuse. Il soutient donc que sa liberté de religion a aussi été violée… (102)

En faisant valoir que l'ordonnance viole sa liberté de religion, l'intimé prétend que la Loi sert d'épée pour punir les particuliers qui expriment des croyances religieuses discriminatoires. Il soutient que [Traduction] [t]outes les invectives et les exagérations dont fait l'objet l'antisémitisme ne sont, en réalité, qu'un écran de fumée qui occulte l'imposition de croyances religieuses approuvées officiellement à l'ensemble de la société, ce qui n'est pas le rôle des cours de justice ni des tribunaux des droits de la personne dans une société libre. Dans la présente affaire, l'intimé manifeste sa liberté de religion dans ses écrits, déclarations et publications. Ceux-ci, soutient-il, constituent [Traduction] [des] déclaration[s] religieuse[s] [faite][s] en toute honnêteté, ajoutant qu'il n'appartient pas à notre Cour de décider quelle religion il faut professer (103).

Je souscris à son énoncé sur le rôle de la Cour. Dans R. c. Jones, [1986] 2 R.C.S. 284, j'ai dit qu'en supposant que la croyance religieuse exprimée était sincère, il n'était pas loisible à la Cour d'en mettre en doute la validité. Si l'acte ou la disposition qu'on attaque a pour effet de porter atteinte aux activités ou aux convictions religieuses d'une personne, cela est suffisant pour donner lieu à un examen constitutionnel (104).

[267] Finalement, le juge LaForest a conclu que l'ordonnance en question portait atteinte aux libertés d'expression et de religion de l'intimé et a donc analysé si cette atteinte était justifiable aux termes de l'article premier de la Charte. Cette analyse s'inscrivait dans trois contextes : le contexte de l'éducation, celui de l'emploi et celui de l'antisémitisme. En ce qui a trait au troisième contexte, la Cour a reconnu que les tribunaux des droits de la personne jouent un rôle de premier plan dans l'évolution du droit en matière de discrimination et que ces tribunaux sont sensibilisés à ces questions. Ayant conclu que l'expression qu'on cherche à protéger par l'al. 2b) n'avait tout au plus qu'un lien ténu avec les valeurs qui sous-tendent la liberté d'expression, la Cour a procédé à l'examen de cette dernière question.

Quant à la liberté de religion, toute croyance religieuse qui dénigre et attaque les croyances religieuses d'autrui mine le fondement même de la garantie de l'al. 2a), un fondement qui garantit à chaque personne la liberté d'embrasser et de manifester les croyances que lui dicte sa conscience. L'intimé se sert de ses opinions religieuses pour nier aux Juifs le respect de la dignité et de l'égalité qui, dit-on, comptent parmi les valeurs fondamentales devant guider les tribunaux qui procèdent à une analyse fondée sur l'article premier. Lorsque les manifestations d'un droit ou d'une liberté d'une personne sont incompatibles avec les valeurs mêmes que l'on cherche à maintenir en procédant à une analyse fondée sur l'article premier, il convient de permettre un degré atténué de justification au sens de l'article premier (105).

[268] La Cour a conclu que le maintien de l'intimé dans son poste avait contribué à créer un milieu scolaire injustement discriminatoire ou empoisonné et que toute atteinte aux libertés d'expression et de religion de l'intimé qui pourrait en résulter était justifiable.

[269] Dans une affaire récente -- Université Trinity Western c. British Columbia College of Teachers (106), la Cour s'est penchée sur le conflit éventuel entre les libertés religieuses et les droits à l'égalité. L'Université Trinity Western (UTW), un établissement religieux privé de la Colombie-Britannique, avait présenté au B.C. College of Teachers (BCCT) une demande en vue de l'agrément de son programme de formation des enseignants. Ce programme traduisait le désir de l'UTW d'assurer que tout son programme reflète sa vision chrétienne du monde. Le BCCT craignait une norme interdisant les pratiques que la Bible condamne, notamment les péchés sexuels et le comportement homosexuel. Le BCCT a refusé d'approuver la demande pour le motif qu'on exerçait de la discrimination. La Cour d'appel a jugé que le BCCT avait agi dans les limites de sa compétence, mais a confirmé la décision du juge de première instance pour le motif que la conclusion du BCCT relative à la discrimination n'avait aucun fondement raisonnable.

[270] Les juges majoritaires de la Cour suprême du Canada ont rejeté le pourvoi. La Cour a indiqué qu'il fallait concilier les libertés religieuses des individus avec les préoccupations d'égalité des élèves du système scolaire public de la Colombie-Britannique.

[271] La Cour a cité l'arrêt Ross c. District scolaire no 15 du Nouveau-Brunswick :

Dans l'arrêt Ross, notre Cour a reconnu que les enseignants servent d'intermédiaires pour transmettre des valeurs. Il est évident que le caractère pluraliste de la société et l'ampleur de la diversité au Canada sont des éléments importants dont les futurs enseignants doivent prendre conscience parce qu'ils caractérisent la société dans laquelle ils seront appelés à travailler et expliquent pourquoi il est nécessaire pour eux de respecter et de promouvoir les droits des minorités. Pour déterminer l'aptitude à devenir enseignant, il faut donc tenir compte de toutes les caractéristiques du programme de formation de l'UTW (107).

[272] Après avoir examiné la norme d'examen et l'importance de l'égalité dans la société canadienne, telle que décrite par le juge Cory au nom de la majorité dans Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493, la Cour s'est penchée sur l'obligation du BCCT d'examiner la question de la liberté de religion dans le contexte de la conciliation des libertés des individus qui fréquentent les écoles et des préoccupations en matière d'égalité des élèves du système scolaire.

À notre avis, nous sommes en présence d'une situation dans laquelle il y a lieu de régler tout conflit éventuel en délimitant correctement les droits et valeurs en cause. Essentiellement, une bonne délimitation de la portée des droits permet d'éviter un conflit en l'espèce. Ni la liberté de religion ni la protection contre la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle ne sont absolues. Comme le juge L'Heureux-Dubé l'a affirmé à ce propos, au nom des juges majoritaires, dans l'arrêt P.(D.) c. S.(C.), [1993] 4 R.C.S. 141, à la p. 182 :

Comme la Cour l'a réitéré à maintes occasions, la liberté de religion, comme toute liberté, n'est pas absolue. Elle est limitée de façon inhérente par les droits et libertés des autres. Alors que les parents sont libres de choisir et de pratiquer la religion de leur choix, ces activités peuvent et doivent être restreintes lorsqu'elles contreviennent au meilleur intérêt de l'enfant, sans pour autant violer la liberté de religion des parents (108).

