Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2018 TCDP 13

Date : le 14 mai 2018

Numéro du dossier : T2185/0717

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Glen Jones

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Nation Munsee-Delaware

l'intimée

Décision sur requête

Membre : Gabriel Gaudreault

 



I.  Historique de la requête

[1]  La présente décision sur requête vise à déterminer si le Tribunal canadien des droits de la personne (Tribunal) doit exonérer M. Glen Jones (plaignant) de payer les frais et indemnités accordés aux témoins suivant une assignation à comparaître à l’audience.

[2]  Le Tribunal se permet de faire un bref historique de la demande. Le soussigné a été assigné au dossier le 10 janvier 2018. Le même jour, le Tribunal a reçu par courriel une liste de témoins amendée de la part du plaignant, qui désire appeler 9 témoins à l’audience. Dans cet envoi, M. Jones précise qu’il n’a pas les moyens de payer les frais et indemnités des témoins puisqu’il reçoit des revenus fixes de pension. Le 26 mars 2018, le Tribunal a demandé à M. Jones de déposer une requête formelle à ce sujet. Le Tribunal a également informé la Nation Munsee-Delaware (intimée) qu’elle pourra déposer une réponse, si elle le désirait.

[3]  Le Tribunal a émis des directives quant à la requête à déposer. Notamment, M. Jones a été invité à détailler et à justifier clairement sa demande et à déposer, si nécessaire, des pièces justificatives à son appui. Le Tribunal a également invité les parties à informer le Tribunal si les coordonnées des témoins sont connues (ou non) et, le cas échéant, l’endroit où il est possible de trouver ces informations. Enfin, les parties ont été invitées à aborder les enjeux quant aux informations personnelles des témoins ainsi qu’une potentielle ordonnance en confidentialité.

[4]  Le 3 avril 2018, le Tribunal a reçu la requête du plaignant. Malheureusement, la demande du plaignant n’est que très peu détaillée et ne fait qu’une dizaine de lignes, tout au plus. Il est à propos de reproduire intégralement ses représentations :

[traduction]

Les adresses des témoins que je désire appeler dans le cadre de ma plainte que j’ai intentée contre la Nation Munsee-Delaware se trouvent au bureau de l’administration de cette organisation. Je n’ai pas les adresses des témoins et c’est le bureau de l’administration qui les a, pas moi.

Je ne sais pas si les témoins habitent sur la réserve ou non. Les frais liés au subpoena sont trop élevés pour moi, puisque je reçois des revenus fixes de pension. Je demande une exemption du paiement de l’indemnité aux témoins et des autres frais liés à la comparution des témoins.

Je demande par conséquent une exemption du paiement des frais aux témoins.

[5]  L’intimée, quant à elle, a déposé une réponse le 16 avril 2018, qui se concentre davantage sur la question de la confidentialité des coordonnées des témoins. Elle ne prend pas position sur la requête de M. Jones quant aux frais des témoins. Enfin, M. Jones a déposé une réplique le 23 avril 2018. Dans sa réplique, le plaignant consent à garder confidentielles les coordonnées des témoins, tel que proposé par l’intimée. Enfin, il reprend essentiellement les mêmes arguments que dans sa requête initiale et voici les paragraphes pertinents de ses représentations :

[traduction]

Voici ma réponse aux représentations présentées par M. Daly, datées du 16 avril 2018, au nom de l’intimée dans la présente requête.

M. Daly souligne à juste titre que je n’ai pas l’adresse ou le numéro de téléphone des témoins que j’ai l’intention d’appeler, ni quelque autre renseignement que ce soit à leur sujet. J’ai besoin des renseignements qui se trouvent au bureau d’administration de la Première Nation pour communiquer avec les témoins et les assigner à comparaître. Je ne communiquerai pas les renseignements fournis, sauf à ceux qui en ont besoin. Je respecterai toutes les ordonnances du Tribunal. Je suis membre des Premières Nations et je reçois des revenus fixes de pension; c’était une des raisons pour lesquelles j’ai déménagé à Wasaga Beach, en Ontario. Il serait difficile pour moi de payer l’indemnité aux témoins et les autres frais liés à la comparution des témoins.

[…]

Je demande néanmoins une exemption du paiement de l’indemnité aux témoins et des autres frais liés à la comparution des témoins.

[6]  La Commission, qui ne participe pas à l’audience, n’a pas déposé de représentations relativement à la demande de M. Jones.

