Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal

Tribunal canadien des droits de la personne

Référence : 2015 TCDP 12

Date : Le 28 mai 2015

Numéro du dossier : T1749/10411

Entre :

Donald James Federuik

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Jenn Trucking Ltd.

l’intimée

Décision sur requête

Membre instructrice : Ricki T. Johnston

 



I.  Requête

[1]  Il s’agit d’une décision portant sur la requête présentée par l’intimée, Jenn Trucking Ltd. (l’intimée), et datée du 5 novembre 2014 en vue d’obtenir une ordonnance rejetant la plainte au motif que le plaignant n’a pas participé à la procédure du Tribunal depuis environ deux ans et demi et que ce défaut de participation a entraîné un retard indu qui est préjudiciable à l’intimée et constitue un abus de procédure.

II.  Contexte

[2]  Le plaignant allègue avoir été victime de discrimination fondée sur la déficience en raison d’événements qui seraient survenus de février à mai 2009. Le plaignant a travaillé pour l’intimée comme aide-camionneur/conducteur de camion-grue jusqu’en mai 2009. Il allègue qu’il s’est blessé dans l’exercice de ses fonctions en tombant de la plate-forme du camion et que l’intimée n’a pas pris de mesures d’accommodement à l’égard de la déficience découlant de ces blessures.

[3]  La plainte a été déposée auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) le 25 mai 2010. L’affaire a été renvoyée au Tribunal pour instruction le 28 octobre 2011, et, le 29 novembre 2011, la CCDP a informé le plaignant et le Tribunal qu’elle ne participerait pas à l’audience.

[4]  Le 20 décembre 2011, le Tribunal a envoyé une première lettre au plaignant et à l’intimée pour les informer qu’il allait instruire la plainte. Le 31 janvier 2012, le Tribunal a écrit une autre lettre aux parties pour leur expliquer le processus de divulgation et demander au plaignant de fournir son exposé des précisions, y compris sa liste de redressements demandés et de documents, au plus tard le 24 février 2012. Dans la même lettre, le Tribunal a demandé à la CCDP de divulguer ses documents au plus tard le 10 février 2012 et à l’intimée de divulguer les siens au plus tard le 16 mars 2012.

[5]  La CCDP a divulgué ses documents le 9 février 2012, et l’intimée a divulgué les siens le 16 mars 2012. Le plaignant n’a pas donné suite à la directive donnée le 20 décembre 2011 relativement à la divulgation. Une conférence téléphonique de gestion de l’instance (CTGI) a été fixée et a eu lieu le 31 mai 2012. À cette occasion, la date limite consentie au plaignant pour fournir les renseignements demandés et divulguer ses documents a été reportée au 21 juin 2012, et on a donné à l’intimée jusqu’au 12 juillet 2012 pour déposer un exposé des précisions modifié.

[6]  Le plaignant a fourni les renseignements demandés et divulgué ses documents le 12 juin 2012, et l’intimée a déposé son exposé des précisions modifié le 12 juillet 2012. Par la suite, le Tribunal a communiqué avec le plaignant le 27 mars 2013 et le 3 mai 2013 pour lui demander ses disponibilités en vue d’une CTGI, dont le but est de s’assurer que les parties continuent de faire avancer le dossier en vue de l’audience. Comme le plaignant n’a pas fourni ses disponibilités, la CTGI a été fixée au 21 janvier 2014. Le Tribunal a envoyé au plaignant un courriel et une lettre par messagerie pour l’informer qu’il était tenu de participer à cette conférence téléphonique. Le plaignant n’y a pas participé.

[7]  Le 10 juillet 2014 ou vers cette date, le Tribunal a parlé au plaignant et a confirmé que l’affaire en était maintenant à l’étape de l’audience et qu’il devait être disponible pour une CTGI et pour l’audience. Lors de cette discussion, le plaignant a indiqué qu’il informerait le Tribunal de ses intentions à l’égard de l’audience au plus tard le 5 août 2014.

[8]  Le plaignant n’a pas communiqué avec le Tribunal avant le 5 août 2014, et une deuxième CTGI a été fixée au 29 août 2014. Un avis a été envoyé au plaignant pour l’informer que sa participation était requise. Le 28 août 2014, le plaignant a envoyé un courriel au Tribunal :

[traduction] Je ne suis presque jamais chez moi le jour, car je travaille pour subvenir à mes besoins et à ceux de mes trois garçons... J’imagine qu’il serait préférable, pour ne pas que la procédure soit retardée davantage en raison de délais qui ne me conviennent pas, que vous teniez la conférence téléphonique comme prévu, même si je ne peux pas y participer… Je ne peux pas me permettre de poursuivre cette affaire, car cela prend beaucoup de temps, alors je vais devoir m’en tenir à la décision du tribunal dans cette affaire.