[273] Une fois de plus, se fondant sur l'arrêt Dagenais c. Société Radio-Canada (109), la Cour a déclaré que la Charte doit s'interpréter comme un tout, de manière à éviter de privilégier un droit au détriment d'un autre.

[274] Finalement, la majorité (la juge L'Heureux-Dubé étant dissidente) a statué que le pourvoi impliquait essentiellement de concilier les libertés religieuses des individus désireux de fréquenter l'UTW avec les préoccupations en matière d'égalité des élèves du système scolaire public de la Colombie-Britannique. Ni la liberté de religion ni la protection contre la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle ne sont absolues, et il convient généralement de tracer la ligne entre la croyance et le comportement. En l'absence de preuve tangible que la formation d'enseignants à l'UTW favorise la discrimination dans les écoles publiques de la Colombie-Britannique, il y a lieu de respecter la liberté des individus d'avoir certaines croyances religieuses pendant qu'ils fréquentent l'UTW.

[275] On a jugé, tant dans Ross que dans UTW, que les libertés de conscience et de religion garanties par la Charte étaient en cause. Dans l'affaire Ross en particulier, on avait, dans un contexte factuel semblable, relevé un enseignant de ses fonctions en raison de ses écrits antisémites. La Cour a soutenu que l'ordonnance de la commission d'enquête portait atteinte à la liberté d'expression de Ross en vertu de l'al. 2b) de la Charte et à sa liberté de religion en vertu de l'al. 2a). La Cour a supposé que ces croyances et opinions étaient sincères et qu'il ne lui était pas loisible de mettre en question leur validité (110). Pour ce motif, nous devons rejeter l'argument de la Commission voulant que les libertés de conscience et de religion de l'intimé garanties par l'al. 2a) de la Charte n'aient pas été restreintes ni enfreintes. Nous ne pouvons accepter l'argument de la Commission que l'intimé n'a mentionné aucune croyance tombant sous le coup de l'al. 2a) de la Charte.

[276] Il reste donc à déterminer si une telle restriction est raisonnable et justifiée dans une société libre et démocratique, conformément à l'article premier de la Charte. Notre conclusion relative à l'application de l'article premier à l'al. 2b) de la Charte s'applique-t-elle également à l'al. 2a)?

[277] Dans l'arrêt Big M, le juge Dickson a clairement précisé que bien que la notion de liberté de religion implique le droit de croire ce que l'on veut en matière religieuse, dans un contexte exempt de coercition et de contrainte, ce droit doit être protégé dans des limites raisonnables et sous réserve des restrictions nécessaires pour préserver la sécurité, l'ordre, la santé ou les mœurs publics ou les libertés et droits fondamentaux d'autrui.

[278] Bien que nous ayons conclu que l'al. 2a) de la Charte est en cause, il est difficile de voir comment notre conclusion en ce qui touche l'application de l'article premier pourrait différer de notre conclusion ayant trait à la restriction du droit de l'intimé à la liberté d'expression.

[279] L'intimé a fait valoir qu'une infraction fondée sur des déclarations qui ne permettent pas à quelqu'un de dire la vérité selon ce qui lui dicte sa conscience est une violation de l'al. 2a) de la Charte. En réponse à cet argument, la Commission a argué que l'intimé a droit en vertu de la Charte d'avoir des croyances à l'égard de l'holocauste et du peuple juif en général et de considérer ces croyances comme étant vraies. Toutefois, ni les libertés de conscience et de religion ni la liberté d'expression ne permettent à l'intimé de violer le par. 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Ce paragraphe, comme nous l'avons vu, peut restreindre l'expression de la vérité seulement si cela est nécessaire pour protéger la dignité humaine et l'estime de soi des membres d'un groupe désigné -- comme la communauté juive en l'occurrence.

[280] En conséquence, nous nous fondons sur les motifs énoncés dans les arrêts Taylor et Ross pour conclure que la restriction que le par. 13(1) de la Loi impose aux libertés de conscience et de religion de l'intimé est raisonnable et justifiée dans une société libre et démocratique.

v) Article 7 de la Charte

[281] L'intimé invoque également l'art. 7 de la Charte, qui porte sur le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne. En ce qui concerne l'article 7, le professeur Hogg a déclaré :

L'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés se lit comme suit :

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

[Traduction] Il est peut-être préférable de dire que l'art. 7 confère un seul droit, c'est-à-dire le droit qu'on ne porte pas atteinte à la vie, la liberté et à la sécurité de la personne, si ce n'est en conformité avec les principes de justice fondamentale. On suppose généralement dans les précédents que l'interprétation voulant qu'il existe un seul droit est la bonne, de sorte qu'il y a violation de l'art. 7 que s'il y a eu omission de respecter les principes de justice fondamentale (111).

a) Analyse

[282] Il s'ensuit que l'intimé doit prouver qu'il a été privé de son droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de sa personne et que cette privation s'est faite d'une façon incompatible avec les principes de justice fondamentale. Il est évident, par ailleurs, que le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne n'inclut pas de droits de propriété ou la détermination de droits et d'obligations relatifs à des intérêts financiers.

[283] L'intimé allègue que le par. 13(1) de la Loi est vague et, partant, viole les principes de justice fondamentale. Dans R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society (112), le juge Gonthier a déclaré :

Une disposition imprécise ne constitue pas un fondement adéquat pour un débat judiciaire, c'est-à-dire pour trancher quant à sa signification à la suite d'une analyse raisonnée appliquant des critères juridiques. Elle ne délimite pas suffisamment une sphère de risque et ne peut donc fournir ni d'avertissement raisonnable aux citoyens ni de limitation du pouvoir discrétionnaire dans l'application de la loi. Une telle disposition n'est pas intelligible, pour reprendre la terminologie de la jurisprudence de notre Cour, et ne donne par conséquent pas suffisamment d'indication susceptible d'alimenter un débat judiciaire (113).

[284] L'article 7 garantit la liberté, ce qui comprend le droit d'être protégé contre les restrictions physiques. L'intimé a fait valoir que les modifications apportées à la Loi canadienne sur les droits de la personne impliquent l'imposition d'une sanction ayant pour effet de le priver de son droit à la liberté. Nous ferons remarquer que nous avons déjà conclu que ces modifications ne s'appliquent pas à cette instance. Néanmoins, nous aborderons cette question en présumant, aux fins de l'analyse, que les modifications apportées à la Loi canadienne sur les droits de la personne s'appliquent.

[285] Le professeur Hogg a traité de la question des lois qui imposent une peine d'emprisonnement.

