Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal

Titre : Tribunal's coat of arms

Tribunal canadien des droits de la personne

Référence : 2015 TCDP 10

Date : le 7 mai 2015

Numéro du dossier : T1248/6007

Entre :

Levan Turner

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

Commission

- et -

Agence des services frontaliers du Canada

l'intimée

Décision

Membre : Wallace G. Craig



I.  Introduction

[1]  Le 7 mars 2014, j’ai rendu une décision (2014 TCDP 10) portant qu’en 2003, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) avait commis des actes discriminatoires à l’endroit du plaignant en contravention des articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP), et qu’en raison de son âge, de sa race, de sa couleur et d’une déficience perçue d’obésité, l’ASFC avait délibérément privé le plaignant d’une possibilité d’emploi au concours Vancouver 1002 et au concours Victoria 7003.

[2]  Dans la partie VI de ma décision du 7 mars 2014, j’ai tiré une série de conclusions, dont les suivantes :

[257] En me fondant sur les motifs exposés dans l’ensemble de la présente décision, et en tenant compte de toutes les circonstances connexes, je suis arrivé aux conclusions de fait suivantes : M. Tarnawski et M. Baird n’ont pas été des témoins dignes de foi; leurs caractéristiques étaient semblables : ils étaient souvent réticents et se sont exprimés à maintes reprises avec une certaine prolixité afin d’éviter d’avoir à donner des réponses directes et impartiales. Tous deux ont échoué en contre-interrogatoire. Chaque fois que leur témoignage différait de celui de M. Turner, j’ai souscrit au témoignage de ce dernier.

[258] Ni M. Tarnawski ni M. Baird n’ont expliqué de manière raisonnable que la discrimination alléguée n’avait pas eu lieu ou que la conduite était en quelque sorte non discriminatoire.

[259] Je conclus que les entrevues que M. Tarnawski (concours Vancouver 1002) et M. Baird (concours Victoria 7003) ont fait passer à M. Turner étaient viciées et inconsidérées, qu’elles se sont déroulées d’une manière qui a privé M. Turner de la possibilité de poser sa candidature en vue d’un emploi d’une durée indéterminée au sein de l’ASFC et que, dans chaque cas, la décision a été arbitraire et a servi de prétexte, qu’elle était fondée sur des préjugés et qu’elle constituait un acte discriminatoire au sens des articles 7 et 10 de la LCDP.

[3]  Dans la partie VII de ma décision du 7 mars 2014, j’ai cité l’article 53 de la LCDP :

[263] L’alinéa 53(2)e) de la LCDP dispose qu’il est possible d’indemniser jusqu’à concurrence de 20 000 $ le plaignant qui a souffert d’un préjudice moral en tant que victime d’un acte discriminatoire. Après une audience ultérieure sur la réparation à accorder, j’ordonnerai à l’intimée de payer au plaignant la juste somme qui l’indemnisera du préjudice moral qu’il a subi après s’être vu priver d’une possibilité d’emploi.

[264] Le paragraphe 53(3) de la LCDP dispose que le Tribunal peut ordonner à l’intimé de payer à la victime une indemnité maximale de 20 000 $ s’il est conclu que l’acte discriminatoire en question était délibéré ou inconsidéré. Je conclus que les gestionnaires de l’intimée Ron Tarnawski et Trevor Baird ont agi de manière délibérée en privant le plaignant d’une possibilité d’emploi. En temps utile, après l’audience relative à la réparation à accorder, je rendrai une ordonnance qui indemnisera le plaignant du caractère délibéré de leur geste.

[265] L’alinéa 53(2)c) de la LCDP prévoit qu’une victime peut être indemnisée de la totalité ou de la fraction des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l’acte commis. Je conclus que le plaignant a effectivement perdu le salaire qu’il aurait gagné à titre d’agent des services frontaliers. Le montant de la perte sera déterminé après l’audience relative à la réparation à accorder. La perte sera déterminée en calculant le total des gains que le plaignant aurait acquis à titre d’agent des services frontaliers et en déduisant de cette somme le salaire que le plaignant a été en mesure de tirer d’un autre emploi atténuant. Le revenu que le plaignant a gagné dans le cadre de ses efforts pour atténuer sa perte de salaire en tant qu’agent des services frontaliers doit être étayé par des détails et des déclarations de revenus personnelles.

