Tribunal canadien des droits de la personne

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TRIBUANL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE CANADIAN HUMAN RIGTHS TRIBUNAL

MARY MELLON

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES DUMAINES CANADA

l'intimé

DÉCISION

2006 TCDP 3
2006/01/25

MEMBRE INSTRUCTEUR : Michel Doucet

[TRADUCTION]

I. INTRODUCTION

II. L'HISTORIQUE DE L'EMPLOI DE LA PLAIGNANTE CHEZ L'INTIMÉ

III. LES ÉVÈNEMENTS QUI SE SONT DÉROULÉS ENTRE AVRIL ET AOÛT 2001

IV. LE TÉMOIGNAGE DE LA DRECHARANJEAT MANDER

V. LA LOI

VI. LES QUESTIONS EN LITIGE

VII. ANALYSE JURIDIQUE

VIII. CONCLUSION

I. INTRODUCTION

[1] Le 27 mai 2002, Mary Mellon (la plaignante) a déposé une plainte en vertu de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi) contre Développement des ressources humaines Canada (l'intimé). Dans sa plainte, elle a prétendu que l'intimé a commis, en cours d'emploi, un acte discriminatoire fondé sur une déficience.

[2] La plaignante prétend qu'elle souffre d'une déficience, plus précisément, de crises d'anxiété et de panique. Elle affirme de plus qu'une série d'évènements liés à ces crises se sont produits dans son milieu de travail entre le 17 avril et le 30 août 2001 et que ceux-ci ont créé des conditions qui ont amené l'intimé à ne pas renouveler son contrat d'emploi.

[3] Durant l'audience, les parties ont demandé que la question de la responsabilité ainsi que celle des dommages-intérêts et des réparations, le cas échéant, soient traitées séparément. J'ai accueilli la demande de disjonction de l'audience. Par conséquent, la présente décision ne portera que sur la question de la responsabilité. Comme j'ai conclu que la plainte est fondée, la tenue d'une autre audience sera ordonnée afin de traiter des questions de dommages-intérêts et de réparation.

II. L'HISTORIQUE DE L'EMPLOI DE LA PLAIGNANTE CHEZ L'INTIMÉ

[4] La plaignante a commencé à travailler pour l'intimé le 25 novembre 1991 à titre d'employée embauchée pour une période déterminée. Elle a occupé le poste de CR-03, Réception et renseignements au bureau d'Hamilton de l'intimé. Cet emploi devait prendre fin le 31 décembre 1991, mais trois prorogations ont été accordées. L'emploi a finalement pris fin le 1er mai 1992.

[5] Le 31 décembre 1992, elle s'est vu accorder une autre nomination pour une période déterminée, et ce, pour le même poste et le même niveau de classification. Cet emploi a pris fin le 31 mars 1993. Une nouvelle nomination pour une période déterminée, pour le même poste et le même niveau de classification, a été faite le 2 décembre 1993, et deux prorogations supplémentaires ont été accordées, une le 30 décembre 1993, et l'autre le 1er décembre 1994. Cette période d'emploi a pris fin le 23 mars 1994.

[6] La plaignante a déclaré qu'elle aimait faire le travail exigé par ce poste. Elle a ajouté que le milieu de travail était agréable. Dans une lettre de recommandation, datée du 7 décembre 1993, le superviseur des Services d'emploi de l'intimé a mentionné que la plaignante était une employée qui [Traduction] [accomplissait] son travail avec diligence et efficacité et était une personne agréable avec laquelle il [était] facile de travailler.

[7] Le 28 juillet 1994, la plaignante s'est vu offrir une autre nomination pour une période déterminée, cette fois au bureau de l'intimé à Burlington. Il s'agissait une fois de plus d'un poste de CR-03. Deux autres prorogations de la durée de l'emploi quant à ce poste ont été offertes à la plaignante, une le 6 octobre 1994 et l'autre le 29 décembre 1994. La dernière période d'emploi a pris fin le 22 mars 1995.

[8] Le 24 février 1995, le superviseur de la plaignante au bureau de Burlington, M. Rick Levert, a écrit que la plaignante [Traduction] s'[était] révélée être une travailleuse des plus fiables. Il a de plus ajouté ce qui suit : [Traduction] Elle s'est bien adaptée à la routine de notre bureau et elle est devenue un membre précieux de notre personnel durant la brève période de temps pendant laquelle elle a travaillé ici. Ses manières agréables et sa gentillesse lui ont permis de gagner rapidement le respect des autres membres du personnel et sa complaisance envers les autres a exercé une influence positive sur notre bureau.

[9] À l'été 1997, Mme Marg Garey, la directrice du bureau de l'intimé à Oakville, a communiqué avec la plaignante. Celles-ci s'étaient déjà rencontrées en 1991 alors que la plaignante travaillait au bureau d'Hamilton. Mme Garey a offert à la plaignante un emploi d'une durée déterminée au bureau de Oakville. La plaignante a accepté et, du 7 juillet 1997 au 25 septembre 1997, elle a occupé un poste de CR-04 comme préposée au service à la clientèle. La différence entre un poste de niveau CR-03 et un poste de niveau CR-04 est qu'un poste de niveau CR-04 comporte plus de responsabilités quant à la prise de décision et comporte l'exécution d'un plus grand nombre de tâches.

[10] Selon la plaignante, ce poste était très exigeant. Elle a ajouté que bien qu'elle aimait son travail, celui-ci est devenu, à un certain moment, trop dur pour elle et il a commencé à nuire à sa santé. Le 29 octobre 1997, elle est allée consulter la Dre Charanjeat Mander, laquelle remplaçait sa médecin de famille habituelle. Éventuellement, la Dre Mander est devenu la médecin de famille de la plaignante. La Dre Mander a décidé de prescrire un congé de trois semaines à la plaignante. Elle lui a également prescrit du Paxil, un antidépresseur. La plaignante a pris un congé de maladie entre le 17 octobre et le 14 novembre 1997. La note suivante figurait dans son dossier [Traduction] : stress émotionnel occasionné par le travail/incapable de travailler jusqu'à nouvel ordre.

[11] La plaignante a déclaré qu'elle avait informé sa directrice quant à son état de santé. Elle a fait mention d'une conversation téléphonique qu'elles ont eue vers la période susmentionnée. Selon ce que la plaignante avait compris de cette conversation, Marg Garey comprenait sa situation. Elle a ajouté qu'elle avait informé sa directrice qu'elle prenait des antidépresseurs et que ceux-ci avaient des effets très néfastes sur elle. Elle a affirmé qu'elle avait mentionné que, dans ces circonstances, elle ne pouvait pas retourner à son travail. Marg Garey a déclaré qu'elle ne se souvenait pas de cette conversation.

[12] La plaignante est retournée au travail le 17 novembre 1997. Le 2 février 1998, Mme Garey a offert à la plaignante une mutation à un poste de niveau plus bas, c'est-à-dire un poste de niveau CR-03 (commis de soutien aux programmes). La plaignante a affirmé qu'elle a accepté cette mutation à un poste de niveau plus bas parce cela lui permettrait d'évoluer dans un environnement plus stable.

[13] La plaignante a de nouveau été embauchée, le 11 mai 2000, pour une période déterminée, au bureau d'Oakville, au niveau CR-03, à titre de commis à la prestation des services. Ce poste CR-03 est désigné comme étant son poste d'attache. Cette nomination a été renouvelée, sans interruption d'emploi, le 7 juillet 2000, le 22 septembre 2000 et le 30 mars 2001. En date du 9 juillet 2001, elle travaillait toujours dans le cadre de cette nomination, mais elle occupait un poste de niveau CR-4, à titre d'adjointe à la prestation des services.

[14] Le milieu de travail a été décrit comme étant autogéré, c'est-à-dire que les employés devaient eux-mêmes résoudre les problèmes qui pouvaient se présenter dans leur équipe. Ainsi, lorsqu'une personne travaillant au service était absente, les autres employés de l'unité devaient travailler de concert à combler cette absence.

[15] Selon l'organigramme daté du 9 juillet 2001, le bureau d'Oakville disposait de 7 adjoints à la prestation des services au niveau CR-04 et de l'équivalent de 13,5 agents de programme. Durant l'été, on comptait quatre agents de programme supplémentaires en raison du programme de placement carrière-été. Ces quatre agents supplémentaires étaient des employés temporaires et quittaient avant l'automne.

III. LES ÉVÈNEMENTS QUI SE SONT DÉROULÉS ENTRE AVRIL ET AOÛT 2001

[16] Mme Debby McIntyre a été nommée directrice de la prestation des services au bureau d'Oakville le 17 avril 2001, et ce, en remplacement de Marg Garey. Mme McIntyre a demandé à Rick Levert, le coordonnateur de la prestation des services, de superviser, en plus des services au comptoir, l'unité des travailleurs étrangers ainsi que l'unité de l'information sur le marché du travail.