[Traduction] La liberté comprend certes le droit d'être protégé contre les restrictions physiques. Toute loi qui prévoit l'imposition d'une peine d'emprisonnement, que celle-ci soit obligatoire ou discrétionnaire, équivaut, du fait de cette sanction, à une privation de liberté et doit être conforme aux principes de justice fondamentale. Une loi qui n'impose qu'une amende n'implique pas une privation de liberté et n'a pas à être conforme aux principes de justice fondamentale. Au même titre que l'emprisonnement, les obligations légales de se soumettre au prélèvement de ses empreintes digitales, de produire des documents, de déposer oralement et de ne pas flâner sur un terrain d'école ou à proximité d'un tel terrain, sur un terrain de jeux, dans un parc public ou dans une aire publique où l'on peut se baigner sont autant de privations de liberté auxquelles s'appliquent les règles de justice fondamentale (114).

[286] Une loi qui impose une sanction ou une amende ne prive pas un individu de sa liberté. Le professeur Hogg a également déclaré :

[Traduction]

Selon la Cour suprême du Canada, la notion de liberté n'englobe que le droit d'être protégé contre les restrictions physiques (115).

[287] L'emprisonnement n'est pas l'une des sanctions prévues par la Loi sous sa forme actuelle. Le Tribunal a maintenant le pouvoir de rendre une ordonnance pour indemniser la victime ou imposer une sanction pécuniaire d'au plus 10 000 $. La Loi n'autorisait le Tribunal qu'à rendre une ordonnance d'interdit, et c'est la seule ordonnance que la Commission lui a demandé de rendre. L'intimé ne risque donc pas d'être soumis à des restrictions physiques et de voir son droit à la liberté être violé.

[288] En outre, l'intimé soutient que le par. 13(1) de la Loi le prive de son droit à la sécurité de sa personne. Il nous est difficile de voir comment le par. 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne porte atteinte à la sécurité de sa personne.

[289] Dans R. c. Morgantaler, la majorité a exprimé l'avis que le risque pour la santé que représentait la restriction à l'avortement prévue par le Code criminel était une atteinte à la sécurité de la personne. Il convient donc de se demander si la notion de sécurité de la personne va au-delà de la santé et de la sécurité. En supposant que ce soit le cas, nous ne voyons pas, dans le cas de l'intimé, comment l'application du par. 13(1) pourrait compromettre la sécurité de sa personne.

[290] Même si l'intimé réussissait à démontrer qu'il y a privation de son droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de sa personne, une telle privation n'irait pas à l'encontre des principes de justice fondamentale pour cause d'imprécision. Dans l'arrêt Taylor, la Cour a précisément abordé la question de l'interprétation à donner aux mots haine et mépris et elle a analysé l'argument voulant que le par. 13(1) de la Loi soit vague. Il convient de répéter ce qui est dit dans Taylor à ce sujet.

Le terme hatred connote un ensemble d'émotions et de sentiments comportant une malice extrême envers une autre personne ou un autre groupe de personnes. Quand on dit qu'on hait quelqu'un, c'est que l'on ne trouve aucune qualité qui rachète ses défauts… Par contraste, contempt est un terme qui suggère le processus mental consistant à regarder quelqu'un de haut ou à le traiter comme inférieur (116).

[291] Le juge en chef Dickson a conclu que le par. 13(1) de la Loi pouvait être interprété de façon précise et n'était pas vicié par une imprécision.

[292] Même si l'intimé avait démontré une privation de son droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne, nous sommes d'avis, pour les motifs exposés ci-dessus, que toute restriction de l'art. 7 en l'espèce est raisonnable et justifiée dans une société libre et démocratique conformément à l'article premier de la Charte.

[293] En outre, au regard des circonstances de l'espèce, nous ne concevons pas qu'une ordonnance rendue en vertu du par. 13(1) de la Loi puisse violer les par. 1d) et f) et l'art. 2 de la Déclaration canadienne des droits et, par conséquent, nous refusons de faire droit à cet argument de l'intimé.

vi) Conclusion

[294] Par conséquent, la requête présentée par l'intimé en vertu de l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 visant à obtenir une ordonnance déclarant l'art. 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne inopérant pour les motifs qu'il a énoncés est par la présente rejetée.

IX. REDRESSEMENT

[295] Durant l'audience, on a émis l'opinion qu'une ordonnance d'interdit à l'encontre de l'intimé n'aurait pratiquement aucun effet du point de vue de l'élimination de ce genre de documents sur le World Wide Web. Comme nous l'avons signalé tout au cours du prononcé de cette décision, M. Zündel n'a pas participé au plaidoyer final sur le fond des plaintes et, par conséquent, le Tribunal, désireux de tenir une audience impartiale dans les circonstances, a soulevé ce point durant le plaidoyer de la Commission.

[296] L'une des caractéristiques propres à Internet est la facilité avec laquelle des individus que le créateur d'un site particulier ne connaît pas peuvent y accéder et, s'ils le désirent, reproduire intégralement le site à une autre adresse URL. La preuve qui nous a été présentée appuie la prétention qu'il existe déjà des sites miroirs dans lesquels le contenu actuel du Zundelsite est reproduit intégralement. En outre, nous sommes conscients que certains individus désireux de contrer les efforts pour restreindre la liberté de parole ou réglementer Internet pourraient être enclins à créer des sites miroirs en réaction directe à une ordonnance de ce Tribunal. Comme il n'existe aucune preuve que ces sites sont sous le contrôle de M. Zündel, on a fait valoir que même si nous jugeons qu'on a contrevenu au par. 13(1) de la Loi, une ordonnance d'interdit serait tout à fait inefficace. Nonobstant toute ordonnance que nous pourrions rendre, les documents du Zundelsite qui, avons-nous conclu, portent atteinte au par. 13(1) de la Loi, demeureront accessibles à quiconque au Canada peut trouver un site miroir.

[297] L'avocat de la Commission et les intervenants en faveur de sa position de cette dernière ont soutenu que la mesure de redressement proposée aurait à la fois une valeur symbolique et une incidence sur le plan pratique. Une ordonnance d'interdit empêcherait à tout le moins l'intimé de continuer de mettre à jour ou de promouvoir ce site.

[298] Nous sommes vivement conscients des limites du pouvoir réparateur en l'espèce. Il y a toujours la possibilité qu'un individu n'ayant absolument rien à voir avec un intimé nommé se livre à un acte discriminatoire similaire. Cependant, la technologie utilisée pour l'affichage de documents sur Internet amplifie ce problème, car il est permis de croire que cette technologie rend plus difficile la réalisation de l'objectif ultime de l'élimination de la diffusion par téléphone de tels documents.

