Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Tribunal's coat of arms

Canadian Human
Rights Tribunal

 

Référence : 2016 TCDP 1

Date : 11 janvier 2016

Nos des dossiers : T2003/0414 et T2004/0514

Entre :

Barbara Barrie

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Société canadienne des postes

- et -

Association des officiers des postes du Canada

les intimées

Décision sur requête

Membre instructeur : David L. Thomas

 



[1]  La présente décision concerne une requête déposée par Barbara Barrie (la plaignante) visant à obtenir une ordonnance de réouverture de la procédure relative à deux plaintes qui avaient été présentées au Tribunal. Mme Barrie était une employée de la Société canadienne des postes (la SCP) et elle avait déposé des plaintes en matière de droits de la personne contre la SCP et son syndicat, l’Association des officiers des postes du Canada (l’AOPC). En janvier 2015, Mme Barrie a participé à une séance de médiation conduite par un membre du Tribunal. Elle a accepté une offre des intimées, et le procès‑verbal de règlement a été approuvé en temps opportun par la Commission canadienne des droits de la personne (la CCDP ou la Commission), aux termes de l’article 48 de la Loi canadienne des droits de la personne (LCDP). Après avoir reçu l’avis de la CCDP selon lequel elle avait approuvé le procès-verbal de règlement, le Tribunal a clos ses dossiers.

[2]  Mme Barrie agit pour son propre compte, et sa requête n’est pas aussi claire qu’elle pourrait l’être en ce qui a trait à la réparation demandée. Dans la requête, elle demande d’être [traduction] « libérée de la responsabilité découlant de l’entente de règlement ‘’obligatoire’’ [...] »; elle demande en outre une ordonnance de compensation pécuniaire semblable à la demande formulée dans son exposé des précisions. Je comprends qu’il s’agit d’une demande voulant que le Tribunal en arrive à la conclusion que le règlement soit considéré comme étant nul et non avenu, au vu des circonstances entourant sa négociation, qui sont expliquées dans sa requête, et que l’affaire donne lieu à une instruction.

[3]  Dans sa réplique aux observations des autres parties, Mme Barrie semble modifier sa requête en demandant, à titre subsidiaire, que les parties soient tenues de retourner en médiation pour renégocier :

[traduction]

Compte tenu de la jurisprudence établie dans Cawson c. Air Canada, sur laquelle se fondent les intimées, si le Tribunal n’a pas compétence pour annuler le procès‑verbal de règlement signé, il devrait avoir compétence pour renvoyer les parties en médiation afin de renégocier les questions en litige.

[4]  Pour les motifs exposés ci-dessous, le Tribunal rejette la requête visant la réouverture du dossier.

I.  La confidentialité

[5]  Le Tribunal ne peut admettre en preuve des renseignements confidentiels en raison du paragraphe 50(4) de la LCDP. Le Tribunal reconnaît que le privilège relatif aux règlements protège généralement contre la divulgation et rend inadmissibles les modalités du règlement. Toutefois, dans la présente décision, le Tribunal devra tenir compte d’une modalité en particulier du procès‑verbal de règlement qui a été formulée dans la réplique de Mme Barrie. Cette dernière a divulgué ce qui semble être une modalité type utilisée normalement dans le modèle relatif au procès‑verbal de règlement. Étant donné que la requête de la plaignante contestait le bien‑fondé d’un règlement final, et l’existence ou la portée de celui-ci, le Tribunal a accepté et examiné le texte de cette modalité type, de même que d’autres éléments d’information au sujet du processus de règlement, conformément aux exceptions au privilège relatif aux règlements (Sable Offshore Energy Inc. c. Ameron International Corp., 2013 CSC 37, au paragraphe 19; Union Carbide Canada Inc. c. Bombardier Inc., 2014 CSC 35, au paragraphe 35.) La modalité type de même que certains autres faits relatifs au processus de règlement seront également abordés dans la présente décision.