[17] M. Levert a décrit cette période comme étant une période de transition. Il a ajouté que l'une des modifications envisagées était de faire en sorte que la plaignante devienne progressivement la personne de soutien à la prestation des services de l'unité des travailleurs étrangers. Il s'agissait là d'un changement pour l'unité ainsi que pour la plaignante étant donné que l'unité n'avait jusque là jamais bénéficié des services exclusifs d'une personne de soutien. Avant cette période, la plaignante et Diann Luksa s'occupaient des fonctions de soutien à l'unité. Debby McIntyre, Dal Swackhammer, le superviseur de l'unité du Programme, et M. Levert sont les personnes qui ont pris la décision d'apporter ces changements. M. Levert ne s'est pas souvenu avoir eu un quelconque entretien avec la plaignante à propos de ces changements.

[18] Debby McIntyre a conservé des notes quant aux diverses rencontres qu'elle a eues avec la plaignante et d'autres employés. Elle a déclaré qu'elle avait pour habitude de prendre des notes en rapport avec les rencontres qu'elle avait avec les employés. Elle rédigeait ses notes immédiatement après la tenue de ces rencontres. Celles-ci ont beaucoup aidé à la reconstitution des évènements de la période pertinente car les souvenirs qu'en avaient les divers témoins se sont estompés avec le temps.

[19] Mme McIntyre a admis que, avant le 17 avril 2001, elle n'était pas au courant que la plaignante avait des problèmes à faire son travail. Elle a également admis que le sujet du rendement de la plaignante au travail n'a jamais été soulevé dans les discussions qu'elle a eues avec Marg Garey lorsqu'elle est entrée en fonction au bureau d'Oakville.

[20] La plaignante a rencontré pour la première fois son nouveau superviseur le 21 juin 2001. Selon les notes de Debby McIntyre, c'est la plaignante qui a demandé la tenue de cette rencontre. Ses notes faisaient de plus mention que la plaignante lui avait affirmé, au cours de cette rencontre, qu'elle était de nouveau en proie à des problèmes dans la région du cou, ce qui lui occasionnait du stress et de l'anxiété. La plaignante a admis qu'elle s'était fait enlever une tumeur dans la région du cou en mars 2000.

[21] Debby McIntyre a également noté que la plaignante lui a dit qu'elle avait consulté sa médecin mais qu'elle ne lui avait pas fait part de l'ensemble de son état car elle craignait que celle-ci lui conseille d'arrêter de travailler. Mme McIntyre a ajouté que la plaignante a mentionné qu'elle n'avait pas remis tous ses billets médicaux à Marg Garey, son ancienne directrice, car, lorsqu'elle avait eu des problèmes de santé par le passé, elle avait ignoré le conseil que lui avait donné sa médecin de prendre un congé de maladie. La plaignante a nié avoir fait cette déclaration et a affirmé qu'elle n'a jamais omis de tenir compte d'un billet médical rédigé par sa médecin. Elle a ajouté qu'il était vrai qu'elle hésitait à prendre des médicaments parce qu'elle avait déjà eu une réaction négative par le passé alors qu'elle avait pris des médicaments.

[22] Le 25 juin 2001, Mme McIntyre a rencontré Monica Kington et Esther Davis, deux agentes à l'unité des travailleurs étrangers. Dans ses notes, elle déclare que celles-ci sont venues la voir dans son bureau pour lui dire qu'elles avaient des inquiétudes au sujet de la plaignante. Elle a noté que celles-ci ont souligné que bien que la plaignante se trouvait à son poste de travail, elle laissait son travail s'accumuler et ne le faisait pas.

[23] Le 27 juin 2001, la plaignante a été invitée à assister à une rencontre avec Monica Kington, Esther Davis et Pat Richard, toutes des agentes à l'unité des travailleurs étrangers. L'objet de cette rencontre était de discuter comment on pourrait venir à bout de la charge de travail supplémentaire qui était apparue à l'unité suite à l'absence de Diann Luksa, laquelle était en congé de maladie. Mme Luksa s'est absentée du travail du 18 juin au 13 juillet 2001. Lors de la rencontre, on a demandé à la plaignante si elle pourrait s'occuper du travail supplémentaire. Celle-ci a déclaré qu'elle avait tenté de discuter de sa santé mais que Monica Kington avait répliqué qu'[Traduction] elles n'avaient pas à discuter de cela. Monica Kington a témoigné qu'elle ne se souvenait pas de cet échange. Elle a ajouté qu'elle se souvenait que la plaignante était devenue perturbée lors de cette rencontre et qu'elle avait mentionné qu'elle désirait parler à son superviseur. Pat Richard a déclaré que la plaignante a mentionné qu'elle ne ferait pas le travail. La plaignante a affirmé que, à la fin de la rencontre, elle a accepté de s'occuper du travail supplémentaire.

[24] La plaignante a déclaré que, à la suite de cette rencontre, elle a eu l'impression que ses compagnes de travail croyaient qu'elle ne voulait pas faire son travail. Elle a eu l'impression que, pour cette raison, les relations qu'elle entretenait avec celles-ci étaient en train de se détériorer.

[25] Immédiatement après la rencontre, les agentes sont allées voir Mme McIntyre pour lui faire part de leurs impressions. Mme McIntyre a souligné que celles-ci avaient eu l'impression que la plaignante ne voulait pas participer à la rencontre et elles ont mentionné que la plaignante était devenue agitée et perturbée. Mme McIntyre a également été informée que la plaignante avait soulevé la question de sa santé lors de la rencontre. Lors de son contre-interrogatoire, Mme Kington a affirmé qu'elle n'avait pas fait part de ce renseignement à Mme McIntyre. Pat Richard ne s'est souvenue d'aucune discussion concernant la santé de la plaignante lors de la rencontre. Comme Esther Davis n'a pas témoigné, je dois soit accepter que c'est elle qui a dit à Mme McIntyre que l'on avait discuté de cette question lors de la rencontre, soit accepter que Mme Kington et Mme Richard ne se sont pas bien souvenues de ce qui s'était dit lors de la rencontre. Mme McIntyre n'a certainement pas inventé cela et je conclus que la question de la santé de la plaignante a été soulevée lors de la rencontre et a été par la suite discutée avec Mme McIntyre.

[26] Mme McIntyre a ajouté que le fait que la plaignante soit devenue perturbée n'a pas aidé à trouver une solution quant à savoir comment le travail serait fait. Elle a de plus souligné que les agentes avaient mentionné que la plaignante semblait aimer s'occuper du travail moins prioritaire, comme l'envoi à la poste de trousses de renseignements et la dactylographie de lettres, plutôt que la saisie de données. Elle a mentionné que, à ce moment-là, elle tentait surtout de savoir ce dont on avait besoin sur le plan opérationnel pour que le travail soit fait et qu'elle n'était pas intervenue directement.

[27] Pat Richard a également rencontré Rick Levert pour l'informer quant à ce qui avait été discuté au cours de la rencontre. En contre-interrogatoire, M. Levert a affirmé qu'il ne savait pas que c'est au cours de cette rencontre que la plaignante a d'abord été informée qu'elle devait s'occuper de toutes les tâches de l'unité des travailleurs étrangers. Il a ajouté que bien qu'il ne se souvienne pas du moment, la plaignante a dû être informée de ces changements avant la rencontre, probablement de façon officieuse cependant. Toutefois, il a convenu qu'il était possible que cette question ait été soulevée pour la première fois lors de cette rencontre.

[28] La plaignante a déclaré que la charge de travail supplémentaire a commencé à avoir un effet sur sa santé. Elle a affirmé que, à la fin de juin 2001, elle a souffert de crises d'anxiété et qu'elle était très tendue. Elle a ajouté qu'elle ne possédait pas les compétences pour faire le travail de Mme Luksa, bien qu'elle ait tenté de le faire. Elle a eu l'impression qu'elle laissait tomber les agentes de son unité parce qu'elle était incapable de faire tout son travail. Jusqu'à ce moment-là, elle s'était occupée des demandes relatives aux aides familiaux, un travail qui, selon elle, était plus facile à apprendre. On s'attendait maintenant à ce qu'elle s'occupe de la saisie de données quant aux demandes industrielles. Elle affirme n'avoir reçu aucune formation quant à ce travail, sauf peut-être une formation de vingt minutes avec Diann Luksa.

[29] La plaignante a affirmé que ses crises d'anxiété [Traduction] l'empêchait de respirer et de penser clairement. Elle a ajouté que celles-ci duraient de cinq à dix minutes et que, lorsqu'elles étaient terminées, elle se sentait bien. La plaignante a affirmé que, le ou vers le 28 juin 2001, elle a fait part de son état à son superviseur, Rick Levert. M. Levert a témoigné que la plaignante était très agitée lors de cette rencontre. Elle a répété sans cesse qu'on avait pris les emplois de deux personnes et qu'on les avait comprimés en un seul emploi. Il a affirmé qu'il a tenté de lui expliquer qu'une seule personne pouvait très bien s'occuper de ces tâches. La question de la formation a également été discutée. Il a mentionné qu'elle a dit qu'elle ne pouvait pas permettre que son travail nuise à sa santé. Il a également ajouté qu'elle a mentionné qu'elle irait voir sa médecin et que, après qu'elle l'aurait vue, elle lui reparlerait.

