Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Titre : Les armoiries du Tribunal - Description : Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2015 TCDP 22

Date : le 13 novembre 2015

Numéro du dossier : T1471/1710

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Jonathan Wheatcroft

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Agence canadienne du développement international

l'intimée

Décision sur requête

Membre : George E. Ulyatt

 


[1]  L’intimé a présenté une requête afin d’obtenir ce qui suit :

  1. Le rejet de la plainte sommairement étant donné qu’elle n’a pas dévoilé une véritable question nécessitant la tenue d’un procès ou d’une audience conformément au pouvoir général prévu à l’alinéa 3(2)d) des Règles;

  2. Subsidiairement, l’intimé soutient ce qui suit :

  • Tout d’abord, le Tribunal devrait admettre en preuve, en l’espèce, tous les éléments de preuve déposés devant le Tribunal dans l’affaire Cruden, y compris les transcriptions des témoignages tirés de l’audition de l’affaire Cruden, pour éviter d’avoir à appeler les mêmes témoins afin qu’ils fournissent les mêmes témoignages une deuxième fois.

  • Deuxièmement, le Tribunal devrait ordonner à M. Wheatcroft d’indiquer l’argument précis qu’il a l’intention de faire valoir et qui n’a pas été tranché dans l’affaire Cruden ainsi que les éléments de preuve sur lesquels il a l’intention de se fonder.

  • Troisièmement, le Tribunal devrait restreindre la portée de l’audience de M. Wheatcroft afin d’examiner les nouvelles questions soulevées par M. Wheatcroft et non celles déjà tranchées dans l’affaire Cruden.

[2]  L’intimé présente la requête sans l’appui d’éléments de preuve. L’intimé a choisi de se fonder sur la plainte et sur les détails de l’instruction par le Tribunal dans l’affaire Cruden c. Agence canadienne de développement international et Santé Canada T1466/1210 (ci-après appelée « Cruden »), les décisions du Tribunal dans l’affaire Cruden dont les références neutres sont 2010 TCDP 32 (requête en jonction des causes Cruden et Wheatcroft) et 2011 TCDP 13 (décision en matière de responsabilité), le jugement de la Cour fédérale annulant la décision en matière de responsabilité, Canada (Procureur général) c. Cruden 2013 CF 520, et l’arrêt de la Cour d’appel fédérale rejetant l’appel, 2014 CAF 131.

[3]  L’intimé soutient que l’affaire Cruden et la présente affaire ont des similitudes, étant donné que les deux ont trait au même acte discriminatoire allégué par l’ACDI, relativement auquel les deux personnes ont présenté leur candidature pour une affectation en Afghanistan dans le cadre de l’examen d’affectation à l’étranger de 2008 de l’ACDI. Initialement, l’intimé voulait joindre la présente plainte à la plainte Cruden. La membre instructrice Marchildon a refusé de joindre les plaintes (voir 2010 TCDP 32). Par conséquent, l’affaire Cruden a été entendue devant le Tribunal, la Cour fédérale et finalement la Cour d’appel fédérale.

[4]  Dans l’affaire Cruden, le Tribunal a, après avoir entendu beaucoup d’éléments de preuve, conclu que le fait d’exiger de l’ACDI qu’elle affecte Mme Cruden en Afghanistan causerait une contrainte excessive en raison de son état de santé (elle souffre de diabète de type 1) et il a décrit longuement les problèmes de santé de Mme Cruden, les conditions de travail proposées et les limites quant aux services de livraison de médicaments aux personnes en Afghanistan.

[5]  L’intimé soutient que le Tribunal, la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont déjà discuté du fait que les personnes souffrant de diabète de type 1 ne doivent pas être affectées dans une zone de guerre, et il ajoute qu’il n’y a pas de [traduction]« véritable question litigieuse devant être tranchée par le présent Tribunal que le plaignant puisse établir l’existence d’une preuve prima facie de discrimination ou non, étant donné qu’il existe une exigence professionnelle justifiée de ne pas affecter des personnes souffrant de diabète de type 1 en Afghanistan étant donné les risques inhérents aux problèmes de santé ».