[6]  Outre ce qui précède, la Commission, l’AOPC et la SCP ont toutes demandé que le Tribunal rende une ordonnance de confidentialité à l’égard des autres modalités du procès‑verbal de règlement, et je constate que la médiation elle‑même était régie par un accord de confidentialité auquel ont accepté d’être liées toutes les parties. Ainsi, en ce qui a trait à tous les documents déposés par suite de la requête de Mme Barrie, le Tribunal ordonne, conformément à l’article 52 de la LCDP, qu’ils soient traités de façon confidentielle et il ordonne que les parties ne divulguent pas les documents déposés ou reçus par suite de la requête de Mme Barrie, sauf dans le cas d’une demande de contrôle judiciaire en vertu de la Loi sur les Cours fédérales.


 

II.  Le contexte

[7]  Les plaintes en l’espèce ont été déposées par la plaignante auprès de la Commission, le 29 avril 2013. Le 26 mars 2014, conformément à l’alinéa 44(3)a) de la LCDP, la Commission a demandé au président du Tribunal de désigner un membre pour instruire les plaintes. La première plainte vise la SCP; elle est fondée sur l’âge, et elle allègue une discrimination suivant les articles 7 et 10 de la LCDP. La seconde plainte vise l’AOPC; elle est fondée sur l’âge, et elle allègue une discrimination suivant les articles 9 et 10 de la LCDP. La Commission a demandé une instruction commune pour les deux plaintes.

[8]  Les parties ont finalement convenu d’une séance de médiation volontaire menée par un membre du Tribunal. Lors de la séance de médiation, Mme Barrie a accepté une offre des intimées. Un procès‑verbal de règlement a été rédigé et il a été signé par Mme Barrie et les intimées. Conformément au paragraphe 48(1) de la LCDP, des copies du procès‑verbal de règlement ont été transmises à la CCDP aux fins d’approbation ou de rejet.

[9]  Étant donné que Mme Barrie n’était pas représentée par un avocat à la séance de médiation, elle s’est vu accorder un délai de [traduction] « réflexion » de sept jours pour réfléchir à l’entente. Il s’agit d’une pratique tout à fait normale pour le Tribunal de permettre aux parties non représentées de bénéficier de cette période afin d’examiner attentivement l’entente de règlement et d’obtenir des conseils juridiques si elles décident de le faire. Les parties non représentées peuvent retirer leur consentement à l’entente de règlement jusqu’à l’échéance du délai de sept jours. En l’espèce, Mme Barrie a profité du délai pour poser d’autres questions aux intimées et la SCP lui a répondu. Le 23 janvier 2015, soit sept jours après la séance de médiation, Mme Barrie a avisé les parties qu’elle consentait toujours au procès‑verbal du règlement.

[10]  Le ou vers le 9 février 2015, Mme Barrie a avisé la Commission qu’elle avait changé d’idée et qu’elle n’approuvait plus l’entente exposée dans le procès‑verbal. L’avocat de la Commission a avisé les autres parties que Mme Barrie avait changé d’idée.

[11]  Le 17 mars 2015, le Tribunal a tenu une conférence téléphonique de gestion de l’instance avec toutes les parties. Lors de cette conférence téléphonique, l’avocat de la Commission a informé les autres parties que le procès‑verbal de règlement avait été communiqué au président par intérim de la CCDP aux fins d’approbation ou de rejet, mais qu’il (l’avocat de la Commission) avait retiré depuis le procès‑verbal qui ne fera pas l’objet d’un examen, après avoir appris que Mme Barrie avait changé d’idée.

[12]  Dans une lettre datée du 27 mars 2015, l’avocat de la Commission a proposé aux intimées de présenter leurs positions respectives, à savoir si les modalités du règlement devaient être soumises à l’approbation de la Commission, étant donné le retrait de l’entente de Mme Barrie. Les intimées ont rejeté l’invitation à présenter des observations et ont insisté pour que le procès‑verbal de règlement soit soumis aussitôt à l’approbation du président par intérim.

[13]  Dans une lettre datée du 7 juillet 2015, l’avocat de la Commission a avisé le Tribunal que le 6 mai 2015, la Commission avait approuvé le procès‑verbal de règlement et que les parties en avaient été informées le 20 mai 2015. Par la suite, selon sa pratique habituelle, le Tribunal a clos son dossier, et les parties en ont été informées par écrit, le 27 juillet 2015. Le 10 août 2015, la plaignante a déposé la présente requête.