[299] Néanmoins, nous avons en tant que Tribunal la responsabilité de nous prononcer sur les plaintes dont nous sommes saisis et de rendre une ordonnance si nous estimons que l'intimé a commis un acte discriminatoire. Nous ne pouvons nous laisser influencer indûment en l'espèce par ce que d'autres pourraient faire une fois notre ordonnance rendue. La Commission ou d'autres plaignants peuvent décider de déposer d'autres plaintes ou de réagir autrement comme bon leur semble s'ils jugent que la Loi a été violée à nouveau.

[300] Toute mesure de redressement prise par ce Tribunal ou tout autre tribunal servira immanquablement plusieurs buts; la prévention et l'élimination d'actes discriminatoires ne sont qu'un des résultats qui découleront d'une ordonnance rendue par suite de cette instance. La dénonciation publique des actes reprochés en l'espèce revêt par ailleurs une importante valeur symbolique. De plus, il y a un avantage possible sur le plan éducatif et, en fin de compte, du point de vue de l'effet préventif qui peut découler d'un débat ouvert sur les principes énoncés dans cette décision et toute autre décision du Tribunal.

[301] Le Parlement, au nom de tous les Canadiens, a décidé que notre société ne saurait tolérer la diffusion de messages haineux par téléphone. À notre avis, les victimes de haine ont droit à l'avantage que constitue le plein poids de notre autorité.

[302] Nous avons déterminé que l'intimé, Ernst Zündel, a commis un acte discriminatoire en affichant sur son site Web des documents susceptibles d'exposer les Juifs à la haine et au mépris et que les mesures de redressement demandées sont justifiées et appropriées.

X. ORDONNANCE

[303] Nous ordonnons donc que l'intimé, Ernst Zündel, et toute autre personne qui agit en son nom ou de concert avec lui cessent la pratique discriminatoire que constitue l'utilisation d'un téléphone de façon répétée en recourant ou en faisant recourir aux services d'une entreprise de télécommunication relevant de la compétence du Parlement pour aborder ou faire aborder des questions du genre de celles dont il est fait état dans la pièce HR-2 et le Zundelsite, ou pour diffuser d'autres messages ayant sensiblement la même forme ou teneur qui sont susceptibles d'exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable sur la base des critères énoncés à l'article 3, en contravention du par. 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

"Originale signée par"


Claude Pensa, président

"Originale signée par"


Reva Devins, membre

OTTAWA (Ontario)

Le 18 janvier 2002

ANNEXE A

DÉCISIONS DU TRIBUNAL / REQUÊTES À LA

COUR FÉDÉRALE ET ARRÊTS RENDUS

Date Objet de la décision ou requête

1996

22 nov. 1996 Renvoi de l'affaire au Tribunal par la CCDP.

12 déc. 1996 Dépôt devant la Section de première instance de la Cour fédérale d'une requête en suspension des procédures. (Dossier T2765-96).

1997

26 mai 1997 Première journée d'audience.

26 mai 1997 Décision du Tribunal au sujet de la requête de l'intimé visant à entendre les témoignages de vive voix au cours de l'argumentation portant sur la requête préliminaire en suspension des procédures. (Décision versée au dossier)

27 mai 1997 Décision du Tribunal au sujet de la requête en suspension des procédures. Requête rejetée. (Décision versée au dossier.)

27 mai 1997 Le Tribunal réserve sa décision au sujet des requêtes de la Ligue des droits de la personne de B'nai Brith Canada, de la Canadian Holocaust Association et du Simon Wiesenthal Centre visant à obtenir la qualité de partie intéressée.

19 juin 1997 Décision du Tribunal au sujet des requêtes de la Ligue des droits de la personne de B'nai Brith Canada, de la Canadian Holocaust Remembrance Association et du Simon Wiesenthal Centre visant à obtenir la qualité de partie intéressée. Requêtes accueillies. (Voir le recueil de décisions no 1.)

19 juin 1997 Directive de pratique du Tribunal concernant la divulgation et les rapports d'experts. (Voir le recueil de décisions no 2.)

25 sept. 1997 Directive de pratique supplémentaire concernant la règle des 10 jours. (Voir le recueil de décisions no 3.)

14 oct. 1997 Décision du Tribunal au sujet de la requête du Congrès juif canadien visant à obtenir la qualité de partie intéressée. Requête accueillie. (Décision versée au dossier.)

14 oct. 1997 Décision du Tribunal au sujet de l'appui de membres du Tribunal à un des plaignants ou des organismes reconnus comme partie intéressée ou de leurs liens avec ceux-ci. Le Tribunal ne fournit pas de réponse à ce sujet. (Décision versée au dossier.)

17 oct. 1997 Décision du Tribunal au sujet de la requête visant à remanier l'ordre de comparution des témoins pour des raisons de sécurité (témoin de la CCDP : Irene Zündel). Requête accueillie. (Décision versée au dossier.)

18 nov. 1997 Décision du Tribunal au sujet de l'objection de l'intimé relative au témoignage du professeur G. Prideaux. Témoignage jugé recevable. (Voir le recueil de décisions no 4.)

15 déc. 1997 Décision du Tribunal au sujet des requêtes de Marc Lemire et de la Canadian Association for Free Expression Inc. visant à obtenir la qualité de partie intéressée. Rejet de la requête de Marc Lemire. Accueil de la requête de la Canadian Association for Free Expression Inc. (Décision versée au dossier.)

17 déc. 1997 Décision du Tribunal relative aux questions posées au témoin Barbara Hall concernant la Anti-Racism Association. (Décision versée au dossier.)

19 déc. 1997 Décision relative au genre de questions autorisées par M. Freiman durant le réinterrogatoire de Mme Zundel. (Décision versée au dossier.)

1998

8 av. 1998 Le Tribunal réserve sa décision au sujet de la requête en suspension des procédures par suite du renvoi proposé dans l'affaire Mills et de l'arrêt Bell Canada (juge McGillis). (Note : Le renvoi Mills n'a jamais été déposé.)

22 av. 1998 Décision du Tribunal au sujet de la requête en suspension des procédures présentée par l'intimé à la suite de l'arrêt Bell Canada (juge McGillis). Requête rejetée. (Voir le recueil de décisions no 5.)