[266] Aux termes du paragraphe 53(4) de la LCDP, des intérêts peuvent être payés sur toutes les indemnités accordées dans le cadre de la présente décision. Il s’agit d’intérêts simples calculés sur une base annuelle, à un taux équivalant au taux d’escompte fixé par la Banque du Canada (données de fréquence mensuelle). Les intérêts seront calculés à compter de la date de la plainte pour ce qui est de l’indemnité pour perte de salaire, pour préjudice moral et pour dommages-intérêts spéciaux.

[267] Lors de l’audience relative à la réparation à ordonner, j’examinerai si le Tribunal est compétent pour ordonner à l’intimée d’offrir un emploi au plaignant.

II.  Le caractère délibéré de la conduite

[4]  Dans ma décision du 7 mars 2014, j’ai résumé les témoignages des surintendants défendeurs, MM. Ron Tarnawski et Trevor Baird. J’ai conclu qu’aucun d’eux n’était un témoin digne de foi. Je conclus maintenant que dans chacun des concours, la conduite respective de Ron Tarnawski et Trevor Baird était délibérée. Elle était intentionnelle, fondée sur des préjugés et imprégnée d’une intention cachée de priver le plaignant de la possibilité de continuer à travailler pour l’ASFC.

III.  Le fait d’avoir été privé d’une possibilité d’emploi Les répercussions sur le plaignant

[5]  L’extrait suivant est tiré du long témoignage que le plaignant a livré lors de l’audience relative à sa plainte tenue par le président Sinclair :

[traduction]

Q. (M. Yazbeck) M. Turner, de façon générale, quelles répercussions le fait d’avoir été privé de possibilités d’avancement aux concours de Victoria et de Vancouver a-t-il eu sur vous?

R. Cela m’a beaucoup affecté. Je veux dire, la première fois qu’on m’a dit que je ne revenais pas, parce que j’avais essayé --- fort d’obtenir un emploi à temps plein avec eux, cela m’a stressé. J’ai commencé à me demander, genre, qu’est-ce qui ne va pas chez moi? Ai-je fait quelque chose de mal tout ce temps?

J’essayais de penser, bien, à ce que je pouvais faire pour améliorer mon sort. Comme je l’ai déjà dit, j’ai suivi les cours sur l’AE, vous savez, d’abord, pour élargir mes connaissances sur l’AE, mais aussi, vous savez, parce que je pensais qu’ils m’aideraient peut-être à améliorer mes compétences ou quelque chose comme ça.

Donc, j’essayais juste de faire de mon mieux, mais cela m’a extrêmement blessé. Je veux dire, je pensais que j’étais bon. Je formais du personnel, comme mes examens de rendement l’indiquaient. J’aidais du mieux que je pouvais. Et cela m’a tellement affecté que je n’en dors pas la nuit parfois, et tout ce processus traîne depuis trois ans.

Cela a complètement perturbé, accaparé la majeure partie de ma vie. Je ne peux plus aller nulle part. Je ne peux pas voyager à cause des honoraires d’avocat, et de tout le reste. Cela m’a complètement perturbé.

Et puis il s’agit d’un organisme gouvernemental et j’ai été abasourdi de voir qu’ils ne voulaient même pas quand j’ai déposé ma plainte, qu’ils ne voulaient pas faire enquête. Ils l’ont simplement écartée du revers de la main comme si de rien n’était.

Et de la part d’un organisme gouvernemental, je suis abasourdi et je suis en colère. Service Canada, quand je suis arrivé chez eux, m’ont bien accueilli. Ils m’ont traité équitablement. Comme vous pouvez le voir, j’ai gravi les échelons depuis mon classement initial de CR3, je suis maintenant PMO2. De toute évidence, je ne faisais rien de mal.