III.  Les questions en litige

  1. Le tribunal a‑t‑il compétence pour trancher un différend relatif à l’entente de règlement qui a été approuvée par la Commission au titre de l’article 48 de la LCDP?

  2. Si le tribunal a compétence, Mme Barrie a‑t‑elle démontré que le procès‑verbal de règlement devait être considéré comme étant nul et non avenu, au motif que, selon ses observations :

  • a) elle avait agi sous la contrainte;

  • b) les intimées avaient présenté de manière inexacte les faits et avaient négocié de mauvaise foi dans le cadre de la médiation;

  • c) elle avait avisé les autres parties qu’elle avait changé d’idée 23 jours seulement après la signature du procès‑verbal de règlement.

IV.  Analyse

A.  La compétence

[14]  Puisque la compétence du Tribunal a été remise en question dans les observations de la Commission, de la SCP et de l’AOPC, j’aborderai d’abord cette question. La Commission et les intimées ont toutes fait valoir que le Tribunal n’avait pas compétence pour rouvrir les plaintes de Mme Barrie en se fondant sur la récente décision du Tribunal dans l’affaire Cawson c. Air Canada, 2015 TCDP 17. Dans cette affaire, le plaignant avait demandé la réouverture d’un dossier de plainte qui avait été réglé quelque temps auparavant au moyen du processus de médiation du Tribunal.

[15]  Bien que le Tribunal ne dispose pas d’un mandat statutaire explicite de recourir à la médiation, une médiation est proposée aux parties sur une base volontaire en vue de les aider à trouver une conclusion mutuellement satisfaisante à l’affaire; la médiation constitue par ailleurs une solution de rechange au processus d’audience généralement plus long, plus coûteux et plus formel. Pour guider le processus de médiation, le Tribunal demande à toutes les parties de signer une entente de médiation avant le début de la séance de médiation et les parties non représentées sont également informées de la règle relative à la période de réflexion de sept jours.

[16]  La LCDP tient compte expressément de la possibilité de parvenir à un règlement avant le début d’une audience du Tribunal :

48. (1) Les parties qui conviennent d’un règlement à toute étape postérieure au dépôt de la plainte, mais avant le début de l’audience d’un tribunal des droits de la personne, en présentent les conditions à l’approbation de la Commission.

(2) Dans le cas prévu au paragraphe (1), la Commission certifie sa décision et la communique aux parties.

(3) Le règlement approuvé par la Commission peut, par requête d’une partie ou de la Commission à la Cour fédérale, être assimilé à une ordonnance de cette juridiction et être exécuté comme telle.

[17]  Le Tribunal a tenu compte de l’article 48 dans l’affaire Powell c. United Parcel Service Canada Ltd., 2008 TCDP 43, où l’intimée soutenait que le Tribunal devrait clore son dossier parce que, à son avis, un règlement avait été conclu. Dans cette affaire, le Tribunal a examiné de quelle façon l’article 48 influait sur l’instruction du Tribunal. Au paragraphe 10, il a fait observer ce qui suit :

Rien n’indique que la Commission a expressément ou tacitement approuvé le prétendu règlement conclu entre Mme Powell et UPS. À défaut de cette approbation, on ne peut pas affirmer qu’il existe un règlement qui met fin à l’enquête du Tribunal sur la plainte.

[18]  Dans l’affaire Cawson, le Tribunal avait déjà été avisé de l’approbation par la Commission du règlement conclu entre les parties. Au paragraphe 24 de l’affaire, le vice‑président Gupta a ainsi élargi le sens de l’article 48 :

[traduction]

Sous le régime de l’article 48 de la LCDP, la décision de la Commission d’approuver les modalités d’un règlement a pour effet de mettre un terme à la plainte en matière des droits de la personne et, par conséquent, à la compétence du Tribunal en l’espèce. Il s’agit également d’une décision qui est susceptible de contrôle judiciaire (voir, par exemple, Johnson c. Canada (Procureur général), 2007 CF 1021). Le paragraphe 48(3) permet en outre à la Cour fédérale de régler les différends sur des ententes de règlement qui ont été approuvées par la Commission. Par conséquent, à mon avis, une fois qu’une entente de règlement a été approuvée par la Commission, le Tribunal n’a plus compétence pour régler la plainte en matière de droits de la personne qui fait l’objet du règlement; il n’a pas non plus compétence pour régler les différends liés à cette entente de règlement.