5 mai 1998 Rejet par la Section de première instance de la Cour fédérale de la requête en suspension des procédures déposée par l'intimé le 16 déc. 1996. (Dossier T-2765-96)

11 mai 1998 Décision du Tribunal au sujet de la reconnaissance du professeur F. Schweitzer à titre d'expert en matière d'histoire juive et d'antisémitisme. Reconnaissance du témoin à titre d'expert. (Décision versée au dossier.)

12 mai 1998 Dépôt par l'intimé d'une requête devant la Section de première instance de la Cour fédérale concernant la décision du 22 avril 1998 du Tribunal (rejet de la plainte/suspension des procédures - conformément à l'arrêt Bell Canada - juge McGillis). (Dossier T-992-098)

14 mai 1998 Décision du Tribunal au sujet de l'admissibilité des questions posées au professeur Schweitzer en contre-interrogatoire. (Décision versée au dossier.)

15 mai 1998 Autre décision du Tribunal au sujet du genre de questions posées au professeur Schweitzer en contre-interrogatoire. Les questions doivent s'inscrire dans le domaine de spécialisation du témoin. (Décision versée au dossier.)

15 mai 1998 Le Tribunal réserve sa décision quant à la question à savoir si la vérité n'est pas une défense.

25 mai 1998 Décision du Tribunal sur le genre de questions posées au professeur Schweitzer en contre-interrogatoire. (Décision versée au dossier.)

2 juin 1998 Décision du Tribunal au sujet de la reconnaissance de M. Alexander Jacobs comme expert dans le domaine de l'antisémitisme. Requête rejetée. (Décision versée au dossier.)

8 juin 1998 Dépôt par l'intimé devant la Section de première instance de la Cour fédérale d'une requête concernant la décision du 25 mai 1998 du Tribunal (la vérité n'est pas un moyen de défense). (Dossier T-1154-98)

8 juin 1998 Décision du Tribunal au sujet de la reconnaissance de M. Robert Countess comme expert. Non-reconnaissance du témoin comme expert. (Voir le recueil de décisions no 7.)

8 juin 1998 Dépôt par l'intimé devant la Section de première instance de la Cour fédérale d'une requête concernant la décision rendue sur le banc par le Tribunal le 2 juin 1998 (reconnaissance de M. Jacobs comme expert). (Dossier T-1155-98)

9 juin 1998 Non-reconnaissance du témoin comme expert. Le témoin devrait témoigner au sujet des faits et ne pourra fournir d'opinion d'expert. (Décision versée au dossier.)

10 juin 1998 Le Tribunal réserve sa décision au sujet de la crainte de partialité -- déclarations faites publiquement au sujet de M. Zündel par la Commission ontarienne des droits de la personne. Le membre Devins faisait partie à l'époque de la Commission ontarienne des droits de la personne.

18 juin 1998 Décision du Tribunal au sujet de la crainte de partialité --membre Devins. Requête rejetée. (Voir le recueil de décisions no 8.)

10 juillet 1998 Dépôt par l'intimé devant la Section de première instance de la Cour fédérale d'une requête concernant la décision du 18 juin 1998 du Tribunal (crainte de partialité -- R. Devins). (Dossier T-1411-98)

12 nov. 1998 Décision du Tribunal concernant les modifications à la LCDP et leur application à cette instance. (Décision versée au dossier.)

12 nov. 1998 Décision du Tribunal au sujet de la requête visant à citer S. Citron, B. Kayfetz, le maire Lastman et D. Jones. Requête rejetée. (Décision versée au dossier.)

12 nov. 1998 Requête de Me Christie concernant la crainte de partialité institutionnelle. Audition par le Tribunal des arguments à propos de la requête le 9 déc. 1998.

12 nov. 1998 Décision du Tribunal au sujet de l'énoncé de mission d'Electronic Frontier Canada. Non-admissibilité en preuve de l'énoncé. (Décision versée au dossier.)

7 déc. 1998 Audition par le Tribunal de la requête de l'intimé concernant les conséquences de la démission du membre Jain.

9 déc. 1998 Le tribunal réserve sa décision au sujet de la démission de M. Jain comme membre instructeur.

10 déc. 1998 Report au 15 déc. 1998 de la décision du Tribunal au sujet de la reconnaissance de M. Weber comme témoin expert.

15 déc. 1998 Décision du Tribunal au sujet de la démission d'Harish Jain. Requête rejetée. (Décision versée au dossier.)

15 déc. 1998 Décision du Tribunal au sujet de la reconnaissance de Mark Weber comme expert. Recevabilité du témoignage de M. Weber comme révisionniste de l'holocauste afin notamment de déterminer le mode de fonctionnement de la communauté révisionniste. (Décision versée au dossier.)

15 déc. 1998 Le Tribunal réserve sa décision au sujet de la crainte de partialité institutionnelle.

18 déc. 1998 Le Tribunal réserve sa décision au sujet sur la reconnaissance de M. Faurisson comme expert pour réfuter l'analyse du professeur Prideaux concernant le Zundelsite.

1999

21 janv. 1999 Décision du Tribunal sur la reconnaissance de M. Faurisson comme expert pour réfuter l'analyse du professeur Prideaux concernant le Zundelsite. (Voir le recueil de décisions no 9.)

21 janv. 1999 Décision du Tribunal au sujet de la crainte raisonnable de partialité fondée sur le libellé du par. 48.1(2) de la LCDP, en vigueur en 1998. (Voir le recueil de décision no 10.)

23 mars 1999 Annulation par la Cour fédérale de la requête de l'intimé (no T-992-98) concernant la décision du 22 avril 1998 du Tribunal. (Rejet de la plainte/suspension des procédures/arrêt Bell Canada -- juge McGillis).

13 av. 1999 Annulation par la Cour fédérale de la requête (Dossier T-1154-98) concernant la décision du 25 mai 1998 du Tribunal (la vérité n'est pas un moyen de défense).

13 av. 1999 Annulation par la Cour fédérale de la requête de l'intimé (Dossier T-1155-98) concernant la décision rendue sur le banc par le Tribunal le 2 juin 1998 (reconnaissance de M. Jacobs comme expert).

13 av. 1999 Accueil par la Cour fédérale de la requête de l'intimé (Dossier T-1411-98) concernant la décision du 18 juin 1998 du Tribunal (crainte de partialité -- R. Devins).

15 av. 1999 Ajournement sine die de l'audience.

22 av. 1999 Dépôt par le Simon Wiesenthal Centre devant la Cour d'appel fédérale d'une requête en contrôle judiciaire de la décision de la Section de première instance de la Cour fédérale concernant la crainte de partialité -- membre Devins (Dossier T-1411-98). Participation de la CCDP, des plaignants, de la Canadian Holocaust Association et de la Ligue des droits de la personne de B'Nai Brith Canada. (Dossier A-253-99)

15 juin 1999 Rejet par la Section de première instance de la Cour fédérale de la requête en contrôle judiciaire de l'intimé portant sur la décision de la Commission canadienne des droits de la personne de renvoyer les plaintes au Tribunal canadien des droits de la personne.