[30] Le 28 juin 2001, les agentes ont rencontré de nouveau Mme McIntyre. Les notes de Mme McIntyre font état que, à ce moment-là, on était vraiment inquiet à l'unité. Les agentes lui ont dit que la plaignante était partie à la maison parce qu'elle était malade, et ce, sans les prévenir, ce qui, selon Mme McIntyre, était la pratique normale. Elle a affirmé ce qui suit : [Traduction] À ce moment-là, j'étais en train d'examiner toute cette question des éléments contrôlables et sachant que Mary était peut-être aux prises avec un problème de santé qu'elle avait déjà eu dans le passé, c'est-à-dire un problème avec son cou [...] et je ne savais pas ce dont il s'agissait. Vous savez, je pensais à des tumeurs et autres choses semblables. Elle a de plus ajouté ce qui suit : [Traduction] En parlant aux autres superviseurs et à l'autre commis, j'ai examiné en quoi consistait le travail de Mary à l'unité des travailleurs étrangers et j'ai examiné en quoi consistaient les emplois [...]. Je tentais d'analyser qu'elle était le meilleur travail de commis au bureau en ce qui concerne les éléments contrôlables, la flexibilité, le niveau de stress. Il est clair que, déjà, Mme McIntyre savait qu'il y avait un problème de santé, bien qu'elle n'en connût pas l'importance, et que ce problème de santé avait une incidence sur la plaignante.

[31] Le 29 juin, la plaignante a envoyé un message enregistré à Mme McIntyre l'informant qu'elle ne rentrerait pas au travail parce qu'elle ne se sentait pas bien. Elle a également mentionné dans ce message qu'elle devait régler un certain nombre de problèmes avant de retourner au travail. Le même jour, elle a consulté le Dr Huschilt, qui, à ce moment-là, remplaçait la Dre Mander. Elle s'est alors plainte de douleurs au cou et de stress au travail. Le Dr Huschilt a décidé de l'envoyer passer des radiographies du cou. Il lui a également prescrit du Flexeril, un relaxant musculaire, et du Tylenol, un analgésique.

[32] Rick Levert a également reçu, le 29 juin 2001, un message enregistré de la part de la plaignante. Celle-ci l'a informé que sa médecin l'avait retirée du travail et qu'elle le tiendrait au courant. Il a également reçu, de la part de la Dre Mander, un billet médical daté du 29 juin 2001 mentionnant que la plaignante recevait des soins médicaux et qu'elle était incapable de travailler.

[33] La plaignante s'est absentée du travail du 30 juin 2001 au 23 juillet 2001. Un billet médical daté du 19 juillet 2001 faisait état de stress occasionné par le travail. La plaignante a ajouté qu'elle avait remis ce billet médical à son employeur.

[34] Rick Levert a communiqué avec la plaignante le 3 juillet afin de s'informer quant à la durée de son absence. Le 9 juillet, la plaignante a envoyé un message enregistré à Rick Levert dans lequel elle mentionnait qu'elle n'avait pas reçu le résultat des tests de la part de son médecin. Elle a également ajouté qu'il serait peut-être possible qu'elle retourne bientôt au travail mais que toutefois, avant qu'elle n'y retourne, si elle y retournait, elle devait clarifier un certain nombre de choses. En contre-interrogatoire, la plaignante a expliqué que ce à quoi elle faisait allusion dans ce message enregistré était au problème qu'elle avait avec la charge de travail et du stress que cela lui occasionnait.

[35] Lors de son retour au travail le 23 juillet 2001, la plaignante a affirmé que, selon elle, rien n'avait changé. Selon elle, la direction estimait que son travail pouvait être effectué par une seule personne. Elle a déclaré que durant cette période elle tentait désespérément de s'accrocher à son emploi. Elle a ajouté qu'elle se sentait vraiment mal car la relation qu'elle entretenait avec ses collègues de travail à l'unité avait cessé d'exister.

[36] La plaignante a affirmé qu'elle a rencontré Rick Levert le 25 juillet 2001. Elle a ajouté que ce qu'elle avait retenu de cette rencontre était qu'elle n'obtiendrait aucune aide pour s'acquitter de sa charge de travail. Le message qu'on lui transmettait était que son travail pouvait être fait par une seule personne.

[37] Rick Levert a pris des notes lors de cette rencontre. C'était la première fois qu'il prenait des notes lors d'une rencontre avec la plaignante. Il a affirmé qu'il estimait que la situation devenait de plus en plus compliquée et que, après avoir discuté de la question avec Debby McIntyre, ils ont décidé qu'il serait bon de prendre des notes lors des rencontres. Lors de la rencontre du 25 juillet 2001, il a remarqué que la plaignante n'était pas aussi agitée que lors de la rencontre antérieure. Il a ajouté qu'elle semblait plus déterminée. Elle l'a informé que sa santé n'était pas bonne et que cela était un état chronique. Selon elle, sa maladie avait été occasionnée par le travail. M. Levert se souvient de lui avoir dit que la charge de travail liée à son emploi était raisonnable. Il se souvient également d'avoir discuté avec elle de la question de son retour à son poste de CR-03. Il l'a informée que, dans la nouvelle structure du bureau, ce poste n'était plus nécessaire. La plaignante a affirmé de façon très catégorique qu'elle n'était pas capable de s'acquitter de ses fonctions et qu'elle devait prendre des décisions. M. Levert ne lui a pas demandé de fournir des détails quant à son état de santé.

[38] La plaignante a écrit une note à Rick Levert et à Debby McIntyre le 26 juillet 2001. Dans cette note, elle demandait des éclaircissements concernant ses fonctions et ses responsabilités. Elle y mentionnait également qu'elle désirait régler cette question [Traduction] car le problème de santé occasionné par le stress et par la charge de travail [était] en train de réapparaître et que la charge de travail supplémentaire [avait] contribué à l'apparition de ce problème.

[39] Le même jour, Rick Levert a rencontré Monica Kington, Esther Davis et Pat Richard pour discuter du fonctionnement opérationnel de l'unité. M. Levert a pris un certain nombre de notes lors de cette rencontre. La plus grande partie de ces notes renvoie au rendement de la plaignante à l'unité ainsi qu'à des commentaires faits par ses collègues de travail.

[40] Debby McIntyre est partie en vacances du 23 juillet au 7 août 2001. À son retour, la plaignante commençait ses deux semaines de vacances, donc, comme l'a déclaré Mme McIntyre elles ont été [Traduction] comme deux navires qui se croisent en pleine nuit.

[41] Le 8 août 2001, Mme McIntyre a rédigé une autre note qui traitait d'une visite de la part d'Esther Davis à son bureau. Mme Davis lui a raconté que depuis le retour de la plaignante au travail après son congé de maladie, elle avait remarqué que celle-ci avait [Traduction] repris ses tâches dans une certaine mesure et qu'elle [Traduction] travaillait à environ 50 p. 100 de son niveau de productivité normal. Mme Davis, dans la note, a également fait état d'une rencontre entre la plaignante et Rick Levert le 25 juillet au cours de laquelle elle avait vu la plaignante se mettre à pleurer. Rick Levert a déclaré que cela ne s'est pas produit lors de la rencontre du 25 juillet mais plutôt lors de la rencontre précédente, le 28 juin 2001.

[42] Le 9 août 2001, Mme McIntyre a écrit une note de service à la plaignante en réponse à sa note du 26 juillet. Elle a informé la plaignante que Rick Levert avait examiné les fonctions de son emploi, en collaboration avec d'autres membres du personnel, et avait conclu que la charge de travail pouvait être accomplie par une seule personne. Elle a de plus ajouté ce qui suit : [Traduction] Je partage vos inquiétudes en ce qui concerne votre santé et je désire en discuter.

[43] La plaignante est revenue de vacances le 20 août 2001 et, ce même jour, elle a rencontré sa directrice. Lors de cette rencontre, Debby McIntyre a remis à la plaignante une copie de la note de service qu'elle avait rédigée le 9 août 2001. La plaignante a déclaré que sa directrice semblait perturbée et déçue qu'elle demande encore de l'aide. La plaignante se souvient d'avoir discuté de son état de santé avec sa directrice lors de cette rencontre mais a déclaré qu'elle n'a reçu aucune suggestion de sa part quant à la manière d'aborder ce problème. Elle a affirmé qu'elle avait fait cette démarche supplémentaire pour expliquer à sa directrice qu'elle souffrait de crises d'anxiété et de stress. La plaignante a déclaré qu'elle était très perturbée lorsqu'elle a quitté cette rencontre et qu'elle était convaincue que son emploi au bureau d'Oakville était terminé.