[6]  L’intimé, à l’appui de sa position en faveur d’un jugement sommaire, se fonde sur l’arrêt Hryniak c. Mauldin 2014 CSC 7, dans lequel la Cour affirme ce qui suit au paragraphe 5 :

« … les règles régissant les jugements sommaires doivent recevoir une interprétation large et propice à la proportionnalité et à l’accès équitable à un règlement abordable, expéditif et juste des demandes. »

[7]  Le plaignant conteste la position de l’intimé.

[8]  Dans son mémoire, le plaignant a examiné en profondeur son engagement envers l’ACDI à divers endroits dans le monde, dans différents postes et les différences entre lui et Mme Cruden quant aux problèmes de santé. Le plaignant soutient que l’intimé a mal interprété l’affaire Cruden et qu’il a négligé d’observer les principes fondamentaux des droits de la personne et de l’équité procédurale.

[9]  Le plaignant a distingué longuement les circonstances de la présente plainte de celles de l’affaire Cruden. Le plaignant a essentiellement soutenu que pour être en mesure d’établir l’existence d’une exigence professionnelle justifiée (EPJ) qui justifierait une norme discriminatoire à première vue en milieu de travail, l’intimé doit établir ce qui suit :

A.  qu’il a adopté la norme dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause;

B.  qu’il l’a fait en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail;

C.  que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail de sorte qu’il est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans que l’employeur subisse une contrainte excessive.

Ce sont là les éléments du critère d’EPJ que la Cour suprême du Canada a formulé dans l’arrêt Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 RCS 3 (« Meiorin »), au par. 54.

[10]  Au par. 62 de l’arrêt Meiorin, la Cour a donné des précisions sur le troisième élément, concluant ce qui suit :

« cette norme doit tenir compte de facteurs concernant les capacités uniques ainsi que la valeur et la dignité inhérentes de chaque personne, dans la mesure où cela n’impose aucune contrainte excessive. » [soulignement ajouté]

[11]  Au paragraphe 27 de ses observations écrites, le plaignant a fait valoir que la Cour suprême a jugé qu’une interdiction générale ne pouvait être justifiée que dans l’un ou l’autre des cas suivants :

[traduction]« 1.  Aucune personne atteinte de la maladie ne pourrait jamais faire l’objet de [mesures d’accommodement relativement à la tâche] sans créer un niveau de risque inacceptable;

2.  Par ailleurs, il a été soutenu que l’intimé doit faire la preuve que les essais pour les personnes exceptionnelles qui peuvent faire l’objet de [mesures d’accommodement relativement à la tâche] de façon sécuritaire malgré leur déficience sont impossibles sous réserve d’une contrainte excessive. »

[12]  Les observations qui précèdent insistent sur le fait qu’il faut examiner les besoins d’une personne, plutôt que les demandeurs en général.

[13]  Lorsqu’elle s’oppose à la requête en jugement sommaire, la Commission soutient ce qui suit :

  1. l’état de santé de M. Wheatcroft n’est pas le même que celui de Mme Cruden, et la décision prise dans le cas de Mme Cruden repose sur un ensemble de circonstances uniques.

  2. la décision dans l’affaire Cruden était fondée sur des conclusions de faits pour lesquelles il serait injustifié d’extrapoler dans le cas de M. Wheatcroft.

  3. la requête de l’intimé serait contraire à la jurisprudence du Tribunal.

  4. la présente requête en jugement sommaire est unique et l’intimé n’a pas suivi ce qui serait une procédure normale incluant des preuves qu’il n’y a pas de véritable question litigieuse.

I.  Analyse

[14]  La Loi canadienne sur les droits de la personne (appelée ci-après la Loi) énonce, au par. 50(1), que « le membre instructeur […] instruit la plainte pour laquelle il a été désigné; donne à ceux-ci la possibilité pleine et entière de comparaître et de présenter, en personne ou par l’intermédiaire d’un avocat, des éléments de preuve ainsi que leurs observations », et les Règles de procédure du Tribunal canadien des droits de la personne ont été adoptées pour s’assurer « que toutes les parties à une instruction aient la possibilité pleine et entière de se faire entendre. » (alinéa 1(1)a) des Règles)

[15]  L’intimé soutient que l’affaire en cause peut être instruite sommairement et rapidement.