[9]  Par suite du courriel du plaignant, la CTGI du 29 août 2014 a été reportée. La Commission a écrit au plaignant le 2 septembre 2014 et lui a demandé d’indiquer [traduction] « clairement et sans équivoque » si son courriel du 28 août 2014 signifiait qu’il souhaitait retirer sa plainte. Le 16 septembre 2014, le Tribunal a envoyé une lettre au plaignant pour lui demander d’indiquer, au plus tard le 25 septembre 2014, s’il avait l’intention de participer à la CTGI et à l’audience. Encore une fois, le plaignant n’a pas répondu, et une CTGI a été fixée au 23 octobre 2014. Un avis a été donné au plaignant par courriel et par messagerie.

[10]  Le plaignant n’a pas participé à la CTGI du 23 octobre 2014, malgré que le Tribunal ait tenté à trois reprises de le joindre par téléphone pendant la CTGI. Un calendrier a donc été établi pour permettre à l’intimée de présenter une requête en vue du rejet de la plainte et pour permettre au plaignant de présenter des observations. La requête de l’intimée devait être déposée le 5 novembre 2014, et le plaignant et la Commission avaient jusqu’au 5 décembre 2014 pour y répondre. Un avis des directives relatives à la requête a été envoyé au plaignant par courriel et par messagerie.

[11]  Le Tribunal a déployé de nombreux efforts en vue de communiquer avec le plaignant au sujet de la présente requête. Il a communiqué avec lui par messagerie vocale, par courrier recommandé et par courriel (une confirmation de réception et de lecture a été reçue pour certains courriels). Aucune réponse n’ayant été reçue, la date limite consentie au plaignant pour déposer sa réponse a été reportée au 5 janvier 2015, et le plaignant en a été avisé dans un courriel, qui a été ouvert et lu.

[12]  À la suite de l’examen des observations de l’intimée, toutes les parties ont eu l’occasion de présenter d’autres observations sur l’application de la doctrine de l’abus de procédure dans cette affaire. L’intimée a déposé ses observations additionnelles le 4 mai 2015. 

[13]  La Commission n’a pas pris position sur la requête, et le plaignant n’a pas fourni de réponse ou pris position à cet égard.

III.  Analyse

[14]  L’intimée affirme que le défaut du plaignant de prendre des mesures concrètes dans cette affaire, en particulier son défaut de participer à cette affaire de quelque façon que ce soit depuis juillet 2012, lui a causé un préjudice. En outre, l’intimée fait valoir que le défaut du plaignant de participer à la procédure du Tribunal constitue un abus de cette procédure. Le plaignant n’a énoncé aucune position.

[15]  Comme le Tribunal est maître chez lui, il peut prendre des mesures pour prévenir l’abus de sa procédure, notamment le rejet d’une affaire. Dans Labelle c. Rogers Communications Inc., 2012 TCDP 4 (CanLII), le Tribunal a confirmé qu’il peut rejeter une plainte lorsque l’affaire n’a pas avancé depuis une période déraisonnable en raison du fait que les plaideurs « ne tienn[ent] absolument aucun compte » des délais fixés par le Tribunal. Dans ces circonstances, le retard peut constituer un abus de la procédure du Tribunal. (Voir également Mattice c. Westower Communications Ltd., 2014 TCDP 32.)

[16]  En l’espèce, le plaignant n’a pas participé de façon concrète à la procédure devant le Tribunal depuis le mois de juin 2012. Malgré les efforts considérables déployés par le Tribunal, le plaignant ne s’est pas rendu disponible pour une CTGI depuis plus de deux ans et demi. En outre, le plaignant a exprimé une certaine incertitude à l’égard de la procédure, mais il a refusé d’indiquer de façon claire et non équivoque au Tribunal ou à l’intimée s’il avait l’intention de donner suite à sa plainte ou non. Bien que le plaignant ait fait part, dans son courriel du 28 août 2014, de ses préoccupations relatives à la procédure, compte tenu de ses obligations professionnelles et parentales, il n’a demandé aucune mesure d’accommodement au Tribunal et n’a plus communiqué avec le Tribunal à cet égard. Enfin, le plaignant n’a déposé aucune réponse dans le cadre de la présente requête en vue de faire rejeter la plainte.

[17]  À ce point-ci, soit plus de trois ans et demi depuis que l’affaire a été renvoyée au Tribunal pour instruction, très peu de choses ont été faites en vue de faire instruire l’affaire dans un avenir rapproché. Ce retard est survenu en dépit des directives expresses du Tribunal au sujet de l’obligation de participation du plaignant.

[18]  Il n’est pas nécessaire d’examiner les arguments de l’intimée en faveur du rejet de la plainte sur le fondement du préjudice subi, car la requête a été tranchée sur le fondement d’un abus de procédure.

IV.  Décision sur requête

[19]  Le Tribunal conclut que le défaut du plaignant de donner activement suite à sa plainte et son défaut de respecter les directives du Tribunal constituent un abus de procédure. Par conséquent, la plainte est rejetée. 

 

Signé par

Ricki T. Johnston

Membre instructrice du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 28 mai 2015

 

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