[19]  Il est raisonnable pour les parties de compter sur le caractère définitif d’une entente de règlement conclue. S’il ne pouvait y avoir aucune garantie du caractère définitif, les parties ne seraient pas incitées à prendre part au processus de médiation. Je souscris également à la conclusion du Tribunal dans l’affaire Cawson, à savoir qu’une fois que la Commission a approuvé le règlement au titre de l’article 48 de la LCDP, le Tribunal n’a plus compétence pour entendre la plainte. Bien que je ne m’appuie pas sur la récente décision de la Cour fédérale dans l’affaire Rameau c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1180, je tiens à souligner que la conclusion susmentionnée est conforme à cette décision.

[20]  La question du caractère définitif et le rôle du Tribunal à cet égard sont malheureusement formulés d’une manière quelque peu ambiguë dans le contexte du paragraphe 9 du procès‑verbal de règlement signé par Mme Barrie et les intimées. Dans sa réplique aux observations de la Commission et des intimées au sujet de sa requête, Mme Barrie a communiqué une partie de ce paragraphe. Selon sa réplique, elle estime que le paragraphe 9 lui donne [traduction] « le droit de rouvrir l’entente ou de recourir à nouveau à la médiation ». Elle soutient que, si le Tribunal n’a pas compétence pour annuler le procès‑verbal de règlement, il a compétence pour renvoyer les parties en médiation afin de négocier les questions en litige.

[21]  Dans un souci de clarté, l'avocat de la SCP a communiqué intégralement le paragraphe que j’ai reproduit ci‑dessous. Comme je l’ai déjà dit, j’ai admis et accepté cette information conformément aux exceptions au privilège relatif aux règlements; il s’agit de la seule disposition du procès‑verbal de règlement qui n’est pas régie par l’ordonnance de confidentialité prévue à l’article 52 en ce qui concerne les modalités du règlement. Le paragraphe 9 est ainsi libellé :

[traduction]

9. Une fois que le règlement a été approuvé par la Commission, dans le cas d’un désaccord relativement à l’application appropriée de l’une ou de plusieurs des modalités de l’entente, les parties conviennent de reprendre la médiation pour renégocier les questions en litige. Elles conviennent en outre que les modifications seront soumises à l’approbation de la Commission conformément à l’article 48 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, et ces modifications seront susceptibles d’exécution à la Cour fédérale, de la même manière que l’entente initiale.

[22]  Le Tribunal n’est jamais une partie au procès‑verbal de règlement signé à l’une de ses séances de médiation. En outre, les membres du Tribunal ne sont pas du tout tenus de participer à la rédaction de ce procès‑verbal. Ils ne demandent ni ne conservent une copie de celui‑ci.

[23]  La disponibilité des services de médiation fournis par les médiateurs qui sont membres du TCDP est une question relevant du rôle de gestionnaire et de décideur du président du TCDP (voir le paragraphe 48.4(2) de la LCDP; TCDP, Rapport annuel 2000, p. 2, 3 et 5). Les documents explicatifs du Tribunal qui détaillent les procédures de médiation indiquent que, si une entente est conclue lors de la séance de médiation et qu’elle est approuvée par la Commission, « il est mis fin à l’instance » (Voir TCDP, Procédures de médiation évaluative, 10 décembre 2010, p. 9; TCDP, Guide explicatif du Tribunal canadien des droits de la personne, p. 21 [1] ).