[16]  Il s’agit d’une requête inusitée étant donné que le Tribunal ne dispose d’aucune preuve. L’intimé, la partie qui présente la requête, n’a présenté aucune preuve et se fonde essentiellement sur les décisions rendues dans l’affaire Cruden, aux différents paliers. L’intimé soutient que les conclusions tirées dans l’affaire Cruden et les détails en l’espèce sont à ce point semblables que même si le plaignant établissait une preuve prima facie de discrimination, il n’y aurait pas de véritable question litigieuse.

[17]  L’essentiel de l’argument de l’intimé semble être que même s’il est possible d’établir une preuve prima facie de discrimination, il n’y a pas de véritable question litigieuse à trancher étant donné qu’on a établi que l’interdiction d’affectation en Afghanistan pour les personnes souffrant de diabète de type 1 est une EPJ. Le Tribunal a examiné toutes les décisions dans l’affaire Cruden susmentionnées et signale ce qui suit :

[18]  Le jugement de la Cour fédérale contient les observations et conclusions suivantes aux paragraphes 80 à 82 :

« [80] Il ne faut pas en conclure que l’application des Directives sur l’Afghanistan n’empêchera jamais un employé d’être affecté en Afghanistan même si la déficience de ce dernier pouvait faire l’objet de mesures d’accommodement sans contrainte excessive, mais ce n’est pas le cas en l’espèce. De plus, le Tribunal n’a même pas décrit une seule situation potentielle où un employé pourrait se voir refuser une affectation en Afghanistan du fait de l’application des Directives sur l’Afghanistan tout en pouvant bénéficier de mesures d’accommodement sans contrainte excessive pour son employeur. Sauf si un exemple concret est cité ou si au moins une possibilité générale est évoquée, rien ne permet d’affirmer, au sens le plus large, que les directives ont pour effet de « […] défavoriser [un individu] en cours d’emploi », soit l’exigence formulée à l’alinéa 7b) de la LCDP, ou qu’elles sont « susceptible[s] d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus », soit l’exigence formulée à l’alinéa 10a). [non souligné dans l’original]

[81] SC a reconnu à l’audience devant le Tribunal que la formulation de la rubrique « Exigences médicales absolues » dans les Directives sur l’Afghanistan était malheureuse parce qu’elle ne rendait pas bien leur intention, soit qu’il s’agissait justement de « directives », et la Cour a pu comprendre lors de l’audition de la présente demande qu’une révision du texte était en cours afin de tenir compte de cette réalité. Toute question relative à la conformité des directives révisées à la LCDP sera abordée dans le contexte des faits particuliers qui pourraient survenir, c.‑à‑d., lorsqu’un employé alléguera que des mesures d’accommodement auraient pu être prises à son égard dans le cadre d’une affectation en Afghanistan, mais que cette occasion lui aurait été refusée par suite de l’application de la version révisée de ces directives.

[82] En résumé, vu l’absence de conclusions relatives à l’existence d’un acte discriminatoire, la plainte de Mme Cruden devait être rejetée. Il est possible, comme le Tribunal l’a conclu, que la formulation des Directives sur l’Afghanistan doive être revue; cependant, vu la conclusion d’absence d’acte discriminatoire qui a été tirée en fonction de l’application des Directives à Mme Cruden ou à tout autre individu ou groupe d’individus qu’il pourrait être raisonnable de cibler, le Tribunal n’avait pas le pouvoir d’ordonner les mesures de réparation contenues dans sa décision. L’application des Directives sur l’Afghanistan n’a pas entraîné de discrimination à l’égard de Mme Cruden étant donné qu’aucune mesure d’accommodement ne pouvait être prise à son égard sans contrainte excessive dans le cadre d’une affectation en Afghanistan; par conséquent, il n’y avait pas d’acte discriminatoire et la plainte aurait dû être rejetée. »

[19]  Précédemment, au paragraphe 65, la Cour déclarait ce qui suit :

« … Selon le Tribunal, n’eût été son refus d’affecter Mme Cruden en Afghanistan, l’ACDI aurait subi une contrainte excessive parce que de nombreux écueils auraient accompagné l’affectation dans une zone de guerre d’une personne souffrant de diabète de type 1 ayant son profil et ses besoins médicaux. »