[44] Selon les notes de Debby McIntyre, la plaignante a mentionné que bien qu'elle se sentait capable d'accomplir tout son travail, elle estimait que sa santé constituait toujours un problème. Elle a ajouté que la plaignante a mentionné qu'elle ferait de son mieux et verrait comment sa santé se porterait. La plaignante lui a dit que ses crises d'anxiété s'étaient aggravées et qu'elles étaient déclanchées par du stress lié à l'emploi. Selon Mme McIntyre, c'était la première fois que la plaignante lui faisait part de cela.

[45] Le 21 août 2001, Esther Davis et Monica Kington sont allées voir Debby McIntyre pour lui parler de la plaignante. Toujours selon les notes de Mme McIntyre, elles ont fait remarquer que bien que la plaignante semblait très occupée, son travail accusait du retard. Elles ont mentionné qu'elles avaient des doutes quant à la capacité de la plaignante à établir des priorités et à effectuer ses tâches.

[46] Le 23 août 2001, la plaignante est retournée voir sa directrice pour lui apporter les statistiques qu'elle avait compilées concernant les appels téléphoniques dont elle devait s'occuper à l'unité des travailleurs étrangers. Selon la plaignante, la directrice lui a dit qu'elle était trop occupée pour s'en occuper et lui a dit d'aller parler de cela à Rick Levert. Dans son témoignage, Debby McIntyre ne nie pas avoir dit cela. Dans sa note, elle mentionne que, lors de cette rencontre, la plaignante avait les larmes aux yeux. Elle a ajouté qu'elle lui a demandé comment elle allait et la plaignante a répondu qu'elle n'allait pas très bien et qu'elle devait prendre un certain nombre de décisions quant à son emploi et quant à sa santé. Mme McIntyre a ajouté qu'elle a encouragé la plaignante à consulter sa médecin et à prendre congé si c'était cela dont elle avait besoin.

[47] Le 30 août 2001 fut le dernier jour de travail de la plaignante. La plaignante se souvient que les dossiers continuaient de s'empiler et qu'elle devenait de plus en plus malade. Elle se souvient également que Pat Richard était irritée du fait qu'elle ne venait pas à bout des dossiers. Elle a déclaré que, ce jour-là, elle devait s'occuper d'un grand nombre de dossiers de recrutement étranger pour les demandes industrielles. Elle se souvient avoir envoyé un courriel à Debby McIntyre à 8 h 05 pour lui demander de l'aide quant à ces dossiers parce qu'ils devaient être traités avant une date limite.

[48] Dans les notes manuscrites qu'elle a consignées quant à cette journée, Mme McIntyre mentionne qu'elle s'est rendue au poste de travail de la plaignante après avoir reçu le courriel. La plaignante a mentionné qu'elle éprouvait toujours des problèmes avec un certain nombre de dossiers. Mme McIntyre a alors affirmé que Pat Richard était occupée et qu'elle demanderait à Diann Luksa de l'aider. Elle a écrit que, vers 10 h 45, Glen Harris, un collègue de travail de la plaignante lui a dit que la plaignante était en train de pleurer dans la salle à manger. Elle a ajouté qu'elle s'y est rendue pour aller chercher la plaignante et lui offrir d'aller dans son bureau pour reprendre ses émotions avant qu'on ne la reconduise chez elle en voiture. La plaignante lui a dit qu'elle était en proie à une crise d'anxiété. Après qu'elle fut calmée, elle a ajouté que le poste de CR-04 [Traduction] était trop pour elle. Elle a également mentionné que sa santé était affectée et qu'elle ne pouvait plus continuer à travailler.

[49] La plaignante a déclaré que, lors de cette crise, elle avait eu de la difficulté à respirer et qu'elle avait comme eu envie de s'évanouir. Elle a ajouté qu'elle tremblait, qu'elle était troublée sur le plan émotionnel et qu'elle était incapable de penser de façon claire. Elle a de plus ajouté que ce n'était pas la première fois, au cours de cet été-là, qu'elle était en proie à une crise de panique. Ces crises duraient environ 10 minutes puis, après, elle se sentait mal.

[50] Dans son témoignage, Mme McIntyre a déclaré qu'elle a demandé à la plaignante si elle avait consulté sa médecin récemment et la plaignante a mentionné qu'elle l'avait vue la journée précédente et que celle-ci voulait qu'elle prenne certains médicaments. Mme McIntyre a témoigné qu'elle a encouragé la plaignante à consulter sa médecin une fois de plus, le plus tôt possible, et de sérieusement examiner à nouveau la question des médicaments.

[51] Dans ses notes du 30 août 2001, Mme McIntyre a mentionné qu'elle a dit à la plaignante qu'elle estimait que, pour son propre bien-être ainsi que pour le bon fonctionnement de l'unité, elle ne pouvait pas lui offrir le poste de CR-04 après le 30 septembre 2001. Durant son interrogatoire, elle a ajouté qu'elle ne voulait pas que la plaignante s'en aille ce jour-là en croyant qu'elle devait réintégrer cet emploi. Mme McIntyre a également déclaré qu'elle a fait part à la plaignante qu'aucun poste de CR-03 n'était disponible aux bureaux d'Oakville et de Burlington. Elle a offert de demander au directeur des services administratifs de l'intimé à Mississauga-Est pour vérifier s'il n'y aurait pas, ailleurs, un poste de CR-03 qui serait disponible.

[52] Le 28 septembre 2001, la plaignante a reçu une lettre de la part de Debby McIntyre l'informant que le contrat pour une période déterminée dont elle bénéficiait quant à son poste CR-03 avait été prolongé d'un mois [Traduction] comme mesure de dotation intérimaire, afin de [lui] permettre de voir s'il y n'aurait pas des postes de CR-03 vacants à Peel-Halton-Dufferin sur lesquels [elle] pourrait postuler.

[53] Le 10 octobre 2001, Debby McIntyre a eu avec la plaignante un entretien téléphonique au cours duquel elle lui a mentionné qu'un poste de CR-03 était peut-être libre au bureau de Mississauga-Ouest de l'intimé. La plaignante a affirmé qu'elle serait heureuse de rencontrer Vicky Shea, la directrice de ce bureau, pour discuter de cette possibilité. Mme Shea n'a cependant jamais communiqué avec elle.

[54] Le 22 octobre 2001, la plaignante a écrit une lettre à Mme McIntyre dans laquelle elle mentionnait que son employeur était tenu de l'accommoder. Elle demandait dans cette lettre à ce qu'elle puisse demeurer en congé sans solde jusqu'à ce qu'elle se porte suffisamment bien pour retourner au travail.

[55] Le 29 octobre 2001, elle a reçu une réponse à cette lettre dans laquelle sa directrice a notamment déclaré ce qui suit : [Traduction] l'obligation d'accommodement vise l'aide sur le plan technique aux personnes handicapées dans le contexte de l'aménagement en milieu de travail - et vous vous trompez en croyant que l'obligation d'accommodement comprend les prolongations de contrat dans un endroit où il n'y a pas de poste disponible.

[56] Le 27 mai 2002, la plaignante a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne.

IV. LE TÉMOIGNAGE DE LA DRE CHARANJEAT MANDER

[57] La seul témoignage médical qui a été présenté par les parties a été celui de la Dre Charanjeat Mander, la médecin de famille de la plaignante.

[58] La Dre Mander a étudié la médecine au Christian Medical College, dans la ville de Ludhiana (Punjab), en Inde, et elle y a obtenu un diplôme de médecine en 1965. Après avoir obtenu son diplôme, elle a déménagé avec son mari à Glasgow (Écosse), où elle a fait une résidence d'un an en psychiatrie. En 1974, la famille a déménagé au Canada où elle a fait son internat en médecine interne à l'hôpital St. Joseph (maintenant connu sous le nom de Queensway Health Centre) de Toronto. En 1979, après avoir réussi son examen l'autorisant à pratiquer la médecine, elle a commencé à exercer sa pratique médicale à Burlington où elle pratique encore aujourd'hui la médecine générale.

[59] La Dre Mander a été reconnue comme experte en médecine familiale et a été autorisée à témoigner comme médecin traitant de la plaignante.

[60] La Dre Mander a affirmé qu'elle rencontrait beaucoup de cas d'anxiété dans le cadre de sa pratique. Elle a ajouté que, en raison du manque de psychiatre, les omnipraticiens jouent un rôle important dans le traitement des personnes qui souffrent d'anxiété. Les symptômes les plus courants de l'anxiété sont la nervosité, les palpitations et le manque de sommeil. Normalement, lorsqu'un patient se présente avec ces symptômes, le médecin doit l'écouter attentivement et doit déceler les motifs de l'anxiété. Dans de tels cas, l'histoire du patient est la chose la plus importante.