[24]  En outre, à deux reprises (affaires Powell et Cawson), le Tribunal a fait observer que l’approbation d'un règlement au titre de l'article 48 prive le Tribunal de sa compétence pour instruire une plainte. Compte tenu de ce qui précède, l’ajout d’une clause [traduction] « retour en médiation », comme le paragraphe 9 ci‑dessus, pourrait poser des problèmes. Dans la mesure où il suggère aux parties qu’une médiation ultérieure tenue par un membre du Tribunal est offerte indéfiniment pour régler tout litige ultérieur dans l’affaire qui découle du règlement, une telle clause ne tient pas entièrement compte du rôle et des responsabilités du président du TCDP ainsi que des procédures de médiation ou de la jurisprudence du Tribunal. Pour tous les motifs ci‑dessus, je conclus que le paragraphe 9 du procès-verbal de règlement ne donne pas le droit à Mme Barry de rouvrir l’entente ou de recourir à nouveau à la médiation.

B.  Le procès‑verbal de règlement est‑il nul et non avenu?

[25]  Après avoir déterminé qu’il n’avait pas compétence, le Tribunal n’est pas tenu d’examiner la deuxième question relative à la nullité des contrats en cas de contrainte, de fausses déclarations, de mauvaise foi et de retrait rapide d’un consentement. Néanmoins, les allégations seront examinées ci‑après dans l’éventualité où il serait déterminé que le Tribunal a compétence pour examiner le bien‑fondé de la requête.

(i)  La contrainte

[26]  Mme Barrie a allégué que les renseignements erronés lui donnaient la nette impression qu’il n’y avait pas d’autre [traduction] « solution réaliste » et qu’elle devait donc renoncer à sa plainte et signer l’entente de règlement. Elle voyait ces renseignements erronés comme un [traduction] « genre de contrainte ». Le seuil, sur le plan juridique, pour l’établissement de la contrainte a été fixé par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Taber c. Paris Boutique & Bridal Inc., 2010 ONCA 57, aux paragraphes 8 et 9 :

[traduction]

Il ne fait aucun doute que les contraintes économiques peuvent servir à rendre une entente inopposable à une partie qui a été tenue par la contrainte d’y souscrire. Il ne fait non plus aucun doute que la partie peut faire déclarer l’entente nulle.

Toutefois, ce ne sont pas toutes les formes de pression, économique ou autre, qui constituent de la contrainte à un degré tel que cela entraîne des conséquences sur le plan juridique. Deux éléments doivent être présents : ce doit être une forme de pression que la loi considère comme illégale, et elle doit être exercée au point qu’elle équivaut à une [traduction] « coercition exercée sur la volonté » de la partie qui invoque ce concept []

[27]  Mme Barrie n’a allégué aucun fait à l’appui de son affirmation générale, à savoir qu’elle avait été forcée d’agir contre sa volonté lors de la médiation. Selon les observations de la SCP, les parties ont été dans des pièces séparées tout au long de la séance de médiation. En outre, et sans doute le point le plus important, Mme Barrie a bénéficié d’un délai de sept jours au cours duquel elle a pu réfléchir à sa décision de régler l’affaire lors de la séance de médiation. Même si elle se sentait soumise à des pressions au moment de la séance, elle aurait eu suffisamment de temps dans les jours suivants pour réfléchir à la question de savoir si oui ou non elle souhaitait vraiment régler l’affaire. C’est pourquoi je ne peux conclure que Mme Barrie satisfait au critère énoncé dans l’arrêt Taber, précité.

[28]  En outre, Mme Barrie a affirmé qu’il n’y avait pas d’autre [traduction] « solution réaliste », si ce n’est celle de renoncer à sa plainte et de signer le procès-verbal de règlement. Elle semble se fonder sur un commentaire prétendu du médiateur, selon lequel il n’y aurait aucune garantie quant à l’issue de l’enquête du Tribunal si l’affaire devait être instruite. Toutefois, Mme Barrie ne va pas jusqu’à dire que le médiateur l’avait avisée qu’elle obtiendrait moins que ce qui lui était offert par voie de médiation. Les membres du Tribunal se font parfois demander une évaluation des perspectives d’une partie, si la médiation devait échouer et que l’affaire doit faire l’objet d’une audience. Il est implicite, bien que ce ne soit pas mentionné de façon explicite toutes les fois par le membre, que son évaluation est hypothétique et ne garantit pas l’issue de l’instruction. En effet, en l’espèce, Mme Barrie n’insinue pas qu’un résultat précis avait été prédit, mais simplement que rien ne pouvait être garanti. Dans ce contexte, je ne souscris pas à son affirmation selon laquelle il n’y avait pas d’autre solution réaliste. Elle aurait pu tout simplement décliner l'offre et faire entendre sa plainte dans le cadre d’une audience devant le TCDP.