[20]  Après avoir examiné la décision de la Cour fédérale, la Cour d’appel fédérale a indiqué ce qui suit au paragraphe 29 :

« [29] Le juge de la Cour fédérale a fait observer au paragraphe 81 de sa décision qu’il peut se trouver une autre situation où l’application des Directives sur l’Afghanistan pourrait avoir pour conséquence le refus d’une affectation dans ce pays à un employé déterminé, même s’il était possible pour l’employeur de répondre à ses besoins sans en subir de contrainte excessive. Cependant, cette question ne se pose pas dans la présente espèce, et le Tribunal n’a relevé aucune situation particulière de cette nature. Le juge de la Cour fédérale a également rappelé que Santé Canada prévoyait de réviser les Directives sur l’Afghanistan. »

[21]  Après avoir examiné les renseignements susmentionnés, à la fois la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale indiquent clairement la possibilité d’autres plaintes fondées sur les Directives sur l’Afghanistan. Les Cours ne semblent pas contester la conclusion du Tribunal, dans l’affaire Cruden, selon laquelle Mme Cruden a établi une preuve prima facie de discrimination; la seule question que les Cours ont contestée est plutôt la conclusion du Tribunal selon laquelle une obligation d’accommodement procédurale distincte pourrait subsister lorsqu’un employeur a établi qu’il a satisfait aux trois parties du critère d’EPJ de l’arrêt Meiorin.

[22]  Dans l’affaire Cruden, on reconnaît que chaque demande doit être évaluée sur une base individuelle, et l’issue de l’affaire Cruden n’empêche pas automatiquement un autre plaignant souffrant de diabète de type 1 de déposer une plainte au sujet de questions qui s’apparentent à l’affaire Cruden.

[23]  Pour qu’une requête en jugement sommaire soit accueillie, il faut que le Tribunal rejette la plainte étant donné qu’elle n’a pas divulgué un acte discriminatoire ou, dans le cas d’une affaire de nature civile, étant donné qu’elle n’a pas divulgué une cause d’action, ce qui serait semblable à une procédure civile. Toutefois, la présente affaire n’est pas une affaire de nature civile mais plutôt une affaire régie par la Loi.

[24]  Dans l’affaire Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2012 CF 445 (sub nomine SSEFPN c. Canada), la Cour fédérale traite en détail (aux paragraphes 125 à 157) de la question de la compétence du Tribunal pour examiner les requêtes en rejet avant la tenue d’une audience complète sur le fond. La Cour a conclu que la compétence pour rejeter une plainte devrait être exercée avec prudence, et seulement dans les cas les plus clairs (voir le paragraphe 140).

[25]  Dans l’affaire SSEFPN c. Canada, la Cour a conclu que le Tribunal dispose d’une certaine souplesse et peut choisir de statuer sur des plaintes avant la tenue d’une audience complète sur le fond, et elle a déclaré ce qui suit :

[148] Les exemples cités ci‑dessus ne visent pas établir une liste exhaustive de toutes les circonstances où le Tribunal pourrait décider de statuer sur certaines questions sans instruire la plainte au fond. Dans chaque cas, le Tribunal doit examiner les faits et les questions qui lui ont été présentés et déterminer la procédure qu’il convient de suivre dans le but de garantir un processus d’audience aussi informel et rapide que le respect des principes de justice naturelle et des règles de procédure le permet.

[149] Le processus retenu par le Tribunal doit cependant être équitable et il doit en toutes circonstances donner à chacune des parties « la possibilité pleine et entière de comparaître, […] de présenter des éléments de preuve ainsi que leurs observations » en ce qui concerne la question en litige.