[61] La Dre Mander a mentionné que, dans ces cas, elle recommande d'abord du repos ou quelques jours de congé. La deuxième étape du traitement consiste à prescrire un tranquillisant léger, Ativan par exemple. Elle a affirmé que, à ce stade, elle prescrit généralement cinq milligrammes, sublingual, pour voir comment le patient réagit. Si cela ne fonctionne pas, elle envisage la possibilité de prescrire un tranquillisant plus puissant. La troisième étape consiste à renvoyer le patient à un spécialiste.

[62] La Dre Mander a déclaré qu'elle a d'abord vu la plaignante à titre de médecin de famille le 5 octobre 1999, bien qu'elle l'eût vu le 29 octobre 1997, alors qu'elle remplaçait la médecin de famille antérieure de la plaignante.

[63] Les notes cliniques de la Dre Mander font état que la plaignante a été vue le 26 juin 2001 par le Dr Huschilt, qui, à ce moment-là, la remplaçait dans sa pratique. Dans ses notes, elle relate que le Dr Huschilt a mentionné que lors de cette visite la plaignante s'était plainte d'une douleur au cou et de stress au travail. La plaignante a consulté une fois de plus le Dr Huschilt le 29 juin 2001 et elle s'est plainte de stress au travail. Le Dr Huschilt a conclu à l'anxiété et il a prescrit une période de congé.

[64] La Dre Mander a vu la plaignante le 19 juillet 2001. Elle a inscrit ce qui suit : [Traduction] Stress au travail - trop de travail. Douleurs au cou. A besoin de changement au travail. Fait le travail de deux personnes. Stress émotionnel. Très angoissée. À ce moment-là, la plaignante était absente du travail depuis le 29 juin 2001. La plaignante a dit à la Dre Mander qu'elle voulait retourner au travail mais à condition que des changements soient apportés au milieu de travail.

[65] La médecin a vu la plaignante une autre fois le 3 août 2001. Bien qu'elle n'en ait pas fait mention dans ses notes, la Dre Mander a déclaré que la plaignante était toujours tendue. La plaignante a mentionné à sa médecin qu'elle avait écrit à sa directrice à propos de ses problèmes liés au travail mais que celle-ci était en vacances à ce moment-là. Elle a dit à la Dre Mander qu'elle allait prendre 10 jours de vacances, ce qui devrait l'aider à devenir un peu plus stable.

[66] Le prochain rendez-vous de la plaignante devait avoir lieu le 28 août 2001. Elle venait tout juste de retourner au travail. Dans ses notes, la Dre Mander a écrit ce qui suit : [Traduction] Crises d'anxiété, palpitations, nervosité, souffle court une à deux fois par semaine [...] symptômes typiques d'anxiété. À l'audience, la Dre Mander a ajouté que lors de cette visite, la plaignante pleurait, était très nerveuse et que ses mains tremblaient. La plaignante lui a dit qu'elle était très nerveuse et qu'elle avait de la difficulté à dormir. La Dre Mander lui a prescrit du Ativan, un tranquillisant, à raison de 0,5 milligramme, sublingual, à utiliser au besoin. Elle a également pris note que la plaignante était très perturbée par sa charge de travail.

[67] La Dre Mander a vu la plaignante une nouvelle fois le 31 août 2001. Elle a souligné que celle-ci lui a dit qu'elle n'était pas capable de s'acquitter de sa tâche, qu'il y avait trop de pression. Elle a également pris note que la plaignante pleurait et qu'elle était très perturbée. La plaignante a dit à la Dre Mander qu'elle ne voulait pas retourner à son emploi dans les circonstances qui prévalaient à ce moment-là. Elle voulait que la direction lui retire les tâches supplémentaires qu'on lui avait prétendument données. La Dre Mander a inscrit ce qui suit : [Traduction] Les crises de panique sont occasionnées par la pression. Elle a donné à la plaignante une note dans laquelle il était mentionné ce qui suit : [Traduction] Doit s'absenter du travail pour une période de temps indéterminée. Très grand stress au travail. Fardeau de travail trop lourd.

[68] La plaignante est retournée voir sa médecin le 4 septembre 2001. La Dre Mander a pris note qu'elle se sentait mieux parce qu'elle était en congé. La plaignante a dit à sa médecin qu'elle dormait mieux et qu'elle [Traduction] n'éprouvait plus de sensation de panique. La Dre Mander a ajouté que la plaignante ne prenait aucun antidépresseur à ce moment-là parce qu'elle n'était pas déprimée.

[69] Le 10 septembre 2001, la Dre Mander a pris des dispositions pour renvoyer la plaignante à une spécialiste, la Dre V. M. Celine Kumiranayake, une psychiatre clinique à Burlington. Selon la Dre Mander, la plaignante a vu la Dre Kumiranayake le 18 septembre 2001. La Dre Kumiranayake, qui est maintenant à la retraite, n'a pas été appelée à témoigner. Elle a envoyé à la Dre Mander un rapport d'évaluation de la plaignante. La Dre Mander a reçu ce rapport le 20 septembre 2001. La Dre Kumiranayake n'a plus revu la plaignante après cette rencontre.

[70] Selon la Dre Mander, le diagnostic de la Dre Kumiranayake quant à la plaignante était le suivant : [Traduction] Crises de panique aiguës occasionnées par du stress lié au travail. Dans son rapport, la Dre Kumiranayake a écrit ce qui suit : [Traduction] Cette dame semble souffrir de crises de panique aiguës occasionnées par du stress lié au travail. [Non souligné dans l'original.]

[71] L'inscription suivante faite par la Dre Mander est datée du 25 septembre 2001. La médecin a inscrit que la plaignante se sentait plus heureuse, et qu'elle avait une attitude positive et qu'elle n'était plus en proie à des crises de panique. La plaignante a dit à sa médecin qu'elle ne voulait prendre aucun médicament car elle se sentait maintenant mieux.

[72] Le 18 octobre 2001, la plaignante a consulté de nouveau la Dre Mander. Selon les notes de la médecin, celle-ci commençait à souffrir du stress en raison de [Traduction] certains problèmes avec l'employeur [...] concernant des invalidités. La Dre Mander n'a fait aucune remarque quant à l'état physique de la plaignante.

[73] Le rendez-vous suivant a eu lieu le 9 novembre 2001. La médecin a pris note que la plaignante était [Traduction] fatiguée, déprimée, anxieuse, très très tendue. Elle a décidé de lui prescrire du Paxil, un antidépresseur, parce qu'elle estimait que l'état de la plaignante ne s'améliorait pas, malgré qu'elle fût en congé. En contre-interrogatoire, elle a ajouté que la plaignante lui avait plus tard dit qu'elle n'avait jamais pris l'antidépresseur.

[74] Le 14 décembre 2001, la Dre Mander a vu la plaignante. Celle-ci semblait mieux se porter et elle a fait part de son intention de retourner au travail. La Dre Mander a remis à la plaignante un billet médical mentionnant qu'elle était prête à retourner travailler à plein temps.

[75] Lors de son contre-interrogatoire, la Dre Mander a admis qu'elle n'avait personnellement aucune idée de ce qui se passait dans le milieu de travail de la plaignante et que, quant à cela, elle s'était uniquement fiée à la plaignante. Elle a de plus ajouté que son rôle consistait à observer la patiente et qu'elle n'avait pas à se mêler de ce qu'elle a décrit comme étant [Traduction] les problèmes juridiques qui existent entre le milieu de travail et la patiente. Elle a également mentionné que la plaignante souffrait d'une dépression réactionnelle à son milieu de travail, ce qui ne signifie pas que la plaignante souffrait d'une dépression clinique.

V. LA LOI

Aux fins de la présente affaire, les articles pertinents de la Loi sont les suivants :

3. (1) Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.

7. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d'emploi.

15. (1) Ne constituent pas des actes discriminatoires :

a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l'employeur qui démontre qu'ils découlent d'exigences professionnelles justifiées;

(2) Les faits prévus à l'alinéa (1)a) sont des exigences professionnelles justifiées ou un motif justifiable, au sens de l'alinéa (1)g), s'il est démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins d'une personne ou d'une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité.

25. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

déficience Déficience physique ou mentale, qu'elle soit présente ou passée, y compris le défigurement ainsi que la dépendance, présente ou passée, envers l'alcool ou la drogue.

VI. LES QUESTIONS EN LITIGE

Les questions en litige dans la présente instance sont les suivantes :

  1. La plaignante a-t-elle établi une preuve prima facie de discrimination?

  2. Si une preuve prima facie a été établie, l'intimé a-t-il omis d'accommoder la plaignante?

VII. ANALYSE JURIDIQUE

[76] Dans les arrêts Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3 [également appelé l'arrêt Meiorin] et Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 R.C.S. 868 [également appelé l'arrêt Grismer], la Cour suprême a mentionné qu'il incombe d'abord au plaignant d'établir une preuve prima facie de discrimination. La preuve prima facie est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l'absence de réplique de l'employeur. [Voir Ontario (Commission ontarienne des droits de la personne)O'Malley c. Simpson Sears Limited, [1985] 2 R.C.S. 536, p. 558.]

