Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2017 TCDP 12

Date : le 12 mai 2017

Numéro du dossier : T2162/3616

Entre :

Serge Lafrenière

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Via Rail Canada Inc.

l'intimée

Décision sur requête

Membre : Anie Perrault

 



I.  La plainte et la requête

[1]  Le 30 novembre 2012, Serge Lafrenière (le plaignant) a déposé une plainte en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP) contre Via Rail Canada Inc. (l’intimée).

[2]  Le 22 août 2016, la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission), après enquête, a renvoyé pour instruction au Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) la plainte déposée par le plaignant en vertu de l’article 7 de la LCDP.

[3]  Essentiellement, le plaignant soutient qu’il a été traité différemment et qu’il s’est vu injustement décerner des points de pénalité dans son dossier disciplinaire, le tout ayant mené à son congédiement le 5 octobre 2012.  Le motif de discrimination allégué dans ce dossier et retenu par le Tribunal est la déficience.

[4]  Le 30 mars 2017, le Tribunal a rendu la décision 2017 TCDP 9 sur une requête en radiation déposée par l’intimée.  Le Tribunal a demandé au plaignant, après avoir reçu un courriel de sa part pendant que la décision était toujours en délibéré, de déposer une requête en amendement de son exposé des précisions s’il le jugeait approprié.

[5]  Une requête en amendement a été déposée le 10 avril 2017 et les soumissions écrites de toutes les parties ont été reçues par le Tribunal le 27 avril 2017.

II.  Les questions en litige

[6]  Le Tribunal relève les questions suivantes suite au dépôt de la requête en amendement de l’exposé des précisions du plaignant :

  • a) Les faits soulevés par le plaignant dans sa requête justifient-ils un amendement de son exposé des précisions?

  • b) Quelles sont les règles entourant le dépôt de documents au soutien de l’exposé des précisions?

III.  Analyse

A.  Les faits soulevés par le plaignant dans sa requête justifient-ils un amendement de son exposé des précisions?

[7]  Il incombe au plaignant de convaincre le Tribunal que les faits nouveaux qu’il apporte à la connaissance du Tribunal serviront plus qu’à donner du contexte.  Pour ce faire, il doit formuler des allégations affirmant que les traitements inéquitables auxquels il fait référence sont fondés sur une déficience.

[8]  Le Tribunal rappelle ici la disposition de la LCDP invoquée en l’espèce :

7.  Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

(a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

(b) de le défavoriser en cours d’emploi.

[mes soulignés]

[9]  La nécessité de plaider un lien avec un motif de distinction illicite est donc prévue dans le libellé même de l’article 7 de la LCDP.

[10]  Il appert des soumissions écrites du plaignant que les faits nouveaux sont plutôt soulevés pour expliquer sa déficience ou donner du contexte.  Une fois de plus, le plaignant indique qu’il cherche à établir que sa déficience a été causée par des gestes répétés de l’intimée.

[11]  Le plaignant prétend dans sa requête en amendement être atteint de déficience depuis 2010.  Il joint à sa requête des documents au soutien de sa prétention.  Le Tribunal n’a pas d’objection à ce que sa période de déficience alléguée soit prolongée.  Par contre, le simple fait de plaider une période prolongée ne donne pas lieu à une allégation que les traitements inéquitables prétendument vécus par le plaignant pendant sa période de déficience l’aient été parce qu’il avait cette déficience.

[12]  Pour faire valoir une allégation d’acte discriminatoire au sens de la LCDP relative à un comportement ou une décision reprochés, le plaignant doit au moins indiquer dans son exposé des précisions que, selon lui, sa déficience a été un facteur dans la manifestation de ce comportement ou de cette décision. 

[13]  Le plaignant, aux paragraphes 15 et 16 de sa requête en amendement, ne fait pas ce lien.  Il prétend plutôt que les résultats du concours d’embauche sont peut-être une explication de sa condition : « le plaignant ne compte nullement tenter d’expliquer la cause de sa déficience en parlant de l’injustice qu’il a subie….après avoir entendu tous les préjudices que la plaignant a subis….cette conclusion sera évidente ».

[14]  Le fait d’affirmer que les comportements ou décisions reprochés se sont produits « durant la période de sa déficience » ne satisfait pas à l’exigence de formuler un lien entre le motif de distinction illicite et l’effet préjudiciable.  Donc, ces allégations (paras. 4 à 9 de l’exposé des précisions du plaignant) ne pourront que servir d’éléments contextuels.

[15]  Comme le Tribunal l’a mentionné dans sa décision du 30 mars 2017, ce qui est pertinent pour le Tribunal, c’est de déterminer si un motif de distinction illicite prévu par la LCDP, en l’occurrence ici la déficience, a été un facteur dans les décisions de mesures disciplinaires et de congédiement prises par l’intimée durant la période de déficience alléguée [mes soulignés] (Moore c. Colombie‑Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, para. 33).