2000

18 mai 2000 Accueil par la Cour d'appel fédérale de la requête du Simon Wiesenthal Centre concernant la crainte de partialité -- membre Devins (Dossier A-253-99). Renvoi de la question au Tribunal en vue du parachèvement de l'audience.

4 oct. 2000 Reprise de l'audience.

5 oct. 2000 Décision du Tribunal au sujet des questions posées à M. Weber durant l'interrogatoire principal. L'interrogatoire doit se limiter au thème du révisionnisme, conformément à la décision du 15 déc. 1998 du Tribunal. (Décision versée au dossier.)

5 oct. 2000 Décision du Tribunal au sujet de la recevabilité des documents de l'intimé. Les documents seront versés au dossier et déposés en tant que prochaines pièces présentées en preuve par l'intimé. Les avocats ne seront pas autorisés à interroger les témoins au sujet de ces pièces. (Décision versée au dossier.)

9 nov. 2000 Décision du Tribunal au sujet de la demande de l'intimé visant à ajourner l'audience jusqu'à ce que la Cour d'appel fédérale ait statué sur la décision rendue le 15 juin 1999 par le juge Evans. Demande d'ajournement rejetée. (Décision versée au dossier.)

9 nov. 2000 Décision du Tribunal au sujet de la demande de l'avocat de l'intimé visant à examiner par voie d'affidavits la requête en inconstitutionnalité. Requête rejetée. (Décision versée au dossier.)

9 nov. 2000 Décision du Tribunal au sujet de la reconnaissance de M. Martin comme expert en histoire. Requête rejetée. Non-reconnaissance du témoin comme expert. (Décision versée au dossier.)

13 nov. 2001 Dépôt par l'intimé d'un avis de requête contestant la constitutionnalité du par. 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

27 nov. 2000 Lecture par le président du Tribunal, aux fins du dossier, des motifs de la décision du 9 nov. 2000 du Tribunal au sujet de la reconnaissance de M. Martin comme expert.

28 nov. 2000 Décision du Tribunal au sujet de la requête de Me Fromm (partie intéressée -- Canadian Association for Free Expression) de citer à témoin Bernard Klatt. Accueil de la requête moyennant certaines restrictions, conformément à l'argumentation de l'avocat. (Décision versée au dossier.)

5 déc. 2000 Décision du Tribunal au sujet de la reconnaissance de Kevin Michael Grace, cité par Me Fromm, comme expert en journalisme. Reconnaissance du témoin comme expert en journalisme. (Décision versée au dossier.)

6 déc. 2000 Décision du Tribunal concernant la reconnaissance du professeur Heinz-Joachim Klatt cité par Me Fromm, à titre d'expert dans les domaines des langues, de la linguistique et de la liberté de parole. Non-reconnaissance du témoin comme expert. (Décision versée au dossier.)

7 déc. 2000 Clôture de la preuve sur le fond des plaintes et la question de la constitutionnalité. Présentation d'un mémoire écrit et d'un plaidoyer final pour chacune des questions. (Établissement d'un calendrier par le Tribunal.)

2001

26 fév. 2001 Plaidoyers oraux finals (3 jours)

28 fév. 2001 Le Tribunal réserve sa décision tant sur le fond des plaintes que sur la question de la constitutionnalité.

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL No : T460/1596

INTITULÉ DE LA CAUSE : Sabina Citron et Comité du maire de Toronto sur les relations entre races et communautés c. Ernst Zündel

LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)

les 26 et 27 mai 1997, du 14 au 17 octobre 1997, les 11 et 12 décembre 1997, du 15 au 19 décembre 1997, les 7 et 8 avril 1998, du 11 au 15 mai 1998, du 2 au 4 juin 1998, les 9 et 10 juin 1998, les 9 et 10 novembre 1998, les 12 et 13 novembre 1998, du 7 au 10 décembre 1998, du 15 au 18 décembre 1998, du 4 au 6 octobre 2000, du 8 au 10 novembre 2000, les 27 et 28 novembre 2000, du 4 au 8 décembre 2000, du 26 au 28 février 2001

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : Le 18 janvier 2002

ONT COMPARU :

Robert Armstrong et Wendy Matheson au nom de Sabina Citron et de la Canadian Holocaust Remembrance Association

Edward Earle au nom du Comité du maire de Toronto sur les relations entre races et communautés

Mark Freiman, Caroline Zayid et Eddie Taylor au nom de la Commission canadienne des droits de la personne

Douglas H. Christie et Barbara Kulaszka au nom d'Ernst Zündel

Marvin Kurz au nom de la Ligue des droits de la personne de B'Nai Brith Canada

John Rosen et Robyn Bell au nom du Simon Wiesenthal Centre

Seamus Woods, Joel Richler et Judy Chan au nom du Congrès juif canadien

Paul Fromm au nom de la Canadian Association for Free Expression Inc.

1. La pièce HR-2 renferme des copies des documents téléchargés à partir du Zundelsite.

2. Une liste des requêtes et des principales décisions rendues dans cette affaire est reproduite à l'annexe A. Tout au cours de la preuve, les parties ont fréquemment soulevé des objections qui ont donné lieu à d'innombrables décisions.

3. Un des membres nommés initialement pour instruire cette affaire, le professeur Harish Jain, a démissionné le 1er décembre 1998.

4. M. Alexander Jacobs (décision du 8 juin 1998), M. Robert Countess (décision du 8 juin 1998), M. Robert Faurisson (décision du 21 janvier 1999) et M. Tony Martin (décision du 9 novembre 2000).

5. Pièce HR-2, onglet 14, p. 2.

6. Pièce HR-2, onglet 16, pp. 2 et 3.

7. Pièce HR-2, onglet 19, p. 3.

8. Pièce HR-4.

9. Pièce R-9.

10. Pièce HR-2, onglet 25, pp. 1 et 3.

11. Pièce R-20.

12. Nous ferons remarquer que M. Klatt a suscité beaucoup de controverses durant les années où il a été fournisseur de services Internet (FSI). Son entreprise a fait l'objet d'une vaste couverture médiatique pour avoir hébergé des sites haineux.