(ii)  Les fausses déclarations/la mauvaise foi

[29]  Mme Barrie allègue que les intimées ne lui ont pas dit [traduction] « toute la vérité » à la séance de médiation et qu’ainsi, elles ont présenté de manière inexacte les faits et négocié de mauvaise foi. Elle fait référence à la décision rendue par le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario dans l’affaire Wedderburn c. Air Liquide Canada, 2010 HRTO 691, pour soutenir la prémisse selon laquelle un contrat peut être annulé lorsqu’une partie a délibérément trompé l’autre pour l’inciter à conclure l’entente.

[30]  Les intimées font également référence à l’affaire Wedderburn, parce que celle‑ci est fondée sur le jugement de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt 1018429 Ontario Inc. c. Fea Investments Ltd., 1999 CanLII 1741 (CA ON). Dans cet arrêt, la Cour d'appel s’est penchée sur la question de l’assertion frauduleuse et inexacte et, au paragraphe 51, elle fait référence à l’explication de cette notion donnée par le professeur Friedman dans The Law of Contract in Canada, 3e éd. (Toronto : Carswell, 1994) à la page 294 :

[traduction]

Une assertion frauduleuse et inexacte est celle qui est faite en sachant qu’elle est fausse et dans l’intention de tromper. Elle peut même faire partie d’une disposition du contrat. Que ce soit le cas ou non est sans importance, puisque la fraude a des répercussions sur le droit contractuel et le droit de la responsabilité délictuelle. Le contrat dont la conclusion résulte d’une fausse représentation frauduleuse peut être annulé par la victime de la fraude. Dans un tel cas, le consentement apparent de la partie innocente n’est pas un consentement véritable. Il importe peu que la conséquence d’une telle fraude soit d’entraîner ou non une erreur (ce qui pourrait entraîner la nullité du contrat), le consentement de la victime de la fraude peut être révoqué si elle le désire.

[31]  Dans cette affaire, la question en litige était de savoir si une clause de non‑responsabilité inexacte dans un contrat pouvait exempter une partie du versement de dommages‑intérêts pour assertion frauduleuse et inexacte. Cela ne constitue pas la principale préoccupation en l’espèce, cependant, à la page suivante de son texte, soit à la page 295, le professeur Fridman donne une explication précise d’une assertion frauduleuse et inexacte en énonçant ses éléments essentiels :

[traduction]

Une allégation mensongère est une déclaration de fait formulée sans que l’intéressé croit à sa véracité, de sorte que cette assertion incite son interlocuteur à s'y fier pour agir en conséquence, et amène effectivement cet interlocuteur à agir en conséquence. Dans l’affaire United Shoe Machinery Co. c. Brunet (1909 A.C. 330 (P.C.)), les défendeurs voulaient invoquer comme moyen de défense l’assertion frauduleuse et inexacte en vue d’une action en injonction et en dommages‑intérêts fondée sur un contrat aux termes duquel les demandeurs avaient loué aux défendeurs des machines pour exécuter un certain procédé lors de la fabrication de chaussures. En fait, le Conseil privé a estimé que les défendeurs ne pouvaient pas invoquer ce moyen de défense, parce qu’ils avaient adopté et confirmé le contrat en dépit d’assertions frauduleuses et inexactes. En concluant qu’une défense avait été établie et qu’elle aurait fonctionné n’eût été du comportement ultérieur des défendeurs, Lord Atkinson a indiqué clairement que, pour démontrer un cas d’assertions frauduleuses ou fausses et inexactes, il fallait établir ce qui suit : 1) que les déclarations faisant l’objet de plainte ont été faites par l’auteur de tort à l’intention de la victime; 2) que ces déclarations étaient fausses en fait; 3) que l’auteur du tort, lorsqu’il les a faites, savait qu’elles étaient fausses ou qu’elles avaient été faites avec insouciance, sans savoir si elles étaient vraies ou fausses; 4) que la victime avait été, de ce fait, incitée à la passation du contrat en question.