[soulignement ajouté]

L’intimé n’a pas établi que les allégations du plaignant, même si elles sont tenues pour avérées, ne suffiraient pas pour conclure à l’existence d’un acte discriminatoire. M. Wheatcroft devrait avoir la possibilité de présenter ses arguments dans le but de démontrer qu’il existe une preuve prima facie de discrimination. C’est à cette étape que l’intimé pourrait soutenir que le plaignant n’a pas établi une preuve prima facie de discrimination et déposer une requête en non-lieu et en rejet de la plainte. La compétence et le droit régissant les requêtes en non-lieu font l’objet d’un examen approfondi dans la décision Filgueira c. Garfield Container Transport Inc., 2006 CF 785. Toutefois, après avoir entendu la preuve, si M. Wheatcroft a établi une preuve prima facie de discrimination, il incombe alors à l’intimé d’établir une EPJ. À l’heure actuelle, la requête de l’intimé n’est pas accompagnée d’éléments de preuve, au choix de l’intimé, mais ce choix ne peut priver le plaignant de la possibilité de se prévaloir du par. 50(1) de la Loi.

[26]  Ce n’est que dans les cas les plus évidents qu’une plainte serait rejetée avant l’instruction complète du fond de la plainte. La célérité, invoquée par l’intimé, ne peut l’emporter sur l’équité procédurale, la justice naturelle et le par. 50(1). À l’heure actuelle, le Tribunal ne dispose d’aucun élément de preuve et les arguments fondés sur les décisions dans l’affaire Cruden ne m’ont pas convaincu que cette affaire ne devrait pas être instruite.

[27]  À titre subsidiaire, l’intimé demande qu’à l’audience on l’autorise à se fonder sur les transcriptions des témoignages fournis par ses témoins dans l’affaire Cruden. L’intimé veut déposer les transcriptions des témoignages présentés par les personnes suivantes :

  • Bob Johnston, ancien directeur général du Groupe de travail sur l’Afghanistan à l’ACDI;

  • Michael Collins, ancien directeur des services ministériels, Groupe de travail sur l’Afghanistan, ACDI;

  • Marion Parry, ancienne gestionnaire, mobilité organisationnelle à l’ACDI;

  • Colonel Jacques Ricard, ancien chef d’état-major de l’Armée de terre, conseiller médical, ministère de la Défense nationale;

  • Major Robin Thurlow, ancien membre de la Direction des Opérations (Services de santé), ministère de la Défense nationale;

  • Dre Eva Callary, ancienne médecin-chef, Clinique de santé au travail, Santé Canada;

  • Dre Peggy Baxter, médecin, Clinique de santé au travail, Santé Canada;

  • Dr John Dupré, endocrinologue, expert de l’intimé.

Cette demande ne porte pas atteinte au droit de l’intimé de faire appel à des témoins pour aborder en détail la présente affaire. De plus, dans la section Aperçu du dossier de requête de l’intimé, ce dernier demande au plaignant de mentionner les arguments précis sur lesquels il entend se fonder et qui n’ont pas été tranchés dans les décisions relatives à l’affaire Cruden. Finalement, l’intimé demande au Tribunal de limiter la portée de l’audience de M. Wheatcroft de sorte que seules les nouvelles questions soulevées par M. Wheatcroft soient abordées, et non les questions déjà tranchées dans les décisions relatives à l’affaire Cruden.

[28]  L’intimé se fonde sur une décision du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario dans l’affaire CAW – Canada c. Presteve Foods Ltd., 2013 HRTO 20 (ci-après « CAW »), dans le cadre de laquelle l’arbitre a ordonné que l’on accepte une transcription d’une instance criminelle à titre de témoignage sous serment et que toutes les parties puissent se fonder sur celle-ci à l’audience. Le Tribunal a reconnu le besoin d’entendre des témoignages oraux relativement aux allégations précises à l’égard desquelles il devait se prononcer quant à la crédibilité. Le Tribunal a ensuite fait remarquer ce qui suit, au par. 104 :

[traduction]« …il y avait d’autres questions abordées dans la transcription provenant de l’enquête préliminaire, à la fois lors de l’interrogatoire principal et en contre-interrogatoire, pour lesquelles il semblait y avoir peu d’utilité à donner des explications oralement à l’audience devant le présent Tribunal relativement à ce qui est déjà exposé en détail dans la transcription de l’enquête préliminaire de l’instance criminelle. »

[29]  En principe, le plaignant ne s’oppose pas à la présentation des transcriptions des témoignages des témoins dans l’affaire Cruden en ce qui concerne la preuve principale. Le plaignant demande que les témoins soient appelés à comparaître pour être contre-interrogés sans restrictions, et que l’on obtienne tout autre élément de preuve pertinent.