Q. M. Turner, votre plainte date de février 2005 et, comme vous le savez, l’agence en aurait eu connaissance peu de temps après. Vous avez mentionné il y a quelques instants qu’ils ne voulaient pas faire enquête. Donc, est-ce que quelqu’un de l’agence a communiqué avec vous pour discuter de vos allégations et tenter de déterminer directement quelles étaient vos préoccupations?

R. Non. La première fois que j’ai eu un quelconque contact avec l’agence, c’est lors de notre première séance de médiation avec la Commission des droits de la personne. …

IV.  La discussion entre l’avocat de l’intimée et le membre Sinclair au sujet de la réparation à accorder

[6]  L’extrait suivant est tiré de la transcription des débats à l’audience tenue par le président Sinclair. Il s’agit d’une partie de la conversation interlocutoire qui a eu lieu entre le président Sinclair et l’avocat de l’intimée :

[traduction]

M. Stark : Je ne crois pas qu’une nomination rétroactive soit vraiment appropriée dans les circonstances de la présente affaire et voici pourquoi. M. Turner est maintenant nommé à un poste de PM02 à Service Canada, il occupe un poste existant à (inaudible). Je pense qu’il avait été nommé inspecteur des douanes à Victoria, dans le répertoire des candidats préqualifiés de Victoria.

Il se trouve donc maintenant au même niveau qu’à l’époque et le fait d’être nommé de nouveau à ce poste ne comporterait donc aucun avantage pour lui.

Maintenant, comme l’a établi mon savant confrère, il n’existe plus de poste d’inspecteur des douanes, c’est maintenant le poste d’agent des services frontaliers, qui a été reclassifié au niveau PM03; il s’agit donc d’un poste différent. Il (inaudible), de sorte qu’il possède également plusieurs autres caractéristiques. Après ce concours, les fonctions exercées aux points d’entrée ont été transférées de CIC à l’Agence des services frontaliers du Canada, et tous les employés doivent démontrer qu’ils possèdent les compétences nécessaires pour occuper un poste d’agent des services frontaliers, ce qu’ils n’ont pas tous réussi à faire.

Vous aviez donc raison d’affirmer dans votre déclaration initiale, M. Sinclair, que s’il y a il est impossible de replacer le plaignant dans la situation où il se serait trouvé. Le portrait a changé, il aurait à démontrer qu’il possède les compétences et les qualités requises pour être agent des services frontaliers plutôt qu’inspecteur des douanes. Il ne peut tout simplement pas être replacé dans la situation où il se trouvait.

La seule façon de le faire est de lui accorder une indemnité, s’il plaît au Tribunal de le faire, mais comme je l’ai déjà dit, cette possibilité est assez limitée (inaudible), il en est au stade – et il occupe maintenant le poste de PM02, qui se trouve au même niveau de classification. Je ne crois donc pas que ce soit la chose à faire pour cette raison.

Quant à l’autre question dont nous avons parlé, et je tenterai d’être bref, M. Sinclair, nous avons parlé (inaudible) a été mentionné au sujet de la possibilité (inaudible), soit celle du critère applicable au renouvellement de la nomination. Maintenant, M. Turner, il convient de souligner que la plupart des candidats nommés à partir du répertoire des candidats préqualifiés de Vancouver, de Victoria, je n’arrête pas de les mélanger, étaient tous qualifiés – les nominations à partir de ce répertoire concernaient seulement des postes dotés pour une période déterminée.

Donc, (inaudible) M. Turner aurait pu s’attendre du fait d’avoir (inaudible) à partir du répertoire des candidats préqualifiés de Vancouver, de Victoria, aurait été un poste doté pour une période déterminée. Cela ne lui aurait pas conféré un emploi d’une durée indéterminée. C’est un point très important à souligner; donc, à partir du répertoire de Victoria, il n’aurait pas obtenu un emploi d’une durée indéterminée. Voilà une raison de plus pour laquelle M. Turner ne devrait pas être nommé rétroactivement.

Le président : Donc, vous dites que s’il avait réussi à être nommé à partir du répertoire du concours 7003, cela n’aurait été que pour occuper un poste doté pour une période déterminée.