[77] Dans l'arrêt La Commission canadienne des droits de la personne c. Le Procureur général du Canada, (Morris) 2005 CAF 154, la Cour d'appel fédérale a déclaré que la définition juridique de la preuve prima facie n'exige pas que le plaignant soumette un type particulier de preuve afin de démontrer qu'il a été victime d'un acte discriminatoire. Un critère souple est plus approprié.

[78] L'article 3 de la Loi déclare que la déficience est un motif de distinction illicite. Déficience est définie à l'article 25 comme étant une déficience physique [...], qu'elle soit présente ou passée.

[79] Une question cruciale en l'espèce est celle qui consiste à savoir si la plaignante souffre d'une déficience. Dans l'arrêt Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville) et Boisbriand (Ville), [2000] 1 R.C.S. 665 [également appelé l'arrêt Mercier], la Cour suprême du Canada a fait un certain nombre de remarques importantes concernant les façons selon lesquelles les cours de justice doivent examiner et considérer les déficiences. La Cour suprême énumère un critère juridique général sur la manière d'établir s'il y a oui ou non déficience au sens des lois en matière de droits de la personne.

[80] Bien que l'arrêt Mercier soit rattaché à la Charte des droits et libertés de la personne du Québec et non pas à la Loi, les remarques de la Cour s'appliquent tout autant à cette dernière étant donné que les deux lois prévoient des mesures de protection semblables. La Cour s'est penchée sur le sens et la portée du mot handicap, lequel est utilisé dans la Charte québécoise pour désigner une déficience. La Cour a notamment déclaré ce qui suit :

75 On retrouve la définition suivante du terme désavantage (handicap en anglais) dans la Classification internationale des handicaps :

Dans le domaine de la santé, le désavantage social d'un individu est le préjudice qui résulte de sa déficience ou de son incapacité et qui limite ou interdit l'accomplissement d'un rôle considéré comme normal compte tenu de l'âge, du sexe et des facteurs socio-culturels.

76 Je suis entièrement d'accord avec le juge Philippon qu'il ne faut pas enfermer le motif de handicap dans une définition étanche et dépourvue de souplesse. Au lieu de créer une définition exhaustive de ce concept, il me semble plus utile de proposer des lignes directrices qui faciliteront l'interprétation tout en permettant aux tribunaux d'adapter la notion de handicap selon divers facteurs biomédicaux, sociaux ou technologiques. Compte tenu de l'avancement rapide de la technologie biomédicale et, plus particulièrement, de la technologie génétique et du fait que ce qui aujourd'hui constitue un handicap peut l'être ou ne pas l'être demain, une définition trop étanche ne servirait pas nécessairement l'objet de la Charte en cette matière.

77 Ces lignes directrices pourraient être en accord de façon plus générale avec le modèle socio-politique que propose J. E. Bickenbach, Physical Disability and Social Policy (1993). Ce n'est toutefois pas dire qu'il faille écarter les fondements biomédicaux du handicap mais plutôt souligner que, pour les fins de la Charte, il importe d'aller au-delà de ce seul critère. C'est alors qu'une approche multidimensionnelle qui tient compte de l'élément socio-politique s'avère très pertinente. En mettant l'emphase sur la dignité humaine, le respect et le droit à l'égalité, plutôt que sur la condition biomédicale tout court, cette approche reconnaît que les attitudes de la société et de ses membres contribuent souvent à l'idée ou à la perception d'un handicap. Ainsi, une personne peut n'avoir aucune limitation dans la vie courante sauf celles qui sont créées par le préjudice et les stéréotypes.

78 I. B. McKenna, dans Legal Rights for Persons with Disabilities in Canada: Can the Impasse Be Resolved? (1997-98), 29 R.D. Ottawa 153, a écrit ceci au sujet de la portée du terme handicap à la p. 164 :

[TRADUCTION] C'est l'effet conjugué de la déficience ou de l'incapacité d'une personne et du climat social qui détermine si cette personne est atteinte d'un handicap.

Au même effet, le professeur Proulx, loc. cit., à la p. 416, affirme que

ce qui compte en matière de discrimination fondée sur le handicap, ce n'est pas tant de savoir si la victime d'une exclusion a un véritable handicap ou est réellement une personne handicapée au sens où on l'entend dans d'autres lois édictées pour d'autres fins ou même au sens ordinaire de ces termes. Le centre de l'analyse n'est pas tant la notion de handicap, en soi, que celle de la discrimination fondée sur le handicap.

Voir également Lepofsky et Bickenbach, op. cit., à la p. 343.

79. Ainsi, un handicap peut résulter aussi bien d'une limitation physique que d'une affection, d'une construction sociale, d'une perception de limitation ou d'une combinaison de tous ces facteurs. C'est l'effet de l'ensemble de ces circonstances qui détermine si l'individu est ou non affecté d'un handicap pour les fins de la Charte.

[81] Donc, si l'on veut savoir si une personne souffre d'une déficience, le Tribunal devra tenir compte non seulement de la condition biomédicale du plaignant, mais également des circonstances dans lesquelles une distinction est faite. La Cour ajoute ce qui suit au paragraphe 80 : Dans le cadre de l'acte reproché à un employeur, les tribunaux doivent se demander, entre autres, si une affection réelle ou perçue engendre pour l'individu [TRADUCTION] la perte ou la diminution des possibilités de participer à la vie collective au même titre que les autres.

[82] Une déficience n'exige pas obligatoirement la preuve d'une limitation physique ou la présence d'une affection quelconque. Bien que la Cour suprême nous rappelle qu'il ne faut pas trop se fonder sur des renseignements médicaux pour établir s'il existe ou non une déficience, il ne suffit pas qu'une personne dise tout simplement qu'elle souffre d'une déficience pour qu'il soit satisfait au critère. Il faut prouver que la déficience existe. Cette preuve peut être tirée des renseignements médicaux et du contexte dans lequel l'acte reproché s'est produit.

[83] Dans une récente décision, Desormeaux c. Commission de transport régionale d'Ottawa-Carleton, le Tribunal canadien des droits de la personne a décidé qu'il y avait preuve prima facie de discrimination fondée sur une déficience en se fondant fortement sur le témoignage de la plaignante ainsi que sur celui de son médecin de famille. En contrôle judiciaire, la Cour fédérale a jugé que la conclusion du Tribunal quant à la déficience était déraisonnable, principalement pour le motif que la preuve médicale produite à l'appui de la conclusion était celle d'un expert en médecine familiale et qu'il était déraisonnable de conclure que le témoignage de ce médecin devrait peser plus lourd que l'opinion d'un médecin spécialiste. La juge de la Cour fédérale a conclu qu'il n'y avait aucune preuve prima facie à réfuter car elle n'était pas convaincue qu'il y avait des éléments de preuve régulièrement recevables pour étayer une conclusion de déficience.

[84] La Cour d'appel fédérale [2005 CAF 311] a jugé que la décision de la juge siégeant en révision était erronée. Elle a conclu que la décision du Tribunal quant à la question de savoir s'il y avait ou non déficience était manifestement une décision qui méritait une grande retenue. Comme la Cour suprême l'a déclaré dans l'arrêt Granovsky c. Canada, [2000] 1 R.C.S. 703, au paragraphe 34, ainsi que dans l'arrêt Mercier, précité, au paragraphe 71, la déficience au sens juridique consiste en une affection physique ou mentale qui occasionne une limitation fonctionnelle ou qui est associée à une perception d'affection. Compte tenu de ce critère, la Cour d'appel a conclu que le Tribunal disposait d'une preuve à partir de laquelle il pouvait raisonnablement conclure qu'il y avait déficience.

[85] En l'espèce, comme dans l'affaire Desormeaux, l'intimé a prétendu que la preuve médicale n'était pas concluante. Bien que l'on pourrait conclure que la preuve médicale n'était pas tout à fait convaincante, celle-ci, conjuguée avec la preuve de la plaignante et celle de l'intimé, permet de conclure qu'il y a déficience.

[86] L'intimé a également invoqué, au cours de ses plaidoiries, une décision que j'ai rendue dans Beauregard c. Société canadienne des postes, [2004] T.C.D.P. n° 1 (confirmée, 2005 CF 1384). Il est important de souligner que les faits de l'espèce dans l'affaire Beauregard étaient quelque peu différents des faits de la présente espèce. Dans Beauregard, la preuve médicale invoquée par le plaignant a été contredite par le psychiatre de l'intimée ainsi que par sa preuve d'expert. De plus, dans cette cause, il n'y avait pas d'incidents au travail montrant clairement que le plaignant souffrait de problèmes d'ordre médical.