[30]  La Commission n’est pas en désaccord avec l’utilisation des transcriptions en tant qu’éléments de preuve, pourvu que le plaignant et la Commission puissent contre-interroger les témoins de l’intimé. De plus, la Commission soutient également qu’elle voudra peut-être utiliser une partie de ses contre-interrogatoires de l’affaire Cruden mais, en plus, elle voudra peut-être également contre-interroger plus en profondeur les témoins relativement aux questions qui sont soulevées en l’espèce.

[31]  Le plaignant a également renvoyé le Tribunal à l’affaire CAW en ce qui a trait à l’utilisation de transcriptions d’audiences antérieures. On affirme ce qui suit au par. 105 de la décision CAW :

[traduction]« [105] À cet égard, et sans limiter la capacité de toute partie d’interroger des témoins ou d’obtenir des éléments de preuve pertinents, j’ai proposé que l’on permette à toutes les parties de se fonder sur les témoignages apparaissant dans la transcription de l’enquête préliminaire sans qu’il soit nécessaire de répéter ces témoignages devant moi de vive voix. » [non souligné dans l’original]

[32]  Toutefois, aux par. 106 et 107 de l’affaire CAW, le Tribunal a affirmé ce qui suit :

[traduction]« [106] J’ai invité les parties à présenter leurs observations en réponse à ma proposition. Bien que n’étant pas généralement réfractaires à ce que j’ai proposé, toutes les parties ont souligné qu’elles ne voulaient pas être limitées par la transcription relativement aux questions à propos desquelles elles pourraient vouloir interroger ou contre-interroger des témoins. CAW-Canada a fait valoir que les questions dans une instance relative aux droits de la personne sont très différentes de celles dans une instance criminelle, et qu’il se peut que d’autres témoignages doivent être obtenus des témoins outre ce que l’on trouve dans la transcription. Je suis d’accord. Mon intention n’était pas de limiter l’obtention de témoignages pertinents auprès des témoins, mais plutôt de faire en sorte que le témoignage sous serment que l’on trouve dans la transcription de l’instance criminelle soit admissible en tant que preuve testimoniale devant moi et puisse servir de fondement pour toutes les parties.

[107] Les intimés craignent que la crédibilité revête une grande importance dans la présente instance, et ils ne veulent pas qu’on leur interdise de contre-interroger des témoins simplement parce qu’un genre particulier de contre-interrogatoire a été utilisé dans l’instance criminelle et a été consigné dans la transcription. Comme je l’ai déjà dit, je suis conscient qu’il y aura de graves questions de crédibilité que je devrai trancher et je veux accorder à toutes les parties une possibilité adéquate de vérifier la crédibilité des témoins de la partie adverse. Parallèlement, j’ai le pouvoir, en vertu des Règles, d’assurer le règlement de la présente affaire non seulement d’une façon juste et équitable mais également rapidement, et j’ai le pouvoir explicite de limiter la preuve sur n’importe quel sujet. Je vais exercer judicieusement ce pouvoir à l’audience et de façon à ne pas priver une partie d’un règlement de la présente affaire juste, équitable et rapide. Toutefois, si une série de questions ont déjà été posées à un témoin dans le cadre de l’instance criminelle et si je suis d’avis que le processus d’audience ne profite pas d’une répétition de cette série de questions devant moi, je vais exercer les pouvoirs qui me sont conférés par les Règles. » [non souligné dans l’original]

[33]  Les circonstances de l’espèce sont très différentes de celles de l’affaire CAW, puisque les transcriptions en question proviennent d’une instance à laquelle M. Wheatcroft n’a pas participé. Toutefois, il est utile d’admettre les éléments de preuve de l’affaire Cruden qui ne sont pas propres à Mme Cruden, dès lors que les témoins peuvent être contre-interrogés, sous réserve de quelques restrictions.

[34]  Dans l’affaire CAW, l’arbitre était conscient de la nécessité de s’assurer que les parties adverses (en l’espèce M. Wheatcroft et la CCDP) ont l’entière possibilité de contre-interroger les témoins ou d’obtenir des éléments de preuve, et qu’elles ne devraient pas être assujetties à des restrictions à cet égard. Je souscris à ces principes.