M. Stark : Oui (citant la pièce R-2, onglet 52) il s’agit d’un rapport sur le concours, et vous remarquerez que chaque candidat nommé à partir de ce répertoire l’a été à un poste doté pour une période déterminée.

Le président : C’est ce que disait l’avis d’emploi?

M. Stark : Bien, l’avis d’emploi, je pense, était un peu (inaudible) que cela, l’avis d’emploi, en fait, visait des postes permanents, d’une durée déterminée et (inaudible), mais cela permet de penser qu’aucun poste permanent n’a été accordé à partir de ce répertoire, il n’y avait donc que des postes dotés pour une période indéterminée. …

Le président : Vous dites qu’il pourrait être suffisamment indemnisé … par l’octroi de dommages-intérêts, que voulez-vous dire par là? …

M. Stark : Je veux dire qu’il pourrait recevoir un supplément de salaire, pour la période entre le moment où le répertoire des candidats préqualifiés de Victoria a été établi et le moment où il a obtenu son poste à Service Canada, il pourrait être indemnisé de la différence entre les deux salaires (inaudible) jusqu’au moment où il a atteint la différence entre les deux salaires (inaudible) où il a atteint le salaire équivalent du poste de PM02. Il serait donc indemnisé de cette façon. Mais il ne peut être indemnisé à l’égard d’un poste pour lequel il n’avait pas les qualités requises, soit celui d’agent des services frontaliers. Il s’agit d’un poste différent, qui a fait l’objet d’une reclassification, et il devrait réussir un concours à cet égard, comme tout le monde.

Le président : Donc, vous dites que la période visée par les dommages-intérêts devrait aller du moment où il ne s’est pas qualifié pour le concours de Victoria ou de Vancouver jusqu’au moment où il a obtenu le poste de PM02 à Service Canada.

M. Stark : C’est exact.

[7]  À mon avis, deux points sont énoncés de façon inexacte dans la discussion ci-dessus, et ces points sont pertinents quant au droit du plaignant à une indemnité pour perte de salaire.

[8]  D’abord, l’affirmation voulant que la reclassification du poste d’inspecteur des douanes en poste d’agent des services frontaliers corresponde à une modification importante des fonctions exercées aux points d’entrée du Canada. En examinant la preuve présentée au membre Sinclair, je n’ai pu trouver aucun élément précis établissant qu’à l’époque des concours en question, la modification du nom des inspecteurs des douanes pour celui d’agents des services frontaliers comportait une modification importante des fonctions exercées aux points d’entrée du Canada, à l’exception des fonctions supplémentaires liées à l’immigration.

[9]  Ensuite, les évaluations annuelles contenaient de nombreux éléments qui établissaient la compétence de M. Turner en tant qu’inspecteur des douanes. Il est donc raisonnable de conclure que, si les agents des services frontaliers devaient effectivement accomplir des fonctions supplémentaires, les cinq années d’expérience de M. Turner à titre d’inspecteur des douanes lui auraient permis de maîtriser et d’exercer toute fonction supplémentaire qui lui aurait été confiée en tant qu’agent des services frontaliers.

[10]  À l’audience relative à la réparation à accorder tenue les 21 et 22 avril 2015, l’avocat de l’intimée a soutenu que les circonstances de la présente affaire ne justifiaient par l’octroi d’une indemnité pour la perte de salaire du plaignant pour l’ensemble de la période allant de 2004 à 2014 : cette indemnité devrait être limitée à quatre ans. Limiter la perte de salaire du plaignant à quatre ans constituerait une décision arbitraire, et un exercice tout à fait inadéquat du pouvoir discrétionnaire judiciaire. En outre, limiter l’indemnité pour perte de salaire à quatre ans m’obligerait à faire abstraction du traumatisme émotionnel de la victimisation.

[11]  Je conclus que les faits et les circonstances de l’espèce écartent la possibilité de limiter la perte de salaire du plaignant à quatre ans.