II.  Les frais et indemnités des témoins

[7]  Le paragraphe 50(6) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP) prévoit que :

  Les témoins assignés à comparaître en vertu du présent article peuvent, à l’appréciation du membre instructeur, recevoir les frais et indemnités accordés aux témoins assignés devant la Cour fédérale.

[8]  Les Règles des Cours fédérales DORS/98-106 prévoient que :

Signification à personne

 Un témoin ne peut être contraint à comparaître aux termes d’un subpoena que si celui-ci lui a été signifié à personne conformément à l’alinéa 128(1)a) et qu’une somme égale à l’indemnité de témoin et aux frais de déplacement prévus au tarif A lui a été payée ou offerte.

Indemnité de témoin

 Lorsqu’une disposition des présentes règles oblige un témoin à comparaître dans une instance autrement qu’aux termes d’un subpoena, celui-ci a droit à une indemnité de témoin et aux frais de déplacement selon le montant prévu au tarif A.

[9]  Quant au tarif A, il est prévu, pour des témoins non experts :

Indemnité de base

3 (1) Sous réserve du paragraphe (2), un témoin a le droit de recevoir de la partie qui le fait comparaître, notamment par subpoena, la somme de 20 $ par jour plus les frais de déplacement raisonnables, ou l’indemnité accordée dans des circonstances similaires pour une comparution devant la cour supérieure de la province où il comparaît si cette indemnité est plus élevée.

[Le Tribunal souligne]

[10]  Comme l’audience est prévue à London (Ontario), il est nécessaire de consulter les règles en matière de frais et d’indemnités des témoins devant la cour supérieure de l’Ontario. À cet effet, les paragraphes 4 et 5 de l’article 53.04 des Règles de procédure civile, R.R.O. 190, Règl. 194, prévoient :

Signification à personne

(4) L’assignation de témoin est signifiée par voie de signification à personne uniquement.  L’indemnité de présence, calculée conformément au tarif A, est versée ou offerte au témoin au moment de la signification.  R.R.O. 1990, Règl. 194, par. 53.04 (4).

(5) La signification de l’assignation et le versement ou l’offre de l’indemnité de présence peuvent être établis au moyen d’un affidavit.  R.R.O. 1990, Règl. 194, par. 53.04 (5).

[11]  Le tarif A prévoit, à l’article 21, que :

21. L’indemnité de présence effectivement versée à un témoin qui y a droit est calculée de la façon suivante : 

1. Indemnité de présence pour chaque jour où la présence du témoin est indispensable : 50 $.

2. Frais de déplacement si l’audience ou l’interrogatoire a lieu :

a) dans la ville où le témoin réside 3 $ pour chaque jour où sa présence est indispensable;

b) à 300 kilomètres ou moins de l’endroit où réside le témoin, 24 ¢ du kilomètre parcouru à l’aller et au retour entre sa résidence et le lieu de l’audience ou de l’interrogatoire;

c) à plus de 300 kilomètres de l’endroit où réside le témoin, le prix du billet d’avion le moins cher, plus 24 ¢ du kilomètre parcouru à l’aller et au retour entre l’aérogare et sa résidence et entre l’aérogare et le lieu de l’audience ou de l’interrogatoire.

3. Si le témoin ne réside pas à l’endroit où a lieu l’audience ou l’interrogatoire, une indemnité de logement et de repas pour chaque nuit qu’il est tenu de passer à cet endroit : 75 $.

[12]  Comme les frais et indemnités prévues aux règles de la cour supérieure de la province sont plus avantageux que celles des Cours fédérales, ce sont normalement les premiers qui doivent être payés par la partie qui assigne le témoin.

[13]  Il est malheureux que le plaignant n'ait pas soumis, au soutien de sa demande, plus de détails et de preuve, et ce, malgré les indications claires du membre instructeur. Outre des instructions sur le contenu que devrait contenir sa requête, le Tribunal a également donné à M. Jones une douzaine de jours pour présenter sa demande. Ce délai était suffisamment long, considérant la nature de la demande, afin de permettre à M. Jones de présenter une requête plus détaillée au Tribunal.

[14]  Je rappelle que lorsqu’une partie dépose une requête au Tribunal (la partie requérante), c’est à elle que revient le fardeau de justifier le bien-fondé de sa requête et de préciser les redressements et les motifs à son appui.