[87] En ce qui a trait aux crises de panique, le British Columbia Council of Human Rights, dans Sansome c. Dodd (c.o.b Portside Paul's Fish & Chips), [1991] B.C.C.H.R.D. no 17, a décidé qu'elles constituaient une déficience au sens du B.C. Human Rights Code (voir également Cameron c. Fletcher Challenge Canada Limited (1995), 24 C.H.R.R. D./506 (B.C.C.H.R.)).

[88] La Loi ne renferme aucune liste énumérant les déficiences mentales acceptables et les déficiences mentales non acceptables. Ce ne sont pas seulement les déficiences mentales les plus graves qui ont droit à la protection prévue dans la Loi. De plus, ce ne sont pas seulement les déficiences qui constituent une incapacité permanente qui doivent être prises en compte. Le cas échéant, même les déficiences mentales décrites comme étant mineures et qui ne se manifestent pas d'une façon permanente pourraient avoir droit à la protection prévue dans la Loi. Toutefois, l'existence d'une déficience doit toujours être étayée par une preuve suffisante.

[89] Pour les fins du critère de la preuve prima facie, je conclus qu'il existe une preuve manifeste que la plaignante souffrait d'une déficience, notamment de crises de panique. Je conclus également que sa directrice à l'époque, Mme McIntyre, aurait dû être en mesure de conclure, à partir des conversations qu'elle a eues avec la plaignante ainsi qu'à partir de ses observations, que, au point de vue santé, les choses n'allaient pas bien.

[90] Lors de la rencontre du 21 juin 2001, la plaignante a dit à Mme McIntyre qu'elle était à nouveau en proie à des problèmes de santé. Mme McIntyre savait également que la plaignante avait consulté sa médecin. Elle a de plus appris, le 27 juin 2001, que la plaignante avait soulevé la question de sa santé lors d'une rencontre avec ses collègues de travail. Elle a également affirmé que la plaignante était très perturbée lors de cette rencontre.

[91] Le 28 juin 2001, la plaignante a fait part de son état à son superviseur, Rick Levert. Celui-ci a témoigné que, au cours de cette rencontre, la plaignante était très agitée. Il a ajouté que, à un certain moment, elle s'est mise à pleurer. La plaignante a également fait part à son superviseur qu'elle consultait sa médecin. Le même jour, Mme McIntyre a été informé par les collègues de travail de la plaignante que celle-ci était partie chez elle parce qu'elle était malade. Mme McIntyre savait également que [Traduction] Mary avait déjà eu des problèmes de santé.

[92] Rick Levert a appris, le 29 juin 2001, que la médecin de la plaignante avait prescrit à cette dernière une période de congé pour une période indéterminée. La plaignante s'est absentée du travail du 30 juin 2001 au 23 juillet 2001 et les documents médicaux à l'appui remis à l'employeur faisaient état de stress occasionné par le travail. Juste après son retour au travail, le 25 juillet 2001, la plaignante a rencontré son superviseur et l'a informé que sa santé n'était pas bonne et qu'il s'agissait d'un état permanent.

[93] Dans une lettre adressée à Debby McIntyre et à Rick Levert, le 26 juillet 2001, la plaignante a mentionné qu'elle était à nouveau en proie à son [Traduction] problème de stress occasionné par la charge de travail. Dans sa réponse à cette lettre, le 9 août 2001, Debby McIntyre a déclaré ce qui suit : [Traduction] Je partage vos inquiétudes quant à votre santé.

[94] Le 20 août 2001, lors d'une rencontre avec Debby McIntyre, la plaignante a mentionné qu'elle croyait toujours que sa santé posait problème. Elle a mentionné qu'elle souffrait de crises de panique incessantes, lesquelles étaient occasionnées par son travail. Lors d'une autre rencontre, le 23 août 2001, Debby McIntyre a souligné que la plaignante était en larmes. Mme McIntyre a demandé à la plaignante comment elle se portait et celle-ci lui a répondu qu'elle ne se portait pas très bien et qu'elle devait prendre un certain nombre de décisions concernant son emploi. Mme McIntyre l'a encouragée à consulter sa médecin et à prendre congé au besoin.

[95] Puis, il y a eu les évènements du 30 août 2001, lesquels ont clairement démontré que la plaignante était aux prises avec un problème de santé.

[96] Mme McIntyre a déclaré qu'elle n'avait pas l'impression que les crises d'anxiété dont avait parlé la plaignante étaient une maladie. Au contraire, elle a déclaré qu'elle croyait comprendre que le stress et l'anxiété de la plaignante étaient occasionnés par le fait qu'elle avait de la difficulté à faire le travail d'un CR-04. Selon moi, il s'agit là d'une reconnaissance de sa part qu'elle savait que la plaignante souffrait de stress et d'anxiété mais que, selon elle, il s'agissait d'une question de rendement.

[97] Tous les évènements décrits ci-dessus auraient dû susciter des soupçons. Je conclus, compte tenu de tous ces évènements que l'intimé savait, ou aurait dû savoir que la plaignante souffrait d'anxiété occasionnée par du stress lié au travail. Le fait qu'elle ne l'ait pas dit expressément à l'intimé ne lui fait pas perdre la protection de la Loi (voir Mager c. Louisiana-Pacific Canada Ltd., [1998] B.C.H.R.T.D. no 36.) Pour sa part, si l'intimé croyait que le stress occasionné par le travail ne constitue pas une déficience, il aurait dû soumettre la plaignante à une évaluation professionnelle.

[98] Il ne suffit pas pour l'intimé d'affirmer qu'il n'a pas été informé ou qu'il n'était pas au courant de l'état de santé de la plaignante. Certes, compte tenu de la preuve présentée, il est manifeste qu'il devait savoir qu'elle se trouvait dans ce qui pourrait être décrit comme étant un état émotionnel fragile. Sachant ce qu'il savait, il appartenait à l'employeur d'établir si l'état de santé de la plaignante avait une incidence sur son rendement. Il lui incombait à tout le moins de se demander si l'état de santé de la plaignante pourrait avoir une incidence sur sa décision de congédier la plaignante.

[99] Même si la plaignante n'a remis à l'employeur aucun diagnostic médical de sa déficience, cela ne la prive pas de la protection de la Loi. Il se peut qu'une personne souffrant d'une déficience, notamment une personne souffrant d'une déficience mentale, ne connaisse pas la nature et l'importance exacte de cette déficience au moment où elle est en proie aux symptômes. Dans de telles circonstances, nous ne pouvons pas imposer une obligation de divulgation d'un diagnostic médical concluant.

[100] Je ne minimise pas l'importance du fait qu'un employé doive soumettre à son employeur des billets médicaux informant ce dernier de son état de santé. L'employeur se fie à ces billets pour connaître l'état de santé de l'employé dans la mesure où cela est pertinent avec le besoin d'accommodement. Je soupçonne cependant que la majorité des employés hésitent à informer leur employeur qu'ils souffrent peut-être d'une déficience mentale. Ils craignent qu'un employeur n'utilise ces renseignements à leur détriment et estiment qu'il est dans leur intérêt de régler leurs problèmes du mieux qu'ils le peuvent.

[101] Le changement évident dans le comportement de la plaignante au cours des mois de l'été 2001 aurait dû faire réaliser à l'employeur que quelque chose n'allait pas. La plaignante a informé sa directrice et son superviseur durant cette période que ce n'était parce qu'elle n'était pas intéressée par son travail que celui-ci n'était pas fait mais plutôt parce qu'elle avait un problème de santé. Son employeur, pour sa part, a décidé, compte tenu des renseignements qu'il recevait de la part des collègues de travail de la plaignante, qu'il s'agissait d'une question de rendement et non pas d'une question de déficience.

[102] Mme McIntyre était convaincue que la plaignante n'était pas capable d'accomplir la tâche d'un CR-04. Elle croyait sincèrement que la plaignante estimait que le travail n'était pas réalisable et qu'elle ne voulait rien entendre quant aux façons qui lui permettraient de le rendre réalisable. Mme McIntyre estimait que la directrice était tenue de voir à la stabilité de l'unité afin d'appuyer les agents. Elle a ajouté que la plaignante avait un historique. Elle voulait dire par là qu'elle avait remarqué que la plaignante avait pris l'habitude de travailler pendant un certain temps, puis, de prendre congé. Cette conclusion est intéressante compte tenu du fait qu'elle n'a pas été soulevée à l'époque où Marg Garey était la directrice de la plaignante et qu'aucune mention de cet historique n'a été faite à Mme McIntyre lorsque celle-ci a accédé au poste de directrice. La preuve n'étaye pas cette conclusion.

[103] L'intimé aurait dû tenter de savoir pourquoi le travail s'empilait; pourquoi le rendement de l'employée diminuait. Compte tenu de la preuve dont il était saisi, l'intimé ne pouvait tout simplement pas sauter à la conclusion que ce problème de rendement découlait d'une attitude négative.