Voir aussi : Westwood Shipping Lines Inc. c. Geo International Inc., 1999 CanLII 7652 (CF), au paragraphe 10).

[32]  Je conclus que le critère en quatre points de Lord Atkinson peut être utile en l’espèce. En ce qui concerne la deuxième condition du critère, les intimées ont fait valoir que l’information contestée était un exposé de leur position juridique, et non une affirmation. Cependant, je ne suis pas tenu d’aborder cette question, ni la troisième ou la quatrième condition énoncée dans le critère.

[33]  Cet argument n’est pas retenu, parce que Mme Barrie ne prétend pas que la fausse information alléguée lui a été effectivement communiquée par les intimées. Selon les observations de celles‑ci, les parties n’étaient pas dans la même pièce lors de la séance de médiation et, apparemment, elles ne se sont pas parlé directement. Mme Barrie prétend que les intimées ont communiqué certains renseignements erronés au médiateur du Tribunal qui les lui a ensuite relayés, amenant ainsi la plaignante à donner son consentement. Il ne fait aucun doute qu’il n’y a pas eu de communication directe entre Mme Barrie et les intimées au cours de la médiation. Celles‑ci nient avoir fait la déclaration en question, et Mme Barrie n’a pas personnellement entendu dire qu’elles l’avaient vraiment faite. En outre, il se peut bien qu’il y ait eu une erreur ou un malentendu dans la transmission verbale de l’information par le médiateur. Les faits allégués par Mme Barrie ne peuvent pas étayer une conclusion d’assertion frauduleuse et inexacte selon le critère de Lord Atkinson.

(iii)  Le retrait rapide

[34]  En relisant l’exposé des précisions de l'AOPC, le ou vers le 9 février 2015, Mme Barrie s’est rendu compte que, lors de la séance de médiation, elle en était venue à croire à un état de fait qui n’était peut-être pas vrai. Elle a aussitôt communiqué avec la Commission pour retirer son consentement aux modalités de l’entente de règlement.

[35]  Le 23 janvier 2015 était la date limite qui lui permettait de retirer son consentement. Mme Barrie était bien informée de la date limite et avait utilisé le délai de réflexion de sept jours pour poser d’autres questions aux intimées. Le septième jour suivant la séance de médiation, elle a avisé toutes les parties qu’elle souscrivait au procès‑verbal de règlement signé à la séance de médiation.

[36]  Il est regrettable que Mme Barrie n’ait pas complètement assimilé les renseignements contenus dans l’exposé des précisions de l’AOPC avant le 9 février 2015. Si elle s’en était rendu compte plus tôt, elle aurait très bien pu retirer son consentement aux modalités du règlement ou ne pas accepter d’entrée de jeu le règlement. Toutefois, le fait qu’elle a demandé un retrait immédiatement après avoir déclaré qu’elle avait changé d’idée ne constitue pas un motif d’annulation du procès‑verbal de règlement.

[37]  Le caractère définitif est l’une des garanties essentielles d’un règlement obtenu par voie de médiation. Les parties ont été clairement avisées du délai de réflexion de sept jours, et Mme Barrie ne le conteste pas. Si le Tribunal devait ne pas tenir compte du caractère péremptoire du délai de réflexion de sept jours pour les motifs invoqués dans ce cas‑ci, l’intégrité de son processus de médiation au complet serait remise en question.

V.  Décision

[38]  Pour les motifs exposés, le Tribunal rejette la requête.

Signé par

David L. Thomas

Président du Tribunal

Ottawa (Ontario)

11 janvier 2016



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