[16]  En d’autres mots, les gestes posés à l’égard du plaignant pendant sa période de déficience alléguée ont-ils été discriminatoires parce qu’ils n’ont pas tenu compte de sa situation de déficience ou, alternativement, ont-ils été discriminatoires parce qu’ils véhiculaient des préjugés à l’égard de sa déficience?  Tout ce qui concerne la cause de cette déficience, telle que décrite par le plaignant, n’a pas de pertinence.

[17]   Ainsi, le plaignant n’a pas à faire la preuve de la cause de sa déficience au Tribunal.  Il doit par contre faire la preuve qu’il y avait effectivement déficience lorsque les gestes reprochés aux termes de la LCDP (mesures disciplinaires et congédiement) ont été posés.

[18]  Ainsi, la requête en amendement du plaignant n’en est pas vraiment une – le plaignant apporte plutôt un complément d’informations pouvant servir au contexte de la plainte et des prétentions du plaignant.

[19]  De plus, le plaignant débat de questions dans sa requête qui ne pourront être tranchées qu’après que toute la preuve ait été déposée et entendue lors de l’audience.  Le Tribunal ne s’engage pas, lorsque saisi d’une requête en amendement de l’exposé des  précisions, dans un examen de la vérité, la crédibilité ou l’exactitude des allégations qui sont effectuées.  Cette délibération aura lieu uniquement à la fin de l’instruction du dossier.

[20]  Le Tribunal est donc en accord avec la conclusion de l’intimée dans sa réponse à la requête en amendement du plaignant.  Il n’est pas suffisant pour le plaignant d’alléguer qu’il était atteint de déficience durant une certaine période pour que tous les gestes posés par l’intimée durant cette période soient discriminatoires.

B.  Quelles sont les règles entourant le dépôt de documents au soutien de l’exposé des précisions

[21]  Le plaignant a joint, en annexe de sa requête en amendement, des documents médicaux au soutien de ses prétentions, à savoir qu’il est atteint d’une déficience depuis au moins juin 2010.  L’intimée a  également déposé des documents dans sa réponse à la requête du plaignant, en joignant le relevé de présence de ce dernier.

[22]  Il est vrai que la règle 6(1)(d) des Règles de procédure du Tribunal porte possiblement à confusion, dans la mesure où elle exige que les parties indiquent les divers documents pertinents en leur possession.  

[23]  Cependant, la règle 6(4) précise que les documents identifiés conformément à la règle 6(1)(d) ne sont pas déposés au greffe [mes soulignés].  On veut plutôt que les documents soient fournis à toutes les parties impliquées au dossier (plaignant, intimée et Commission).  Ils ne doivent pas être déposés au Tribunal pendant la période de divulgation préalable à l’audience.

[24]  Le dépôt des documents en preuve (sous forme de pièces) se fait seulement lors de l’audience conformément à l’alinéa 50(3)(c), et aux paras. 50(4) et 50(5) de la LCDP.  

IV.  Conclusion

[25]  Pour toutes ces raisons, le Tribunal réitère les conclusions de sa décision du 31 mars 2017 sur la requête en radiation, et conclu que la requête en amendement du plaignant doit être rejetée. 

[26]  Les parties doivent se conformer aux conclusions du Tribunal.  Toute référence aux événements décrits aux paragraphes 4 à 9, 10 à 18 (excluant la partie portant sur le billet médical) et 39 à 53 de l’exposé des précisions du plaignant pourront servir de bases contextuelles uniquement lors de l’audience si le plaignant le désire et non avec l’objectif d’établir la responsabilité de l’intimée.

[27]  Les paragraphes 19 à 26 et 27 à 38, qui faisaient l’objet de la requête en radiation et qui portent sur une mesure disciplinaire ayant eu lieu pendant ou près de la période de déficience alléguée, de même que tous les autres paragraphes de l’exposé des précisions du plaignant qui ne faisaient pas l’objet de la requête en radiation, sont pertinents et seront entendus par le Tribunal, et le plaignant devra en faire preuve et l’intimée devra en faire contre-preuve.

[28]  Les documents médicaux joints en annexe à la requête en amendement par le plaignant, ainsi que le document joint en annexe par l’intimée dans sa réponse à la requête, peuvent être fournis aux autres parties, mais ils ne feront pas partie de la preuve au dossier à moins d’être présentés à l’audience et reçus par le membre instructeur en conformité avec l’alinéa 50(3)(c) de la LCDP.  Les autres parties auront alors l’occasion de s’objecter à leur recevabilité, s’il y a lieu.

Signée par

Anie Perrault

Membre du Tribunal

 

Ottawa, Ontario

Le 12 mai 2017

Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T2162/3616

Intitulé de la cause : Serge Lafrenière c. Via Rail Canada Inc.

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 12 mai 2017

Requête écrite décidée sans comparution des parties

Observations écrites :

Serge Lafrenière, pour lui-même

Jacques Rousse, avocat pour l'intimée

 

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