[104] En l'espèce, il est clair que la décision finale de ne pas renouveler le contrat de la plaignante a été influencée par la déficience de cette dernière. À cet égard, il suffit d'examiner les notes prises le 30 août 2001 par Mme McIntyre. Ces notes mettent en évidence une conversation que celle-ci a eue avec un représentant des relations en dotation au bureau régional de l'intimé et au cours de laquelle elle a mentionné ce qui suit : [Traduction] Renouveler le contrat de Mary le 30 septembre 2001, ne serait pas, selon moi, une bonne chose pour la santé de Mary. [Non souligné dans l'original.] Cela, en soi, est suffisant pour établir une preuve prima facie de discrimination. La santé ou la déficience de la plaignante était de toute évidence présente dans l'esprit de l'intimé lorsqu'il a décidé de ne pas continuer à l'employer

[105] Dès qu'une preuve prima facie de discrimination a été établie, il appartient à l'intimé de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la norme ou politique apparemment discriminatoire qu'il a appliquée est une exigence professionnelle justifiée. Afin d'établir ceci, selon les arrêts Meiorin et Grismer, l'intimé doit prouver ce qui suit :

  1. Il a adopté la norme dans un but ou objectif rationnellement lié aux fonctions exercées
  2. Il a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu'elle était nécessaire à la réalisation de son objet, et sans qu'il ait eu l'intention de faire de preuve de discrimination envers le demandeur;
  3. La norme contestée est raisonnablement nécessaire pour que l'employeur puisse atteindre l'objet qu'elle vise. L'employeur doit établir qu'il lui est impossible de composer avec le demandeur et les autres personnes lésées par la norme sans subir une contrainte excessive.

[106] En l'espèce, la norme ou politique appliquée par l'intimé serait la décision d'abolir le poste de CR-03 que la plaignante occupait et de ne pas renouveler son contrat à durée déterminée.

[107] Les arrêts Meiorin et Grismer traitent des paramètres servant à juger si une défense de contrainte excessive a été établie. Dans l'arrêt Meiorin, la Cour a souligné que l'utilisation de l'adjectif excessive donne à penser qu'une certaine contrainte est acceptable. Seule la contrainte excessive répond à ce critère. Une norme d'une rigidité absolue peut être idéale du point de vue de l'employeur. Cependant, pour être justifiée en vertu des lois sur les droits de la personne, la norme doit tenir compte de facteurs concernant les capacités uniques ainsi que la valeur et la dignité intrinsèques de chaque personne, dans la mesure où cela n'impose aucune contrainte excessive.

[108] La Cour suprême a souligné que le défendeur, afin de s'acquitter de ce fardeau, doit toujours démontrer que la norme inclut toute possibilité d'accommoder sans qu'il en résulte une contrainte excessive (voir Grismer, précité, au paragraphe 32.). Il incombe à l'intimé de démontrer qu'il a envisagé et rejeté raisonnablement toute forme possible d'accommodement. L'intimé doit prouver qu'il était impossible d'incorporer dans la norme des aspects d'accommodement individuel sans qu'il en résulte une contrainte excessive (voir Grismer, précité, au paragraphe 4).

[109] Dans Gardiner c. British Columbia (Attorney General), [2003] B.C.H.R.T.D. no 40, le British Columbia Human Rights Tribunal a affirmé ce qui suit concernant l'obligation d'accommodement (aux paragraphes 168 et 169) :

[Traduction]

Il est important de faire une distinction entre l'existence de la déficience et l'incidence fonctionnelle de la déficience à une période donnée. Une personne peut souffrir d'une maladie ou d'une blessure permanente qui constitue une déficience en vertu du Code, mais ne souffre d'aucune incidence fonctionnelle de longue durée en raison de cette déficience : Morris c. B.C. Rail 2003 BCHRT 14. Dans de telles circonstances, si l'existence de la déficience n'est pas portée à l'attention du défendeur et qu'aucun accommodement n'est exigé, le défendeur peut très bien ne pas être au courant de l'existence de la déficience et en fait on ne peut raisonnablement pas s'attendre à ce qu'il le soit. Lorsque le défendeur n'est pas au courant de l'existence d'une déficience et qu'aucun accommodement n'est demandé, l'obligation d'accommodement n'entre pas en jeu.

Dans les circonstances de l'espèce, je suis convaincu que le défendeur n'était pas au courant et que l'on ne pouvait pas raisonnablement présumé qu'il était au courant, de l'existence de la déficience du plaignant pour la période allant du 13 février 1995 à avril 1998. Le défendeur n'a pas été informé qu'un accommodement était exigé et la preuve dont je suis saisi n'étaye pas que le défendeur pouvait soupçonner que le plaignant avait besoin d'un accommodement durant cette période. [Non souligné dans l'original.]

[110] La situation factuelle en l'espèce est, à plusieurs égards, différente de l'affaire Gardiner. En l'espèce, compte tenu du contexte, j'ai conclu que l'intimé était au courant ou aurait dû être au courant de l'existence de la déficience de la plaignante. Bien qu'aucune demande d'accommodement officielle ne fut présentée avant le 22 octobre 2001, les diverses discussions que la plaignante a eues avec son superviseur et avec sa directrice, comme les notes écrites de ces derniers le font clairement ressortir, montrent que c'est ce qui était demandé.

[111] En l'espèce, l'intimé n'a présenté aucune preuve concernant les efforts qu'il aurait déployés en vue d'accommoder la plaignante. Le fait qu'il ait examiné la description de tâches de la plaignante et ait fait un ou deux appels téléphoniques pour trouver un emploi à la plaignante ne peut pas être considéré comme étant un effort visant à accommoder la plaignante sans subir de contraintes excessives. À la suite de la demande d'accommodement officielle présentée par la plaignante le 22 octobre 2001, l'intimé aurait pu examiner avec elle si elle consentait à ce qu'il discute du problème avec sa médecin. Cela lui aurait permis de déterminer quelles étaient les mesures d'accommodement dont elle avait besoin et de prendre une décision éclairée quant à savoir si ces mesures étaient raisonnables ou imposaient une contrainte excessive. Il a choisi de ne pas adopter cette ligne de conduite parce qu'il avait décidé qu'il s'agissait d'une question de rendement. Il importe de se rappeler que le rendement et la déficience ne sont pas étrangers l'un à l'autre, particulièrement dans la mesure où la déficience peut avoir une incidence sur le rendement d'un employé. Tous les problèmes de rendement ne sont pas occasionnés par une déficience, mais ceux qui le sont exigent d'ordinaire un certain degré d'accommodement.

[112] Mme McIntyre a reconnu qu'elle savait que, dans le passé, pour des raisons de santé, la plaignante avait demandé à être mutée dans un poste de niveau moins élevé. Lorsqu'on lui a demandé si elle disposait d'une possibilité dans la situation en litige en l'espèce, elle a répondu que cela n'aurait pas été une [Traduction] bonne décision au point de vue de la gestion. Elle a ajouté qu'adopter une telle ligne de conduite serait allé à l'encontre de la décision opérationnelle qui avait été prise. Mme McIntyre a ajouté qu'elle considérait la plaignante comme une employée embauchée pour une durée déterminée et a affirmé ce qui suit : [Traduction] Nous ne modifions pas notre structure organisationnelle globale et nos décisions opérationnelles lorsque nous pouvons essayer de trouver un emploi dans un autre bureau à un employé embauché pour une durée déterminée. Après avoir discuté de la situation de la plaignante avec un expert-conseil en dotation au bureau régional de l'intimé, la décision a été prise de ne pas renouveler le 30 septembre, le contrat pour une période déterminée de la plaignante, sous réserve d'une prolongation de 30 jours pour recherche d'emploi. Dans son témoignage, Mme McIntyre a mentionné qu'il n'était pas bon pour la santé de la plaignante ainsi que pour les besoins opérationnels de l'unité des travailleurs étrangers que le contrat soit renouvelé.

VIII. CONCLUSION

[113] Compte tenu de la situation factuelle et des principes juridiques applicables, je conclus que la plaignante a été victime de discrimination en raison d'une déficience en contravention de l'article 7 de la Loi. Des dates d'audience seront fixées afin de traiter de la question des dommages-intérêts et de celle des autres réparations demandées.

Michel Doucet

Ottawa (Ontario)
Le 25 janvier 2006

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL : T928/4804
INTITULÉ DE LA CAUSE : Mary Mellon c. Développement des ressources humaines Canada
DATE ET LIEU DE L'AUDIENCE : Les 16 au 18 février 2005
Les 21 au 25 février 2005
Les 13 au 16 juin 2005
Les 23 et 24 juin 2005
Oakville (Ontario)

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : Le 25 janvier 2006

ONT COMPARU :

Alison Dewar Pour la plaignante
Aucun représentant Pour la Commission canadienne des droits de la personne
Chris Leafloor Andrea Horton Pour l'intimé
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