[35]  Finalement, bien que le cadre législatif et les règles du TCDP diffèrent de ceux régissant l’affaire CAW, tout comme l’arbitre dans l’affaire CAW, je suis habilité à fixer certaines limites relativement aux contre-interrogatoires (voir Ré : Sonne c. Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada, 2014 CAF 48, par. 37; Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier c. Bell Canada, 2004 TCDP 26, par. 20; Kirchmeir c. Edmonton (City) Police Service, 2000 ABCA 324, par. 21). Je retiendrai donc l’esprit des parties soulignées du paragraphe 106 de la décision CAW précitée et c’est là la règle dont je me servirai en l’espèce.

[36]  Subsidiairement, l’intimé a fait valoir que le plaignant devrait identifier de nouveaux arguments qui n’ont pas été identifiés ou examinés dans l’affaire Cruden. Le problème que pose la position de l’intimé est que le plaignant n’était pas partie dans l’affaire Cruden et n’a pas pris part à l’échange de documents et de rapports, et il n’a pas non plus eu la possibilité d’examiner les transcriptions des instances dans l’affaire Cruden. Il serait injuste d’exiger du plaignant qu’il identifie de nouveaux arguments ou de limiter la portée de sa plainte à ce moment-ci.

II.  Ordonnance

[37]  La requête en jugement sommaire de l’intimé est rejetée.

[38]  L’intimé doit sans délai, au plus tard le 4 décembre 2015, mettre à la disposition du plaignant des copies des transcriptions des témoignages tirés de l’audience dans l’affaire Cruden tenue devant la membre instructrice Marchildon.

[39]  Les transcriptions susmentionnées doivent être acceptées comme des témoignages faits sous serment devant le Tribunal, et toutes les parties pourront se fonder sur elles à l’audience.

[40]  Les parties doivent pouvoir présenter d’autres éléments de preuve pour aborder les détails en l’espèce.

[41]  Le plaignant, M. Wheatcroft, doit pouvoir présenter ses propres éléments de preuve sous réserve de leur pertinence, comme le prévoit le par. 50(1) de la Loi. Si M. Wheatcroft invoque des arguments qui n’ont pas été présentés devant le Tribunal dans le cadre de l’instance dans l’affaire Cruden, il doit fournir des précisions, après avoir examiné les transcriptions et les pièces produites dans l’affaire Cruden, et avant la fixation des dates d’audience dans la présente affaire.

[42]  À ce stade-ci, le plaignant n’est pas tenu de préciser les arguments précis qu’il entend invoquer et qui n’ont pas fait l’objet d’une décision dans l’affaire Cruden, et la portée de sa plainte ne sera pas limitée. Cette question et les éléments de preuve qu’il entend présenter peuvent être traités plus tard, une fois que les transcriptions auront été fournies et que la divulgation sera complète.

[43]  L’intimé doit, par voie de sommation s’il y a lieu, permettre au plaignant et à la Commission de contre-interroger tous les témoins dont les transcriptions de témoignages dans l’affaire Cruden serviront de fondement à l’intimé en l’espèce, sous réserve des commentaires que l’on trouve au paragraphe 31.

[44]  Lorsqu’une partie se fonde sur le contre-interrogatoire d’un témoin tiré des transcriptions de l’affaire Cruden, elle a la possibilité de contre-interroger le même témoin dans le cadre de la présente audience.

III.  Observations finales

[45]  Je crois que ce qui précède a couvert toutes les questions non résolues. S’il y a des questions ou s’il est difficile de respecter la date limite pour la divulgation des documents, une autre conférence de gestion de l’instance devrait être demandée immédiatement. Je demande au plaignant, M. Wheatcroft, et à la Commission d’aviser le Tribunal une fois qu’ils auront eu l’occasion d’examiner les transcriptions et seront en mesure de fixer des dates d’audience.

[46]  En terminant, je tiens à remercier tous les avocats pour leurs mémoires et leurs observations orales détaillées.

Signée par

George E. Ulyatt

Membre du Tribunal

Ottawa, Ontario

Le 13 novembre 2015

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