V.  La pièce C-4 : le calcul de la perte de salaire du plaignant

[12]  La pièce C-4 est un dossier factuel de quatre pages, qui est le produit d’une collaboration entre l’avocat du plaignant et l’avocat de l’intimée. Il fait état du revenu que M. Turner a gagné au cours de la période de 2004 à 2014. Il montre que M. Turner a réussi à obtenir un emploi à Service Canada, où, en temps opportun, il est devenu un fonctionnaire fédéral occupant un emploi d’une durée indéterminée.

[13]  Sous le titre « Différence », la pièce C-4 contient un calcul de la différence entre le salaire réel que M. Turner a gagné à Service Canada et le salaire plus élevé que l’ASFC verse aux agents des services frontaliers. La pièce C-4 fournit également une estimation du salaire additionnel tiré du travail en temps supplémentaire.

2004  40 711,19 $

2005   17 031,25 $

2006   22 293,89 $

2007   22 646,93 $

2008   25 089,37 $

2009   16 665,96 $

2010   16 169,74 $

2011   11 019,97 $

2012   15 238,05 $

2013   10 452,58 $

2014   13 059,57 $

Total :  210 378,50 $ + *5 191,53 $ en intérêts = 215 570,03 $

*La pièce C-4 contient un calcul des intérêts pour chaque année de la période de 2004 à 2014, qui totalisent 5 191,53 $.

[14]  La pièce C-4 comportait les notes suivantes :

Salaire : 2004 à 2014 (taux de l’ASFC); Quarts de l’ASFC/Primes pour heures supplémentaires moyennes pour Victoria; Service Canada – Montants réels figurant sur les feuillets T4.

Notes en surbrillance : 2004 : comprend un salaire de 12 635 $, mais pas les prestations d’AE de 10 325 $; 2009 : prime à la signature d’environ 5 000 $ non comprise (déclaration de revenus indique 59 534 $); 2011 : ne comprend pas l’indemnité de départ de Service Canada. Le document d’ASFC indique 17 134,85 $ en indemnité de départ; 2015-2019 : la différence de salaire de 2014 (13 059,57 $) x 5 ans au lieu de la réintégration.

Tous les montants fournis par l’ASFC sont tirés des renseignements sur les salaires du Conseil du Trésor fournis par M. Stark.

Montants de l’ASFC : 2003 : PM02, échelon 1; 2004-2006 : PM03, échelons 2-3; 2007-2014 : FB03, échelons 2-4.

Montants de Service Canada : 2004 : CR3, échelon 1; 2005-2008 : CR04, échelons 1-4; *2008 : 6 mois à CR04; 2008-2014 : PM02, échelons 1-4; *2008 : 6 mois à PM02.

Les montants de Levan sont tirés des déclarations de revenus/feuillets d’impôt pour les années 2004 – 2014.

Les taux d’intérêt sont fondés sur le taux moyen d’intérêt annuel de la Banque du Canada.

VI.  L’indemnité tenant lieu de réintégration

[15]  Au paragraphe 267 de ma décision du 7 mars 2014, j’ai affirmé ceci : « Lors de l’audience relative à la réparation à ordonner, j’examinerai si le Tribunal est compétent pour ordonner à l’intimée d’offrir un emploi au plaignant ».

[16]  À l’audience relative à la réparation à accorder tenue les 21 et 22 avril 2015, le plaignant a retiré sa demande de réintégration à titre d’agent des services frontaliers. Le plaignant demande plutôt une indemnité de 65 297,85 $ pour la perte de salaire anticipée au cours de la période de 2015-2019. Ce paiement forfaitaire a été calculé en utilisant la « différence » de salaire de 2014, soit 13 059.57 $, et en l’appliquant à chacune des cinq années suivantes (5 x 13 059,57 $ = 65 297,85 $), pour arriver à une évaluation approximative de la perte de salaire pour cette période.

VII.  L’argument du plaignant concernant l’indemnité pour perte de salaire

[17]  L’avocat de M. Turner a soutenu que le Tribunal devrait accorder une indemnité pour la totalité de la perte de salaire subie au cours de la période de onze ans allant de 2004 à 2014, telle que cette perte est consignée et calculée dans la pièce C-4 de la partie intitulée « Différence », plus le paiement forfaitaire tenant lieu de réintégration.