[15]  J’estime qu’il n’est pas suffisant pour M. Jones d’invoquer que, considérant ses revenus fixes de pension, il n’a pas les moyens financiers de payer les frais et indemnités des témoins. Le plaignant n’a tout simplement pas détaillé les motifs à l’appui de ses prétentions.

[16]  Le membre du Tribunal Paul Groarke s’est déjà penché sur une demande similaire dans la décision Day c. Canada (Ministère de la Défense nationale), 2003 TCDP 7. Je suis tout à fait d’accord avec les commentaires suivants de mon collègue :

Je note que les témoins peuvent recevoir ces frais et indemnités; bien que le paragraphe en question me donne un pouvoir discrétionnaire à cet égard, je crois que les frais et indemnités doivent être payés à moins qu’il existe des raisons impérieuses de déroger à la pratique normale. Témoigner à une audience cause des inconvénients et entraîne souvent des complications, car ce devoir exige de réaménager son emploi du temps pour rendre service à la société. Je suis fermement convaincu que les témoins doivent être indemnisés pour ces dérangements. Par ailleurs, le fait d’avoir à demander des subpoenas et à payer les frais afférents peut décourager les parties d’assigner des témoins inutiles.

[Le Tribunal souligne]

[17]  Comme l’a explicité le membre Groarke, exonérer une partie de payer les frais et indemnités des témoins doit se baser sur des raisons impérieuses. Autrement dit, il s’agit là de circonstances exceptionnelles. Dans le cas en l’espèce, je ne vois aucune raison impérieuse me permettant d’exonérer M. Jones de payer les frais et indemnités que les témoins ont droits.

[18]  Comme le Tribunal l’a déjà écrit dans Duverger c. 2553-4330 Québec Inc (Aéropro) 2018 TCDP 5, au paragraphe 70 :

[…] Le stress, l’anxiété, les sommes à débourser, le temps, l’énergie, etc., sont des éléments que toutes les parties doivent assumer. Je concède qu’il s’agit des désagréments intrinsèques de la participation à des procédures judiciaires et quasi judiciaires.

[Le Tribunal souligne]

[19]  Il faut comprendre que les témoins, qui se voient dans l’obligation de comparaître aux audiences du Tribunal suivant une assignation à comparaître, peuvent également vivre des désagréments qui peuvent avoir des conséquences financières pour eux. Les témoins devront peut-être s’absenter du travail avec ou sans rémunération, s’absenter de l’école, engager des frais pour faire garder leurs enfants, engager des frais pour se déplacer ou trouver un moyen alternatif afin de se déplacer s’ils n’ont pas de voiture, etc. C’est entre autres ce que les frais et indemnités aux témoins tentent de pallier, disons-le, sans atteindre un remboursement parfait et total des frais qu’engendre une assignation à comparaître.

[20]  Pour ces raisons, je ne suis pas enclin à exonérer M. Jones de payer les frais et indemnités accordés aux témoins. Conséquemment, si le plaignant ne paie pas les frais et indemnités prévues dans la province de l’Ontario (voir paragraphe 11 de la présente décision à des fins de calculs), les témoins ne sont pas obligés de comparaître à l’audience, à moins qu’ils renoncent à recevoir ces frais et indemnités. À ce sujet, M. Jones pourrait contacter ses témoins potentiels et si ces derniers renoncent à leurs frais et indemnités, M. Jones aura tout le loisir de les appeler à témoigner à l’audience.

[21]  J’aimerais cependant faire les remarques suivantes et surtout, pour M. Jones. S’il ne peut appeler les 9 témoins en raison des frais et indemnités qu’il ne peut assumer, le Tribunal l’invite à réévaluer son dossier et, si possible, ne sélectionner que les témoins clés dont le témoignage est nécessaire afin d’appuyer les éléments de son dossier. Cela pourrait potentiellement réduire de manière significative les frais et indemnités qu’il devrait encourir.

[22]  Sans me positionner sur le fond du litige, je rappelle que le témoignage est un des moyens de preuve que peuvent utiliser les parties afin d’appuyer leurs prétentions. Les témoignages, bien que forts utiles dans certains cas, ne sont pas forcément nécessaires dans tous les dossiers. Autrement dit, les témoignages ne sont pas le seul moyen de preuve admissible à l’audience. Outre le fait que M. Jones pourra témoigner personnellement à l’audience, il aura également l’occasion de déposer de la preuve documentaire afin d’appuyer ses prétentions. C’est au regard de tous ces éléments de preuve déposés par chaque partie et admis à l’audience (témoignages, documents, etc.) que la décision du membre instructeur est rendue (voir notamment Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada, 2014 TCDP 2 aux paras. 58, 63, 69).