13. Selon la définition fonctionnelle que M. Klatt donne au terme téléphonie, le réseau téléphonique sert uniquement à transmettre des signaux sonores. La transmission électrique de tous les autres types d'information (p. ex., les textes) fait appel, selon sa définition, au réseau de télécommunications. Il existe une application Internet (connue sous le nom de téléphonie sur Internet) qui permet la transmission de la voix ou du son en temps réel. De l'avis de M. Klatt, il s'agit là de la seule application Internet que l'on peut considérer à juste titre comme téléphonique.

14. Au Canada, le réseau téléphonique appartient à l'Alliance Stentor, un consortium formé des grandes compagnies de téléphone du pays, d'un certain nombre de petites compagnies de téléphone indépendantes, de nombreuses entreprises spécialisées qui fournissent des services particuliers (p. ex., transmission par satellite ou sans fil) et des transporteurs de service intercirconscriptions qui offrent des services interurbains.

15. Même s'il reconnaissait que le réseau téléphonique initial a été adapté pour permettre de transmettre autre chose que du son, tel qu'indiqué au renvoi 13, M. Klatt estimait que le réseau, lorsqu'il est utilisé à d'autres fins que la téléphonie pure, ne peut plus être considéré à juste titre comme un réseau téléphonique.

16. Il peut exister de légères variantes dans le mode de raccordement à Internet; cependant, les cas où il existe des différences importantes sont signalés. Nous ferons remarquer qu'il est arrivé à un certain nombre de reprises durant l'audience qu'un témoin se serve d'un ordinateur portatif pour entrer en communication avec Internet et que la description de ce processus est dans une large mesure conforme à celle qui est présentée ci-après.

17. Bien que certains internautes disposent d'une connexion téléphonique numérique, celle-ci ne fait pas appel à la même méthode d'organisation de l'information numérique. Par conséquent, il faut quand même disposer d'un modem numérique pour faire les conversions nécessaires.

18. M. Angus a témoigné les 12, 15, 16 et 17 décembre 1997.

19. Il existe deux méthodes de codage de l'information diffusée sur le World Wide Web : le protocole de transfert hypertexte (HTTP), qui gère la transmission des fichiers, et le langage hypertexte (HTML), qui indique au fureteur comment afficher l'information.

20. L'utilisateur peut soit inscrire l'adresse URL (s'il la connaît) soit recourir à un moteur de recherche pour trouver les adresses URL des sites qui l'intéressent.

21. L'accès à certains sites Web est restreint. Pour accéder à ces sites, il faut avoir un mot de passe; toutefois, rien n'indique que cela était nécessaire dans le cas qui nous occupe.

22. Voire Ruth Sullivan, Dreidger on the Construction of Statutes, 3e éd. (Toronto: Butterworths, 1994), pp. 383 à 388.

23. Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] R.C.S. 554, p. 612.

24. Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor, [1990] 3 R.C.S. 892.

25. Taylor, le juge Dickson, p. 918.

26. Ibid., p. 918.

27. Ibid., pp. 918 et 919.

28. Ibid., p. 919.

29. Ibid., p. 919.

30. Nous utilisons cette expression pour désigner les messages qui, au sens la Loi, sont susceptibles d'exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable sur la base des critères énoncés à l'article 3.

31. Voir les pp. 46 et 47 ci-dessous pour la définition applicable des documents visés par le par. 13(1).

32. Voir Taylor, p. 928.

33. Taylor, p. 918.

34. M. Klatt s'est dit d'accord avec cette description d'Internet; toutefois, il a nuancé sa déclaration en réitérant son opinion que dans le contexte des applications Internet, ces composantes ne servent à une activité téléphonique que dans le cas de la téléphonie sur Internet et de la transmission de la voix. Nous traiterons plus loin du poids à donner à cette preuve.

35. Taylor, précitée, le juge en chef Dickson, p. 937.

36. IBM Canada Ltée c. ministère du Revenu national (Douane et Accise), [1992] 1 C.F. 663; General Datacomm Ltd. c. ministère du Revenu national (Douane et Accise), (1984) 7 C.E.R. 1.

37. IBM Canada Ltée, Ibid., p. 683.

38. Zundel c. Canada (Procureur général) (1999), 175 D.L.R. (4e) 512, p. 531.

39. Voir la décision rendue par ce Tribunal des droits de la personne dans l'affaire Liberty Net.

40. Carl Hamilton, pupitreur embauché à contrat par la Commission, a affirmé dans son témoignage qu'il avait téléchargé ces documents les 6, 7 et 8 août 1996. Il a imprimé une copie papier de chaque document mentionné dans la table des matières du Zundelsite. Il a identifié les documents que renferme la pièce HR-2 comme figurant parmi les documents téléchargés à partir du site www.webcom.com/ezundel/INCORR.005/incorrect.html.

41. Voir Did Six Million Really Die?; 66 Questions and Answers; Jewish Soap, Inside the Auschwitz Gas Chambers; Different Views on the Holocaust; The Liberation of the Camps; Facts and Lies; Auschwitz: Myths and Facts -- pièce HR-2.

42. Voir la série de Power Letters et Zgrams (pièce HR-2).

43. ZGram en date du 9 décembre 1996, p. 2 de 4.

44. Power Letter, juillet 1995, partie A, p. 4 de 7.

45. Power Letter, septembre 1996, p. 1.

46. ZGram, 26 avril 1997, p. 2.

47. Power Letter, janvier 1997, partie B, pp. 5 et 6.

48. Power Letter, juillet 1996, partie B, p. 5.

49. La Commission a également cité Mme Barbara Hall, l'ancien maire de Toronto, qui occupait la charge de maire au moment où le Comité du maire de Toronto sur les relations entre races et communautés a déposé cette plainte. Lors de son témoignage, Mme Hall a parlé du mandat du comité et des circonstances entourant le dépôt de la plainte. Elle a également indiqué qu'elle avait personnellement pris connaissance de certains des documents électroniques que renferme le Zundelsite. Outre Mme Hall et les trois experts prénommés, la Commission a cité M. Carl Hamilton, qui avait obtenu de la Commission un contrat pour télécharger à partir du Zundelsite les documents que renferme la pièce HR-2. Ces documents ont été téléchargés les 6, 7 et 8 août 1996 à partir du site www.webcom.com/ezundel/INCORR.005/incorrect.html. Se reportant à la table des matières, M. Hamilton a téléchargé tous les documents inclus dans ce site, puis il les a imprimés. Certains de ces documents sont inclus dans la pièce HR-2.

50. Les exemples de messages de M. Zündel fournis aux p. 42 à 45 illustrent un grand nombre de ces techniques.

51. Taylor, précitée, le juge Dickson, pp. 927 et 928.

52. 52 Nealy c. Johnson (1989), 10 C.H.R.R. D/6450, p. D/6469.