[18]  Je conclus que la pièce C-4 fournit un calcul exact selon lequel la perte de salaire du plaignant s’élève à 210 378,50 $, et à 215 570.03 $ une fois les intérêts de 5 191,53 $ ajoutés. S’ajoute à cela l’indemnité tenant lieu de réintégration de 65 297,85 $, ce qui porte à 280 867,88 $ l’indemnité totale demandée par le plaignant.

VIII.  L’atténuation des dommages

[19]  Moins d’un an après son exclusion par l’ASFC, le plaignant a obtenu un emploi à Service Canada, et ce, alors qu’il vivait des bouleversements émotifs attribuables au fait qu’il avait vraisemblablement été victime de discrimination raciale, ce qui constituait une réalisation exceptionnelle. En poursuivant son chemin et en réussissant à joindre les deux bouts, le plaignant s’est acquitté de l’obligation d’atténuer sa perte de revenu résultant des actes discriminatoires de l’ASFC.

IX.  Les dommages-intérêts

[20]  Il est très important de souligner que les deux actes discriminatoires ont obligé le plaignant à renoncer à son rêve de poursuivre une carrière à l’ASFC. Le fait qu’une telle attitude discriminatoire ait été enracinée dans les concours Vancouver 1002 et Victoria 7003 est déplorable, et témoigne d’un mépris pour l’esprit et l’objet de la LCDP. Il faut en tenir compte dans l’évaluation des dommages-intérêts.

X.  La réparation : les ordonnances d’indemnisation et de dommages-intérêts

[21]  Après avoir examiné toutes les conclusions que j’ai tirées dans ma décision du 7 mars 2014 portant que le plaignant avait été victime d’actes discriminatoires dans le cadre de deux concours de recrutement, et après avoir examiné les observations que les parties ont présentées à l’audience relative à la réparation à accorder tenue les 21 et 22 avril 2015, je rends les ordonnances suivantes : une indemnité pour perte de salaire, une indemnité pour préjudice moral et une indemnité liée au fait que les actes discriminatoires étaient délibérés.

1.  En vertu de l’alinéa 53(2)c) : j’ordonne à l’intimée de verser au plaignant une indemnité de 280 867,88 $ pour le salaire dont il a été privé par suite des actes discriminatoires de l’intimée. Majoration relative aux obligations fiscales : j’ordonne à l’intimée de verser au plaignant une somme supplémentaire suffisante pour couvrir toute obligation fiscale supplémentaire pouvant résulter de la présente ordonnance d’indemnisation.

2.  En vertu de l’alinéa 53(2)e) : j’ordonne à l’intimée de verser au plaignant une indemnité de 15 000 $ pour le préjudice moral que le plaignant a subi par suite des actes discriminatoires de l’intimée.

3.  En vertu du paragraphe 53(3) : compte tenu de ma conclusion selon laquelle l’intimée a délibérément commis les actes discriminatoires, l’intimée devra verser au plaignant une indemnité de 15 000 $.

4.  Chaque indemnité portera des intérêts simples calculés conformément à ma décision du 7 mars 2014.

XI.  La compétence du Tribunal pour continuer

[22]  Le Tribunal se déclare compétent pour régler toutes les questions qui découleront de la présente décision, et ce, pendant l’année suivant la date à laquelle elle a été rendue.

Signée par

Wallace G. Craig

Membre du Tribunal

Ottawa, Ontario

Le 7 mai 2015

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1248/6007

Intitulé de la cause : Levan Turner c. Agence des services frontaliers du Canada

Date de la décision du tribunal : Le 7 mai 2015

Date et lieu de l’audience : Les 21 et 22 avril 2015

Victoria, Colombie-Britannique

Comparutions :

David Yazbeck, pour le plaignant

Aucune comparution , pour la Commission canadienne des droits de la personne

Graham Stark, pour l'intimée

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