[23]  Il faut également garder à l’esprit que le Tribunal est un tribunal administratif quasi judiciaire. Il n’est pas une cour de justice à proprement parler. Ce faisant, il n’est pas nécessairement assujetti aux mêmes règles de preuve. Les règles sont moins formalistes, plus souples et il est reconnu que le membre instructeur jouit d’une grande discrétion en matière d’admissibilité de la preuve (alinéa 50(3)(c) de la LCDP; voir également Temple c. Horizon International Distributors, 2017 TCDP 30, aux paras. 34 et 35). Par exemple, le membre instructeur pourrait autoriser d’admettre une preuve par ouï-dire ou d’autoriser le dépôt de déclarations écrites non datées et non signées (voir notamment Constantinescu c. Service Correctionnel Canada, 2018 TCDP 8, au para. 12).

III.  Coordonnées des témoins

[24]  Comme M. Jones l’a indiqué dans sa demande du 3 avril 2018, il ne détient pas les coordonnées des témoins. En conséquence, il n’est pas en mesure de transmettre à ces témoins des assignations à comparaître.

[25]  Comme énoncé dans les représentations écrites de l’intimée, cette dernière possède les informations sur les témoins qui permettraient à M. Jones de leur faire parvenir les assignations à comparaître ainsi que les frais et indemnités auxquels ils ont droit. Il est clair pour moi que ces informations sont très importantes pour la présentation de la preuve du plaignant.

[26]  L’intimée a consenti à transmettre ces informations, mais demande au Tribunal d’ordonner au plaignant de conserver les informations personnelles concernant les témoins confidentielles et de ne pas utiliser ces informations à d’autres fins que de leur transmettre une assignation à comparaître. M. Jones consent à cette demande.

[27]  Considérant le consentement des parties à ce sujet, je suis effectivement en accord afin de protéger les coordonnées des témoins. Dans le cas en l’espèce, seules les coordonnées des potentiels témoins devront demeurer confidentielles. L’intérêt des personnes concernées l’emporte sur l’intérêt qu’a la société d’avoir accès à ce type d’informations qui, dans les faits, ne change en rien sur l’instruction puisque l’audience du Tribunal demeure entièrement publique.

[28]  Ainsi, j’ordonnerai à M. Jones de conserver les coordonnées des témoins, qui seront transmises par l’intimée, entièrement confidentielles. M. Jones pourra communiquer avec les potentiels témoins afin de les assigner à comparaître à l’audience du Tribunal. De plus, rien n’empêche M. Jones de contacter ses témoins potentiels afin de les préparer à l’audience. Une partie a le droit de comparaître pleinement et entièrement, ce qui inclut la possibilité de se préparer convenablement à l’audience. Communiquer avec les témoins et les préparer en vue de l’audience sont des démarches qui peuvent être nécessaires et utiles. Cela dit, outre les obligations découlant directement de l’assignation à comparaître, aucun témoin n’est obligé de collaborer avec la partie qui l’assigne dans la préparation de leur témoignage.

IV.  Ordonnance

[29]  Pour les motifs exposés précédemment,

1)  Je rejette la requête du plaignant en exonération des frais de témoins et indemnités.

2)  Je confirme que les frais des témoins et indemnités à payer se retrouvent au paragraphe 11 de la présente décision;

3)  J’affirme que les témoins ne sont pas obligés de comparaître à l’audience si les frais et indemnités ne leur sont pas transmis avec l’assignation, à moins qu’ils renoncent à recevoir lesdits frais et indemnités;

4)  J’ordonne à l’intimée à transmettre à M. Jones les coordonnées des 9 témoins potentiels et énumérés dans sa liste des témoins amendée, dans les 5 jours ouvrables suivant la communication de l’ordonnance;

5)  J’ordonne à M. Jones de conserver les coordonnées des témoins entièrement confidentielles.

Signée par

Gabriel Gaudreault

Membre du Tribunal

Ottawa, Ontario

Le 14 mai 2018

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T2185/0717

Intitulé de la cause : Glen Jones c. Nation Munsee-Delaware

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 14 mai 2018

Requête traitée par écrit sans comparutions des parties

Représentations écrites par:

Glen Jones, pour lui même

Brian T. Daly, pour l'intimée

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