53. Taylor, le juge Dickson, p. 928.

54. Bien que l'intimé n'ait pas participé au plaidoyer final, son avocat a invoqué le but visé par cette preuve au moment où elle a été produite.

55. En outre, Mme Dorothy Calder et M. Basil Samme ont exprimé devant le Tribunal leur opinion personnelle voulant que M. Zündel n'ait pas été pris au sérieux dans la communauté en général et qu'il devrait pouvoir exprimer ses opinions sur l'holocauste sans être persécuté. Initialement, lorsqu'il a demandé de citer ces témoins, Me Christie a indiqué qu'il pourrait s'appuyer sur cette preuve pour faire valoir que les messages de M. Zündel n'étaient pas susceptibles d'exposer qui que ce soit à la haine ou au mépris, étant donné qu'il n'était pas pris au sérieux dans la communauté en général. On s'est contenté de citer ces témoins sans plus. Sur la foi de l'opinion personnelle exprimée par ces témoins des faits, nous ne pouvons tirer la conclusion de fait nécessaire pour considérer l'argument concluant. En conséquence, nous ne voyons pas de raison de nous pencher davantage sur cet argument.

56. Constitutional Law in Canada, Hogg, 4e éd., par. 40.4.

57. [1994] 3 R.C.S. 835.

58. Dagenais c. Société Radio-Canada, le juge Lamer, p. 877.

59. Taylor, le juge Dickson, p. 914.

60. 1986 1 R.C.S. 103.

61. Oakes, le juge Dickson, par. 68.

62. Taylor, le juge Dickson, p. 916.

63. Taylor, le juge Dickson, p. 918.

64. Taylor, le juge Dickson, p. 918.

65. Taylor, le juge Dickson, p. 919.

66. Taylor, le juge Dickson, p. 919.

67. Taylor, le juge Dickson, p. 922.

68. Taylor, le juge Dickson, p. 922.

69. Taylor, le juge Dickson, p. 923.

70. Taylor, le juge Dickson, p. 924.

71. Taylor, le juge Dickson, p. 927.

72. Taylor, le juge Dickson, p. 928.

73. Taylor, le juge Dickson, p. 935.

74. Taylor, le juge Dickson, p. 935.

75. Voir Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpson-Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536, pp. 549 et 550; Bhinder c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada., [1985] 2 R.C.S. 561, p. 586.

76. Taylor, le juge Dickson, pp. 935 et 936.

77. Taylor, le juge Dickson, p. 939.

78. Taylor, le juge Dickson, p. 934.

79. Taylor, le juge Dickson, p. 940.

80. Dagenais, précitée, le juge Lamer, p. 855.

81. Dagenais, précitée, le juge Lamer, p. 876.

82. Dagenais, précitée, le juge Lamer, p. 876.

83. Dagenais, précitée, le juge Lamer, p. 877.

84. Dagenais, le juge Lamer, p. 886.

85. Nous n'interprétons pas la déclaration du juge en chef comme modifiant en profondeur la méthode d'analyse suivie dans Oakes et appliquée dans Taylor. Aucune des conclusions énoncées dans Taylor n'est citée ni commentée.

86. Taylor, le juge Dickson, p. 912.

87. Taylor, le juge Dickson, pp. 914, 936, 937 et 938.

88. Taylor, la juge McLachlin, p. 969.

89. 51 U.S. 844, 138 L.Ed. 2d 874.

90. Ibid., le juge Stevens , p. 5.

91. Ibid., le juge Stevens, p. 6. En l'espèce, le litige portait sur les dispositions de la Communications Decency Act de 1996 visant à protéger les mineurs contre le matériel dommageable diffusé par Internet. On a statué que ces dispositions portaient atteinte à la liberté de parole garantie par le premier amendement.

92. Il s'agit de se demander si, comme c'est le cas dans un procès, une audience ou procédure d'arbitrage, les points relatifs à la Charte n'auraient pas dû être prouvés en premier lieu au regard des éléments de preuve appropriés. Selon le professeur Hogg, le juge en chef Dickson a affirmé qu'il faut en général présenter une preuve pour satisfaire au fardeau de prouver qu'il existe une justification en vertu de l'article premier; toutefois, le juge Dickson a nuancé son propos, ajoutant qu'il peut arriver que certains éléments constitutifs d'une analyse en vertu de l'article premier soient manifestes ou évidents en soi. Le professeur Hogg a également fait remarquer qu'il arrive souvent dans le cadre d'un pourvoi ou d'un renvoi devant un organisme d'appel qu'on présente une preuve en vertu de la Charte dans des cas où la question constitutionnelle n'a pas été soulevée en première instance ou dans des cas où il n'y a simplement pas eu de première instance.

93. R. c. Edwards Books and Art Ltd., (1986), 2 R.C.S. 713, le juge LaForest, pp. 802 et 803.

94. Loi d'interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-21, art. 43.

95. Taylor, le juge Dickson, p. 917.

96. (1988) 1 R.C.S. 30.

97. Ibid., le juge Wilson, par. 249 et 251.

98. R. c. Big M. Drug Mart Limited, [1985] 1 R.C.S. 295.

99. Le juge Dickson, p. 336.

100. Le juge Dickson, p. 337.

101. Ross c. Conseil scolaire du district no 15, (1996) 1 R.C.S. 825.

102. Ibid., le juge LaForest, p. 867, par. 67.

103. Ibid., le juge LaForest, p. 867, par. 70.

104. Ibid., le juge LaForest, p. 868, par. 71.

105. Ibid., le juge LaForest, p. 878, par. 94.

106. Université Trinity Western c. British Columbia College of Teachers, [2001] A.C.S. no 32 (2001 C.S.C. 31).

107. Ibid., les juges Iacobucci et Bastarache, par. 13.

108. Ibid., les juges Iacobucci et Bastarache, par. 29.

109. Précitée.

110. Dans ses motifs, la Cour ne semble pas analyser en quoi les écrits et déclarations antisémites de Ross constituaient des questions de conscience et de croyance religieuse, mais on doit accepter sa conclusion à cet égard.

111. Constitutional Law of Canada -- Hogg, 4e édition, par. 44.2.

112. R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606.

113. Ibid., le juge Gonthier, pp. 639 et 640.

114. Ibid., professeur Hogg, par. 44.7.

115. Ibid., professeur Hogg, par. 44.7 et Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C.-B.) [1985] 2 R.C.S. 486.

116. Taylor, précitée, pp. 927 et 928.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.